Épisode 1 : la folie

Éloigné de sa dame Iseult, malmené par Amour, Tristan se tapit au plus sombre de la forêt.

Selon le conte, monseigneur Tristan avait perdu sa raison et sa mémoire, si bien qu’il ne savait ce qu’il faisait. Il se mit à déchirer les habits qui le vêtaient comme un homme forcené. Il errait dans le Morois tout nu, hurlant et criant, sautant et courant telle une bête furieuse. Et si on me demandait de quoi il vivait, je répondrais qu’il mangeait de la viande crue. Car, chaque jour, il attrapait des bêtes çà et là dans la forêt et mangeait la viande toute crue avec la peau. Il vivait ainsi et apaisait sa faim ainsi.

Un jour, il se mit à fréquenter des bergers qui gardaient leurs bêtes. Et il restait très volontiers avec eux car ils lui donnaient du pain. Mais ils le lui vendaient chèrement car ils le battaient et le frappaient si violemment qu’il était prodigieux de voir comment il résistait. Mais cela ne l’empêchait pas de rester parmi eux. Il venait toujours les voir car ils lui donnaient à manger. À cette époque, il souffrait terriblement de la faim, du froid, de l’incommodité et d’autres cruautés que nul homme mortel ne pouvait supporter.

Aussi devint-il pâle, maigre, misérable, tanné et noirci par le soleil. Si bien qu’il changea tant physiquement que son meilleur ami n’aurait pu le reconnaître. Et il fut défiguré par les bergers qui le tondirent et qui lui teignaient le visage de couleurs différentes tous les jours. Il endurait tout car il n’était pas conscient de ce qu’ils lui faisaient subir. Et ils le battaient autant car ils savaient qu’il ne pouvait pas se venger.

Une aventure arriva à monseigneur Tristan pendant sa maladie que l’on ne peut oublier. Il est même nécessaire de la raconter car elle fut prodigieuse et telle que vous l’entendrez.

Il y avait une montagne située dans la forêt du Morois, haute et merveilleuse, avec, au sommet, un château fort très ancien. Cela faisait bien deux cents ans ou plus qu’il avait été édifié. Le roi Marc n’avait jamais pu y asseoir sa souveraineté car un géant en était le seigneur. Il était doté d’une si grande force et d’une si impressionnante puissance qu’aucun chevalier n’osait s’aventurer près du château tant il était redouté. Le géant, appelé Taulas de la Montagne, commença à parcourir le Morois dès qu’il sut que Tristan était sans doute mort ou, s’il ne l’était pas, qu’il avait quitté la Cornouaille pour toujours. Il causa de nombreux dommages aux chevaliers du pays qu’il croisait.

Un jour, l’aventure le mena à la source où les bergers demeuraient avec messire Tristan. Le géant s’assit parmi eux, fatigué par sa marche journalière. Les bergers ne savaient pas qui il était et ne ressentirent aucune peur. Ils l’accueillirent de belle façon et lui offrirent de leur pain.
Tandis qu’ils discutaient, le géant vit venir un chevalier de la cour du roi Marc. Il se dissimula alors derrière un arbre : s’il l’apercevait, le chevalier n’attendrait ni dame ni demoiselle et s’enfuirait aussitôt. Dès que le chevalier met pied à terre, le géant bondit et fait deux grands pas. Au troisième, il saisit le chevalier par les bras puis le jette sous son corps et lui dit :
« Vos chevaliers de Cornouaille firent mourir mon père et je vous tuerai si je le peux. »
L’un des bergers court chercher l’épée du chevalier et dit à monseigneur Tristan :
« Allons, frappez-le vite à la tête de toutes vos forces !
— Et toi, pourquoi ne le frappes-tu pas ?
— Parce que, je n’aurais ni le pouvoir ni la force de le mettre à mort. »
Messire Tristan empoigne à présent l’épée et demande de nouveau :
« Que veux-tu que je fasse de cette épée ?
— Frappe ce diable à la tête de toutes tes forces ! »
Messire Tristan bondit aussitôt et se dirige vers le géant à toute allure, l’épée brandie ; il le frappe si violemment que sa tête vole jusqu’à terre.

Le lai d'Iseult

Ami Tristan, je vous sais mort ;
Je maudis tout d’abord la mort.
Le monde ressent du remord,
Je ne meurs d’aucune autre mort.

Ami, vous êtes mort, je ne veux vivre
Si je ne vous revois vivre.
Pour mon ami à mort me livre ;
Du monde je me délivre.

Générique

Enregistrement, montage, mixage et design sonore : Xavier Collet - printemps-été 2020
Musique originale : Nicolas Sarris et Xavier Collet
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant), Nicolas Sarris (chant et piano) et Xavier Collet (synthétiseur modulaire)
Adaptation : Cécile Troussel

Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie
Tristan, tome 2, La Table Ronde, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

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