Depuis que la quête du Saint Graal avait débutée, Tristan avait chevauché comme un chevalier errant à travers les contrées étrangères où il savait que ses semblables séjournaient. Il n’était pas retourné à la Joyeuse Garde où il avait laissé la reine Iseult, car il savait bien que s’il y venait, il n’en repartirait pas.
Tandis qu’il songeait près d’une fontaine, couché sur son écu parmi les broussailles, un chevalier en arme qui portait un écu divisé tout le long en or et argent s’arrête près de lui, et descend de sa monture. Il tend alors ses mains vers le ciel en disant :
« Amour, Amour, devant Dieu, je ne sais où vous demeurez. Aidez-moi, s’il vous plaît, et donnez-moi le bonheur d’avoir celle en qui j’ai mis tout mon désir. »
Ces paroles dites, il regarde autour de lui et aperçoit Tristan. La conversation s’engage et le chevalier prononce le nom d’Iseult.
« Je l’aime vraiment, je n’y peux rien. Mais nul ne devrait me blâmer car elle est la rose et le lys de toute beauté terrestre. C’est pourquoi je dis clairement que je l’aimerai toute ma vie. Et personne ne pourra m’ôter cet amour, excepté la mort.
— Chevalier, menace Tristan, vous en avez tant dit que vous vous en repentirez trop tard.
— Comment ? s’étonne le chevalier. Vous voulez donc m’interdire d’aimer ma dame Iseult !
— En effet, confirme Tristan, je vous le défends strictement. À cause de ce que vous m’avez dit, vous entrez en guerre contre moi. Gardez-vous de moi car je vous dis vraiment et sans faillir que vous voilà contraint de vous battre ! »
Après avoir prononcé ces paroles, ils n’attendent pas. Ils dégainent leurs épées et s’approchent lentement l’un de l’autre, sans dire un mot. Le chevalier porte un coup qui montre qu’il connaît l’escrime et qu’il est rempli de grande force. Et Tristan, qui voit l’épée s’abattre, place son écu devant lui pour recevoir le coup. L’autre cogne dessus et en coupe un grand morceau, si bien que l’écu se dégrade sérieusement.
Ils n’ont guère poursuivi ce duel quand Tristan se dit à lui-même que ce chevalier est sans doute un des plus vaillants et un des plus sages qu’il trouva jamais.
Quand le chevalier qui l’affronte a longtemps combattu et éprouvé le grand pouvoir et l’indéniable force de Tristan, il se rend compte que ce dernier ne recule pas. Il s’améliore comme si sa force croissait. Aussi ne sait-il que dire. Il est tout ébahi. Il a tant frappé et cogné sur Tristan sans se reposer et sans fléchir qu’il lui semble, à son sens, que nul chevalier, si fort soit-il, n’aurait reçu tant de coups sans qu’il lui advienne toute honte en dernier lieu. Quand il voit que son adversaire ne faiblit pas malgré les coups qu’il a reçus et qu’il est au contraire aussi fort qu’au début, il ne sait que dire. Et c’est ce qui le plonge dans la peur et l’effroi.
Les deux chevaliers s’affrontent donc et maintiennent l’assaut si longuement qu’ils n’en peuvent plus. Ils ont tant enduré que leurs lames font défaut. Il leur convient de se reposer bon gré, mal gré, c’est pourquoi ils reculent et laissent le duel. Le chevalier observe Tristan puis lui-même et sait qu’ils sont tous deux de grande valeur.
[Voir, dans les bonus, les enluminures du tome 4]
« Avant que nous en fassions plus et ignorant comment l’affaire tournera, je vous prie de me dire votre nom car je désire le savoir. Non pour le bien que je vous voudrais car sachez avec certitude que vous n’avez pas pire ennemi au monde que moi. Mais pour la chevalerie que je vois en vous.
— Il y a longtemps, fait Tristan, que je ne cache plus mon nom à personne par peur. Apprenez que ceux qui me connaissent m’appellent Tristan. Je suis le neveu du roi Marc de Cornouaille. Je suis celui qui est né pour ton malheur !
