Les deux chevaliers montent sur leurs chevaux sans plus attendre et se précipitent l’un vers l’autre ; ils s’entrechoquent de leurs lances si violemment que les hauberts ne peuvent les protéger sans que maux ne leur adviennent. Apprenez qu’ils se seraient occis dès le premier coup mais les lances éclatent. Ils se heurtent si brutalement qu’ils volent à terre, hébétés, ne pouvant distinguer le jour de la nuit. Mais ils se relèvent tout de même, gravement blessés, l’un plus et l’autre moins. Tristan est meurtri par le fer de la lance qui était empoisonné. Le Morholt est blessé aussi, mais il n’y avait pas de venin. Ils empoignent leurs épées et assènent des coups puissants sur les heaumes de toute leur force. Ils échangent tant de coups qu’en peu de temps, ils sont tous deux épuisés. Leurs armures ne peuvent les protéger plus longtemps ; ils ont de larges plaies profondes à plusieurs endroits du corps d’où s’écoule à flot leur sang. À peine le duel engagé, ils savent qu’ils sont l’un et l’autre de vaillants chevaliers. Les deux chevaliers se craignent l’un l’autre. Mais ils savent bien qu’il est temps que l’un d’eux soit tué ou vaincu. Il n’est pas question de l’épargner ou de fuir. Ils s’affrontent une nouvelle fois, les épées nues brandies, et commencent un nouvel assaut plus cruel, plus violent que le précédent. Ils le font tant durer dans la douleur et dans le malheur que le plus fort et le plus sain croit ne pas en réchapper vivant. Mais Tristan était le plus rapide ; quand il voit que le Morholt est affaibli, il se rue vers lui et le frappe de toutes ses forces si violemment que le heaume ne peut le protéger : l’épée fend la tête jusqu’à la cervelle et l’entaille que fait Tristan ébrèche son épée et un morceau de la lame se fiche dans le crâne du Morholt. L’épée reste abimée.
Quand le Morholt sent qu’il est frappé à mort, il jette son bouclier et son épée et fuit vers le bateau ; il embarque et s’éloigne de la rive aussi vite qu’il le peut et rejoint ses compagnons. Il leur dit : « Vite ! Quittez la terre et prenez la mer ! Cinglons vers l’Irlande aussi vite que vous le pourrez. Je sais que je suis mortellement blessé. J’ai peur de mourir avant que nous arrivions. Hâtez-vous ! Dressez les voiles ! »
Le lai mortel
J’ai assez fui et couru
Mais nul ne m’a secouru.
Le mal d’amour m’a fait reclus ;
Mort et Amour ont accouru.
Toute ma force a décru ;
Je suis douleur, douleur accrue.
Cette angoisse a alors cru.
Tristan sonne la déconvenue.