Épisode 1 : la quête

Tristan ne pouvait se résoudre à quitter Iseult et à laisser la Joyeuse Garde, château de leurs amours heureuses, alors même que le roi Arthur avait appelé tous ses chevaliers à sa cour. Nul ne le savait encore, mais les aventures du Graal étaient sur le point de commencer, et voici comment elles débutèrent, par une aventure merveilleuse qui se produisit à Kaameloth, telle que je vais vous la conter.

Le roi Arthur, assis sur son haut siège, avait avec lui une grande compagnie de chevaliers et de nobles barons, qui chacun avait pris place sur leur siège et laissé celui qu’on appelait le siège périlleux.
Tandis que le roi parlait, un vieillard entra on ne sait comment dans le palais. Il conduisait par la main un chevalier dont les armes étaient anciennes, sans épée et sans écu. Il s’adresse au roi : « Roi Arthur, je t’amène le chevalier désiré, celui qui est extrait de la haute lignée du roi David et de Joseph d’Arimathie, celui par qui les merveilleuses aventures de ce pays et des terres étrangères finiront. Voyez-le. »
Le roi est ravi de cette nouvelle. Il dit au vénérable vieillard : « Sire, soyez vraiment le bienvenu si ces paroles sont vraies. Et bienvenue au chevalier aussi car c’est celui que nous attendions pour achever les aventures du Saint Graal. Jamais un homme ne sera autant fêté que lui. »
L’homme vénérable mène alors le chevalier droit au siège périlleux qui était à côté de celui de Lancelot. Il lève le drap de soie que l’on avait posé et des inscriptions apparurent, qui disaient : « C’est le siège de Galaad. »

Quand le roi Arthur vit l’aventure du siège périlleux accomplie, il devint singulièrement heureux et joyeux et demanda à un chevalier qui était à côté de lui : « Dites-moi, les chevaliers de la Table Ronde sont-ils tous venus ? » Et le roi Bandemagus, qui était devant lui et qui prenait garde à la présence des hommes, répond : « Sire, Dieu merci, oui. Ils sont tous venus excepté un seul : messire Tristan manque. Si nous l’avions avec nous, la Table Ronde serait complète, ce qui n’a jamais été le cas depuis qu’elle fut établie. »

L’après-midi, tandis que tous se divertissaient sur la prairie de Kamaaloth, messire Tristan arriva enfin de la Joyeuse Garde. Il ne convient pas de demander s’il est reçu avec grand honneur et grande joie car tous se réjouissent de sa venue. Quand ils ont conté à Tristan l’aventure accomplie du siège périlleux, il la considère comme une très grande merveille et dit que désormais, les prodiges où tant d’hommes valeureux avaient récolté tourments et désagréments prendront fin. Il se dirigea vers Galaad, s’inclina très humblement devant lui et lui dit qu’il était son chevalier.

Le soir, alors que chacun était assis sur son siège comme au matin, ils entendirent venir un grand fracas de tonnerre, si redoutable, si merveilleux, qu’il leur était avis que le palais dût s’effondrer. Et maintenant pénétra un rayon de soleil qui illumina au centuple le palais. À l’intérieur, tous semblaient être éclairés par le Saint Esprit. Ils se mirent à se regarder les uns les autres sans savoir d’où cela pouvait venir. Tous étaient troublés. Après être restés ainsi sans pouvoir parler et s’être regardés comme des bêtes nues, ils virent le Saint Graal sortir d’une chambre, recouvert d’une étoffe de soie blanche. Nul ne put voir qui le portait. Et le palais fut rempli de bonnes odeurs comme si toutes les épices terrestres étaient répandues. Il alla à travers le palais d’une part et d’autre, parmi les tables. Tandis qu’il passait parmi elles, les tables furent aussitôt garnies, à chaque siège, de la nourriture à laquelle les chevaliers pensaient. Et quand tous furent servis, le Saint Vase partit aussitôt sans qu’ils sussent ce qu’il était advenu. Ils ne virent pas dans quelle direction il s’en était allé.
Ils ne tardèrent pas à recouvrer le pouvoir de parler qu’ils avaient perdu. Plusieurs d’entre eux rendirent grâce à notre Seigneur pour le grand honneur qu’Il leur avait fait en les remplissant de la grâce du Saint Graal. Mais entre tous ceux qui étaient présents, le roi fut joyeux et heureux de cette immense générosité que notre Seigneur lui avait manifestée à lui seul et à nul autre roi avant lui.
« Sire, intervient messire Gauvain, tout homme a vu son cœur repu par tout ce qu’il désirait et pensait. Mais tous furent trompés car personne ne put voir le Saint Graal. Leur vue était obstruée. C’est pourquoi je formule un vœu : au matin, sans plus attendre, j’entrerai dans la quête de sorte que je la maintiendrai un an et un jour ou plus encore si besoin est. Et je ne reviendrai jamais à la cour, quoi qu’il advienne, avant de l’avoir vu aussi clairement qu’il m’a été montré aujourd’hui. »
Quand les membres de la Table Ronde entendirent ces paroles, ils se levèrent tous de leurs sièges et firent le même vœu que messire Gauvain ; ils dirent qu’ils n’auraient de cesse de voyager avant de s’asseoir à la haute Table et goûter à cette douce nourriture qui était semblable à celle qu’ils avaient mangé ici.
Le roi en fut troublé car il savait bien qu’il ne pourrait pas les détourner de cette entreprise. Il dit : « Ah, Gauvain, vous m’avez assassiné par le vœu que vous avez fait. Vous m’avez privé de la plus douce et de la plus loyale compagnie que j’ai jamais trouvée : c’est la chevalerie de la Table Ronde. Plusieurs resteront emprisonnés dans cette quête qui ne finira pas aussi tôt que vous pensez. Et je ne vois pas comment je pourrai le supporter. » Après ces paroles, le roi se mit à penser profondément. Et ces pensées lui firent venir les larmes aux yeux, si bien que ceux ici présents purent s’en apercevoir.

