Épisode 3 : le piège

Tristan et Dinadan, en quête d’aventures au royaume de Logre, croisent la route d’un sage qui les met en garde contre le piège que la fée Morgane a tendu à Lancelot un peu plus loin. Trente chevaliers l’attendent pour le mettre à mort.

« Messire Tristan, fait Dinadan, si nous nous précipitons sur eux, ils nous tueront d’un seul coup. Et comme je sais que la mort ne rime pas avec santé, je ne veux pas aller plus loin. Partez, si cela vous plaît. Mais sur la foi que je vous dois, je ne vous suivrai pas. »

En entendant cette harangue, messire Tristan est fort courroucé.

« Dinadan, je vois clairement que vous êtes le plus lâche et le plus mauvais chevalier que j’aie jamais vu. Vous êtes incapable d’accomplir quelque prouesse quand vous me faites défaut. Je ne veux pas qu’un autre homme valeureux soit trompé par vous, comme je le suis, ou s’en trouve trompé. Je vous rendrai la pareille comme on doit la rendre à un chevalier aussi couard que vous. Vous êtes mort ! Devant Dieu, gardez-vous de moi car je vous tuerai si je le peux ! Vous voilà face à votre dernier combat ! »

Il confie sa lance à son écuyer, car il ne voulait pas la briser avant que ce ne soit nécessaire, et empoigne son épée, furieux. Il veut se ruer sur Dinadan. Quand Dinadan voit cela, il n’est guère rassuré.

« Tristan, fait-il, que Dieu te bénisse, que veux-tu faire ? Souhaites-tu donc me tuer ?
— En effet, répond messire Tristan, vous ne porterez plus jamais d’écu quand vous m’aurez quitté.
— Tristan, fait Dinadan, n’agis pas ainsi. Ne me tue pas. Avant de me mettre à mort, je t’accompagnerai où tu voudras te rendre. Je ne voulais pas y aller car je ne souhaitais pas encore mourir. Or tu veux me tuer avant. Je préfère aller là-bas plutôt que de mourir ici. Ne me tue pas car je suis prêt à t’accompagner. »

Que vous dire ? Ils chevauchèrent jusqu’à l’endroit où se trouvaient les trente chevaliers qui attendaient la venue de Lancelot.

Tristan crie alors aux chevaliers de toute sa voix :
« Seigneurs chevaliers ! Gardez-vous de moi ! »

Il frappe si rudement le premier qu’il rencontre qu’il le porte à terre très cruellement et le blesse à la poitrine. Il se précipite rageusement vers un autre et le heurte ; son haubert ne résiste pas et il lui enfonce le fer de sa lance dans la poitrine. Il le frappe bien. Mais finalement, le chevalier vole à terre si gravement navré qu’il ne se releva pas. Car il était mort. Et dans sa chute, la lance vole en éclats. Dinadan, qui arrivait ensuite, plongea dans la mêlée et œuvra si bien qu’il en abattit deux avec sa lance avant qu’elle ne soit brisée.

Quand celui qui dirigeait les chevaliers voit les grands coups que messire Tristan donne, il est persuadé qu’il s’agit de Lancelot du Lac. Il s’écrie à haute voix :
« Seigneurs chevaliers, sus ! Vous avez Lancelot du Lac entre vos mains ! Prenez garde qu’il ne vous échappe ! »

La bataille est grande, complète et redoutable à regarder. Les deux chevaliers sont assaillis violemment de toutes parts. On les frappe, on les heurte aussi souvent que le forgeron cogne sur son enclume. Mais ils ne leur donnent pas de coups assez grands dont ils ne reçoivent en retour une récompense. Messire Tristan est au milieu d’eux, aussi fort, aussi redoutable que s’il avait à ses côtés vingt des meilleurs chevaliers du monde. Vous pouviez voir des coups prodigieux et des heaumes raisonner et retentir, des écus taillés en pièce et endommagés, des hauberts rompus et déchirés. Messire Tristan tranche dans les rangs, frappe à droite et à gauche. Il n’épargne personne car il n’a ni pitié ni miséricorde. On connaît sa bravoure au sang vermeil de ses ennemis qui teinte son épée. Grands sont les cris, grand est le bruit qui proviennent des coups qu’il donne et qu’il reçoit. Toute la vallée et la forêt en retentissent.

Quand la défaite arriva, vous pouviez voir les chevaliers fuir, les uns par ici, les autres par-là, si ébahis, si outrageusement vaincus que jamais vous ne verriez des chevaliers fuir si honteusement.

Le lai d'Iseult

Grande et folle intention
A la bête qui, vers le lion,
Pour faire bataille se dresse
Car aussitôt le met en pièce
Le lion qui y met sa force.

Ainsi va le fou qui s’efforce
D’aller là où il ne peut atteindre.
S’il meurt, nul ne doit le plaindre.
Puisque lui-même la vie il s’ôte,
Ne doit le plaindre ni l’un ni l’autre.

Générique

Enregistrement, montage, mixage et design sonore : Xavier Collet - printemps-été 2020
Musique originale : Nicolas Sarris et Xavier Collet
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant), Nicolas Sarris (chant et piano) et Xavier Collet (synthétiseur modulaire)
Adaptation : Cécile Troussel

Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie
Tristan, tome 2, La Table Ronde, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

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