Épisode 2 : les fourberies du roi Marc

Selon le conte, après être resté un mois et plus auprès du roi Arthur sans pouvoir mettre en œuvre sa perfidie, le roi Marc dit que désormais, il veut retourner en Cornouaille, si le roi Arthur y consent. Le roi Arthur le laisse libre, pourvu qu’il promette de pardonner à Tristan, son neveu, et d’oublier toute l’ire et la colère qu’il a contre lui.

Quand, selon le conte, le roi Arthur établit la concorde entre le roi Marc et messire Tristan, grande fut la joie menée par plusieurs chevaliers. Mais, quelles que soient les émotions, Lancelot est désespéré. Il est trop rudement peiné. S’il ne tenait qu’à lui, jamais messire Tristan ne quitterait la cour du roi Arthur. Il savait que le roi Marc était plus déloyal que tout autre chevalier, et il se doute qu’il n’abandonnera pas l’idée de le tuer malgré sa promesse et son serment s’il en a l’occasion.

Le jour suivant, le roi Marc quitta la cour accablé et furieux d’emmener avec lui monseigneur Tristan. Mais il se réconforte en pensant que dès qu’il sera revenu en Cornouaille, il le fera mettre à mort.

De retour en Cornouaille, le roi Marc reçut des lettres du roi Arthur, qui finissaient ainsi :

« Moi, le roi Arthur du royaume des aventures, vous adresse mes salutations par mes lettres après la grande joie que j’ai connue à ma cour et après le grand honneur d’avoir à mes côtés le meilleur chevalier du monde : c’était messire Tristan. C’est pourquoi je vous prie et vous demande de lui faire honneur si vous tenez à conserver votre dignité royale. Et si vous agissiez autrement, sachez bien que ce pourrait être trop tard pour vous repentir. »

Après les avoir lues et relues, le roi Marc est fort irrité. Il pense plus vivement qu’auparavant au moyen de prendre monseigneur Tristan. Il réfléchit à la plus sage manière d’agir de sorte que messire Tristan ne puisse s’apercevoir de rien avant d’être pris au piège. Parce qu’il est en Cornouaille, il ne craint personne. Il se dit qu’il enverra des lettres en réponse à celles du roi Arthur, des lettres au ton léger, et qu’il en enverra aussi à la reine Guenièvre.

Le messager du roi Marc se met rapidement en route, et donne bientôt les lettres dont il était chargé. De retour dans son palais, le roi Arthur brise le sceau et ouvre les lettres. Il les trouve ainsi, pleines de paroles malfaisantes :

« Je m’étonne fort que vous m’exhortiez à garder auprès de moi ma mort. Je l’ai gardée et je la garde encore. Mais c’est contre mon gré. Ce n’est pas de ma volonté que je garde ma mort et ma honte avec moi. Je ne ressemble pas à un roi que je connais. Car il a des yeux et n’y voit guère. Ou alors, il feint de ne rien voir. Il a le pouvoir, s’il le voulait, d’ôter sa honte de son entourage. Et il ne le fait pas. J’ignore s’il le sait. Il a bien des yeux mais n’y voit rien. Il a des oreilles mais n’entend goutte. Il dort avec son ennemi et se divertit avec sa honte. Il est mort. Et il croit être vivant. On tente de ne pas éveiller ses soupçons. On joue à colin-maillard. Il ne peut aller dans un lieu où il ne voit constamment sa honte devant ses yeux. Sa vergogne croît toujours. Jamais elle ne s’amenuise. Et sachez, roi Arthur, que celui qui ne voit et n’entend goutte est votre proche parent, si bien qu’il fait partie de votre conseil. Je le sais mieux qu’il ne le sait. Il devrait me vouloir grand bien au moins parce que nous sommes compagnons d’une même honte. Il est déshonoré et moi aussi. C’est pourquoi je vous prie de lui dire de ma part qu’il laisse le roi Marc en paix et ouvre les yeux. Qu’il laisse la honte d’autrui et se préoccupe de la sienne. Et je vous prie ardemment de ne plus intervenir dans mes affaires et celles de Tristan. Car je saurai en venir à bout. »

Il avait terminé ces lettres par ces mots pour se protéger et pour que le roi Arthur ne s’aperçût pas qu’il parlait de lui immédiatement. Après avoir regardé, lu et relu les lettres, le roi Arthur est tout ébahi, car il ne peut deviner pour qui ces paroles sont dites. S’il avait entendu parler de l’histoire entre Lancelot et la reine Guenièvre, il aurait tout de suite su qu’on parlait de lui. Mais le conte dit que Lancelot était si redouté et le roi Arthur, comme la reine Guenièvre, si aimés de tous ceux qui séjournaient à la cour, que nul n’en avait encore parlé au roi, excepté une demoiselle qui avait été envoyée par la fée Morgane. Comme il savait que Morgane haïssait mortellement la reine Guenièvre, il ne crut pas ses paroles. C’est pourquoi je vous dis que le roi Arthur ne sut qui devait porter la honte dont le roi Marc parlait. Il se demande dans quel but ces paroles sont dites, mais en vain. Ainsi le roi Arthur pense-t-il aux paroles que le roi Marc lui avait adressées.

Et dès que la reine Guenièvre a pénétré dans sa chambre, maintenant qu’elle a si peu de compagnie, elle prend les lettres du roi Marc et commence à les lire d’un bout à l’autre. Après les avoir lues, elle reconnaît qu’elles sont fourbes et extrêmement mauvaises ; elles parlaient clairement d’elle et de monseigneur Lancelot sans rien cacher. Et sachez que ces lettres avaient la forme d’un lai. Le roi Marc lui avait adressé le chant et les paroles pour qu’elle se trouve plus morte et honteuse et qu’elle croie qu’il l’avait déjà fait chanter. Les lettres disaient ainsi :

Lettre du roi Marc à la reine Guenièvre, sous forme de lai

Salut à vous, comme je dois le faire,
Reine de mauvaise affaire
Qui Guenièvre êtes appelée.
Votre œuvre a été trop cachée.
Du grand bien, du grand honneur
Que vous faites à votre seigneur
Suis-je très heureux et joyeux.
Il ne voit pas même s’il a des yeux.
Il a des oreilles mais n’entend pas
Que Lancelot, dès ce temps-là,
Fût son ami, votre merci.
Il le vit mais n’entendit pas vos cris.
Si je suis tordu, lui est boiteux,
Si vous l’aimez, ce n’est pas peu.
Il est naïf, il ne vous a pas trouvé.
Vous savez bien de lui vous jouer.
Pour l'amour de Lancelot du Lac,
Vous l’avez mis à l’envers et à sac.
Vous savez bien la barbe lui tondre
Et plumer et retondre.
Bien le considérez comme bête folle.
L’un le caresse, l’autre l’affole.
Vous le caressez, Lancelot l’a déshonoré.

Générique

Musique originale : Nicolas Sarris et Nathalie Vinot
Enregistrement et mixage : Bao Falco
Réalisation et montage : Martin Delafosse (wave.audio)
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant) et Nicolas Sarris (chant et piano)
Adaptation : Cécile Troussel
Réalisé avec le studio wave.audio
Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie
Tristan, tome 3, La Joyeuse Garde, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

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