Épisode 6 : Iseult ou les retrouvailles

Plus d’an an est passé depuis que les chevaliers jurèrent la quête du Graal. Tristan, Lancelot, Galaad et tous les chevaliers de la Table Ronde ont connu plus d’aventures que jamais, mais n’ont pu accomplir encore la plus grande de toutes. Sur le chemin de la Joyeuse Garde, Tristan songe à sa dame qu’il a laissé depuis si longtemps et qu’il s’apprête enfin à retrouver.

Parvenu jusqu’à la tour du château, messire Tristan crie à celui qui guettait là-haut :
« Bel ami, je voudrais entrer pour parler à ma dame la reine.
— Qui êtes-vous, demande le guetteur, qui voulez parler à ma dame ?
— Je suis, dit-il, un chevalier étranger qui lui apporte des nouvelles qu’elle écoutera volontiers.
— Patientez donc, fait le guetteur, et je le ferai savoir à ma dame. » 

Le jeune homme va trouver la reine qui était dans sa chambre et lui dit qu’il y a dehors un chevalier qui a dit telles paroles.
« Ah, seigneur Dieu, soupire la reine, ne viendront donc jamais des nouvelles qui me feront voir mon ami Tristan ? Va vite. Ouvre la porte et laisse entrer le chevalier. »

Le jeune homme retourne à la porte et l’ouvre. Messire Tristan pénètre à l’intérieur ainsi que son écuyer. Il descend au milieu de la cour qui était vaste. Il ôte son écu, son épée et son heaume. Il s’en vient ainsi désarmé à travers le palais et trouve la reine en compagnie de nombreuses dames et demoiselles. Un des écuyers du lieu, qui reconnaît messire Tristan, va droit à la reine et lui dit :
« Ma dame, savez-vous qui est le chevalier qui est descendu ici ?
— Non, répond la reine. Qui est-il ?
— Dame, fait l’écuyer, apprenez que c’est messire Tristan. » 

La reine change de couleur à la grande joie qu’elle ressent et dit, désespérée :
« Ce n’est pas lui. Tu t’es mépris. Dieu ne me veut pas tant de bien, il me semble, pour me permettre de le voir si vite.
— Ma dame, insiste l’écuyer, soyez assurée que c’est lui. »

Tandis qu’ils parlaient ainsi, voici venir parmi eux messire Tristan. Quand la reine le voit arriver, elle le reconnaît aussitôt. Elle est incapable d’avancer. Elle est comme morte de la joie qu’elle a. Elle dit à voix basse car elle pouvait à peine parler :
« Sire, soyez le bienvenu. Nous avons si longuement attendu votre venue que, Dieu merci, nous l’avons.
— Ma dame, demande messire Tristan, comment allez-vous depuis que je ne vous vis ?
— Sire, répond-elle, j’ai connu la détresse, la peine, la douleur et la tristesse. J’aurais dû mourir souvent si ce n’était de bonnes paroles et de bonnes nouvelles que j’entendis sur vous et qui me réconfortaient. »

Grande est la joie, merveilleuse est la fête que les gens du lieu font pour la venue de messire Tristan.
Quand on a désarmé monseigneur Tristan, la reine et lui s’en vont dans une chambre. Là, ils sont en joie et en plaisir. L’un et l’autre sont si joyeux de cette venue qu’ils ne peuvent l’être plus. 

« Sire, dit la reine à messire Tristan, il y a bien quatre jours que Dinadan et Dinas le Sénéchal vous attendent. Ils partirent chasser ce matin et reviendront tôt, je le sais. Ils espéraient de jour en jour votre venue et s’étonnaient grandement que vous tardiez tant. »

Grande est la joie, merveilleuse est la fête comme si le roi Arthur était venu à la Joyeuse Garde. En telle joie, en telle fête, ils demeurent trois jours entiers.
Le second soir, ils étaient en grande fête et en grande joie comme je vous le raconte ; ils évoquaient les chevaliers errants, les chevaliers de la Table Ronde et les autres chevaliers qui n’en étaient pas. Ils parlaient des merveilleuses chevaleries réalisées lors de cette quête.
La reine se met alors à raconter comment elle était descendue du château pour venir aux sources car elle n’était pas en bonne santé, comment elle se faisait garder par les chevaliers de la Joyeuse Garde. Puis, elle relate comment l’aventure amena messire Érec ici, comment il vint timidement devant elle. Puis elle leur relate en détail comment messire Gauvain arriva, gonflé d’orgueil, et comment il vainquit les chevaliers de la Joyeuse Garde. Comment il vint vers elle avec force et outrecuidance et comment il lui parla vilement après les avoir défaits. Puis elle relate clairement comment Érec le vainquit et comment messire Gauvain quitta les lieux honteusement. 

