Épisode 4 : le tournoi

Nombreux sont les chemins de l’aventure et Tristan s’illustre au royaume de Logre comme il l’avait fait au royaume de Cornouaille. Tous parlent du prochain tournoi qui aura lieu devant le Château des Pucelles : les meilleurs chevaliers errants s’y trouveront, et aussi ceux du roi d’Écosse, du roi de Norgale, du roi des Cent Chevaliers, du roi Arthur et de maintes lignées de haut prestige.

De nouveau en route, messire Tristan appelle Gouvernal et lui dit :

« Il est nécessaire de nous rendre dans cette cité devant nous. Là-bas, vous choisirez un écu tout neuf pour moi. Et savez-vous lequel ? Un tout noir, sans armoirie. L’écu que je porte à présent est connu de tous les chevaliers. Et tous en parlent à travers le royaume de Logre, comme je le sais ; si je le portais au tournoi, je serais aussitôt reconnu et je ne pourrais plus me dissimuler. »

Que vous dire ? Ils chevauchèrent tant cette matinée qu’ils arrivèrent aux loges en bois où il y avait maintes dames belles et somptueuses. La reine Guenièvre n’était pas encore présente. Mais elle s’y rendit rapidement, accompagnée de nombreux chevaliers, dames et demoiselles. Elle monta dans les loges. Le tournoi n’avait pas encore commencé. Et au moment même où la reine était montée dans les loges, vous pouviez voir dans la prairie plus de deux cents chevaliers de part et d’autre ; le plus pauvre était si bellement et richement armé que son équipement pouvait bien lui suffire.

Grand est le fracas des lances et des épées. Grands sont les cris et la clameur et grande est la brisure des écus. La bataille commence si forte, si rude, si cruelle et le massacre si grand : c’est merveille. Car sachez bien qu’ils étaient de part et d’autre d’excellents et preux chevaliers. Ainsi la bataille débuta-t-elle ; elle ne ressemblait guère à un tournoi mais à un combat à mort.

Tous se heurtent de toutes leurs forces. Ils se cherchent avec fougue. Ils ne semblent pas se vouer du bien mais un mal mortel. L’un frappe sur l’autre dans le dessein de le massacrer et de l’achever. Ils n’échangent aucun mot. Ils n’aspirent à rien d’autre qu’à frapper. À cet instant, vous pouviez voir, en un lieu réduit, plus de deux cents chevaliers, tous à cheval, sans compter ceux qui étaient à pied, fort nombreux et qui ne pouvaient se relever.

Ceux qui ne portaient pas d’arme étaient aux fenêtres des loges et ne faisaient rien d’autre que regarder les bons chevaliers du tournoi. Ils observent longuement messire Tristan et voient les prodiges qu’il accomplit. Jamais il ne recule. Au contraire, il s’améliore de plus en plus et sa force augmente, à leur avis. Ils disent, en se signant de stupéfaction :

« Seigneur Dieu, quel est donc ce merveilleux chevalier à l’écu noir ? Rien n’est plus étonnant au monde : il frappe sans cesse et jamais ne recule. Et sa force croît toujours. Personne ne pourrait penser qu’il y avait autant de vaillance chez un seul chevalier s’il ne le voyait ouvertement. Et à dire vrai, il n’est pas moins puissant que Lancelot du Lac. Il nous semble qu’il l’est plus. »

Quand le roi Arthur vit que le tournoi était gagné, il s’approcha de Lancelot et lui demanda comment il se portait. Et il répondit :

« Sire, fort bien, grâce à Dieu. Je n’ai nul mal.
— Dites-moi, fait le roi, savez-vous ce qu’est devenu le bon chevalier, celui qui porte l’écu noir ?
— Dieu m’est témoin, répond Lancelot, je l’ignore. Je ne l’ai pas vu depuis longtemps.
— Dieu ! déplore le roi. Que pourrons-nous faire s’il nous quitte avant que nous le rencontrions et que nous lui parlions ? Nous serions méchamment trompés. Allons, cherchons-le et sachons si nous pourrons le trouver.
— Sire, fait Lancelot, je ne sais ce que nous devons faire. Il y a si longtemps que je ne l’ai plus vu que je ne crois pas qu’il soit encore présent au tournoi. À mon avis, cela fait un moment qu’il est parti.
— Dieu ! s’exclame le roi. Que faire ? Puisqu’il nous a quitté sans que nous ayons son amitié, il peut bien affirmer que nous sommes stupides et insensés. Nous ne devons plus connaître d’honneur quand un homme si valeureux nous a échappé. »

Le lai mortel de Tristan

Ces chevaliers aventureux,
Qui en amour sont plus heureux
Que n’est Tristan le malheureux,
Ne connaissent pas d’amour douloureux.

À vous tous qui passez la voie,
Venez, que chacun de vous voie ;
Est-il douleur hormis la mienne ?
C’est Tristan, que la mort le craigne.

Générique

Enregistrement, montage, mixage et design sonore : Xavier Collet - printemps-été 2020
Musique originale : Nicolas Sarris et Xavier Collet
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant), Nicolas Sarris (chant et piano) et Xavier Collet (synthétiseur modulaire)
Adaptation : Cécile Troussel

Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie
Tristan, tome 2, La Table Ronde, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

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