Le roi Bandemagus prend la parole : « Puisque cette affaire est entreprise si redoutablement et ne peut être abandonnée, je demande que les Saints soient apportés. Ainsi les compagnons jureront-ils le serment que ceux qui doivent entrer en quête font.
— Je le veux bien, acquiesce le roi, puisqu’il ne peut en être autrement. »
Le roi appela monseigneur Gauvain. « Vous avez provoqué en premier cette quête. Avancez. Vous ferez le premier serment que doivent jurer ceux qui se mettent en quête.
— Sire, fait le roi Bandemagus, sauf votre grâce, il ne sera pas le premier. Celui que nous devons considérer comme le maître et le seigneur de la Table Ronde le fera devant nous tous. C’est messire Galaad. »

Galaad s’avance, s’agenouille devant les Saints et jure en tant que loyal chevalier de maintenir cette quête un an et un jour et plus encore si nécessaire. Il ne retournera pas à la cour avant d’avoir mené à terme l’aventure du Saint Graal s’il peut y mettre fin. Lancelot jura ensuite le même serment que celui qui avait été prononcé. Ensuite, messire Gauvain jura, puis Perceval, puis Boort, puis Lionel, puis Hélain le blanc, puis le roi Bandemagus, puis le roi Odier, puis le roi Rians, puis le roi Karados, puis le roi de Clare, puis Gahériet, Agravain, Guerrehés, Mordred, Keux le sénéchal, et Ivain, le fils du roi Urien, puis Sagremor le farouche, Girflet, et le fils de Do, puis Dodinel le sauvage, Gossenan Cœur Hardi, Galegrantin le Gallois, Guivret de Lambale, Mador de la Porte, Bliobéris, Banin, Hector des Mares, Dinadan, Tristan, Ivain le Bâtard, Arthur le Petit, Agloval, Érec, le fils de Lac, Brunor le Noir, Guiglain, Arthur le Blond, Kalogrénant, Brandélis, Méraugis de Portlaigue, Gornain, Gudrus, Pharan le Noir, Keux d’Estraux, Lambègue, Taulas, Abandain, Damatha, Amant le Beau Jouteur, Agayreor le Noir, Harpin le Dur, Aconstant, Lanval, Sinados le Beau Couard, le Laid Hardi, Mélaint de Lis, Mandrin le Sage, Andélis, Brian des Îles, Osenan d’Ostrangot, le chevalier du Cor, le jeune homme au Cercle d’or, Kaodin, le jeune homme de Gline, Eudes, Sergus, Loth, Bédoiers le connétable, Méliadus le Noir, Aglis des Vaux, Lambort, Lucan le Bouteiller, le roi Galegantin, le roi Aguistain d’Écosse, Brunor de Plessie, le roi Malanquin, Perside, Kalaart le petit, Siblias aux dures mains, Asplatit le gros, Sador le blond, Mélias de l’Épine, Argoier le Félon, Patride, Mandin le Gai, Gringale le Fort, Malanquin le Gallois, Agricor le Beau, Gualingues, Margandès, Kaerdin, Aiglin des Vaux, Ensort, Esclabor le Méconnu, Séphar le Méconnu, Nabon, Clamor, Alibel, Aren, Arguenor, Mélios, Méliadus le Blanc, Malanquin le Fort, Anguas le Bel, Herman le Noir, Herni le Félon, Phélis.

Générique

Enregistrement, montage, mixage et design sonore : Xavier Collet - hiver-printemps 2024
Musique originale : Nicolas Sarris et Xavier Collet
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant), Nicolas Sarris (chant et piano) et Xavier Collet (synthétiseur modulaire)
Adaptation : Cécile Troussel

Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie
Tristan, tome 4, La Quête, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

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