— Au nom de Dieu ! s’exclame le chevalier. Tu es l’homme qui m’a le plus nui au monde et que je dois le plus mortellement haïr ! Dis-moi, te souviens-tu de ce prince de Saxe que tu affrontas devant Tintaïol en faveur du royaume de Cornouaille que les Saxons voulaient conquérir ? Il y était venu tant de gens et de peuple qu’ils l’auraient bien gagné par la force si tu n’avais pas été là. Tu peux encore t’en souvenir car, depuis, peu de temps s’est écoulé.
— C’est vrai, dit Tristan, je m’en rappelle bien. Il était brave ; c’était un chevalier de grande valeur et de grand prix qui combattait pour les Saxons contre moi. Il s’appelait Hélian.
— Il était mon père, poursuit le chevalier. Et parce que je voulais venger sa mort, je quittai la Saxe il y a moins de deux ans et vins en Cornouaille. Je croyais t’y trouver car on me l’avait laissé entendre. Mais je ne le pus. Les uns et les autres me dirent que tu étais au royaume de Logre. Je t’ai longtemps cherché à la cour du roi Arthur et dans maints autres lieux. Et puisque je te tiens entre mes mains, il est nécessaire que je venge la mort de mon père si Dieu veut bien m’en donner le pouvoir. Nous avons assez parlé. Continuons notre duel car nous avons trop tardé. »
[Voir l'épisode 3 de la saison 3 : Bataille pour un royaume]
Après avoir ainsi parlé, il s’avance aussitôt, l’épée dressé, et s’élance vers Tristan, hardi et féroce comme un lion. Il ne semble craindre en rien Tristan. Tristan, qui l’a tant éprouvé, sait qu’il est vraiment un chevalier valeureux. Il se protège contre ses coups car il était si savant dans l’art des duels qu’on ne pouvait trouver son égal dans le monde. Le combat recommence entre les deux chevaliers. Si Tristan sait donner de grands coups, le chevalier lui en rend de tels que Tristan s’en trouve tout chargé. Il se défend souvent ; il contre souvent. Ils sont ardents et désireux de se frapper. Ils sont prompts à donner des coups et à en recevoir. Chacun d’eux sait bien rendre ce que son adversaire lui prête.
Reconnaissant la très grande force du chevalier, sa capacité et sa rude violence, Tristan dit tout effrayé à si haute voix que l’autre l’entend :
« Sainte Marie, qu’est-ce donc ? Ce chevalier ne reculera donc jamais ? Sa force ne s’épuisera-t-elle pas ? Dieu, il vaut et il peut plus que je ne croyais !
— Tristan, fait le chevalier, vous parlez de moi. Mais sur la foi que je dois à Dieu, et si je le peux, jamais vous n’aurez à vous moquer de moi. »
Après avoir dit ces paroles, il se retourne et voit venir de la vallée douze chevaliers tout en armes. Tristan les aperçoit aussi.
Quand les chevaliers, qui venaient à la fontaine pour abreuver leurs chevaux, voient le combat, ils vont instamment dans cette direction. Une fois parvenus près d’eux, ils n’eurent pas besoin de les regarder longtemps avant que l’un d’entre eux dise : « Voyez ici le chevalier que nous cherchons. »
Les chevaliers se précipitent sur le chevalier qui affrontait Tristan et l’empoignent. Le chevalier veut se défendre mais il ne le peut car ils le serrent de trop près. Que vous dire ? Ils s’en saisissent rapidement et le mettent sur un cheval. Ils l’emmènent bon gré, mal gré.
Tristan est si contrarié qu’il ne sait que dire ni que faire. Les chevaliers s’en vont hâtivement. Ils emportent avec eux le bon chevalier pour le mettre à mort car il avait cette semaine occis l’un de leur proche parent.
Le lai d'Hélie
Amour de votre entente
Je me loue fort, que Dieu m’amende.
Quand, à vous, je vins premièrement,
Je valais peu, vraiment.
Personne ne m’appréciait.
Chacun me méprisait.
Tous médisaient.
Nul homme, de bien ne disait.
Depuis qu’à vous je suis pris,
Je suis ardent et très hardi.
À votre service j’ai appris.
Alors recommence mon prix.