Lorsqu’elle a fini son récit, elle se tait et ne dit plus mot. En entendant cette histoire, messire Tristan, qui est incroyablement abasourdi et furieux, prend la parole devant tous ses compagnons et dit :
« J’ai déjà entendu raconter maintes vilenies de sa part. mais encore, ma dame, n’avais-je pas entendu une vilenie qui me toucha au cœur comme celle-ci. Ce ne fut pas une petite vilenie mais une immense. C’est pourquoi je vous promets, à vous qui êtes ma dame, que si l’aventure lui est si défavorable que je le trouve, sur la foi que je vous dois, je vengerai cette honte de sorte que ceux qui l’aiment en seront attristés et malheureux. »
Voici ce que dit messire Tristan. Il n’ajouta rien de plus. Les autres, qui étaient avec lui et qui l’écoutaient, disent bien que messire Gauvain est un chevalier vil et nuisible plus qu’il ne devrait.

Comme je vous l’ai conté, messire Tristan demeura trois jours dans une joie et une fête si grandes qu’elles ne pouvaient l’être plus. Un soir, alors qu’ils étaient joyeusement installés et avaient déjà mangé, Dinadan se mit à parler de Galaad, de Palamède et des autres bons chevaliers. Il demande à messire Tristan :
« Sire, qui, à votre sens, a réalisé les plus hautes chevaleries lors de cette quête ?
— Dinadan, répond messire Tristan, devant Dieu, je peux bien dire que j’ai rencontré cette année des chevaliers meilleurs et plus sûrs que je ne croyais qu’il existât au monde. Ceux qui ont entrepris cette quête sont incroyablement bons chevaliers. Mais entre tous, je donne le prix à monseigneur Galaad d’abord et à Palamède ensuite. Je ne pouvais croire ce que j’ai vu de Palamède. Il est extrêmement valeureux, vaillant et puissant dans l’art des armes. Dieu m’est témoin, je ne crois pas qu’un autre chevalier ait réalisé tant de hautes chevaleries lors de cette quête, excepté messire Galaad. Enfin, j’ajouterai Lancelot et moi-même. »

Ce soir-là, alors qu’ils parlaient de ce sujet et que messire Tristan donnait si grand prix et si grandes louanges à Palamède, voici venir un messager qui dit à messire Tristan : « Sire, le seigneur Palamède vous salue et vous prie de le secourir. Sachez que les gens du pays où vous le laissâtes l’ont emprisonné et le détiennent encore en prison. Et comme il lui est avis que vous seul pouvez le libérer, il vous prie de l’aider. » Messire Tristan est fâché par cette nouvelle mais, au nom du grand amour qu’il porte à Palamède, il dit qu’il partira le lendemain pour le libérer. Et il le fit ainsi.

Comme je vous le dis, messire Tristan demeura quatre jours avec la reine. Puis il quitta la Joyeuse Garde pour délivrer Palamède. Mais lorsqu’il arriva à destination, il trouva qu’il était délivré. À cet endroit, messire Tristan affronta Galaad en faveur de la demoiselle de Haraz. Ceux qui virent cette bataille dirent que messire Galaad n’avait en rien le dessus. Et ce sera cette bataille, plus que toute autre qu’il fit en sa vie, qui donnera si grand prix à messire Tristan. Car lors de ce combat, plusieurs affirmeront qu’ils ignoraient qui de Galaad ou de messire Tristan était le meilleur.


Souvenir de victoire

D’amour me viennent mes lais et mes vers.
Si amour m’a été divers,
En été et en hiver,
Jamais il n’a été pervers.

Longtemps j’ai été étendu
Dans la douleur. De la peine j’ai eu.
Amour m’a si bien secouru.
C’est pourquoi je ne veux pas que ce soit tu.

Quand entre la fleur des mortels
Amour fit en sorte que je fus tel
Que nul autre ne fit mieux.
Je dis bien qu’amour est dieu.

Je dois bien d’amour être l’obligé
Quand entre les bons je suis loué.
Et vous qui ce chant écoutez,
De bien faire, ne cessez.

Générique

Enregistrement, montage, mixage et design sonore : Xavier Collet - hiver-printemps 2024
Musique originale : Nicolas Sarris et Xavier Collet
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant), Nicolas Sarris (chant et piano) et Xavier Collet (synthétiseur modulaire)
Adaptation : Cécile Troussel

Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie
Tristan, tome 4, La Quête, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

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