Épisode 3 : l'écu de Galaad

Apprenez que, durant la quête du Saint Graal, Galaad fit maintes grandes prouesses chevaleresques et maintes merveilles car il possédait outre mesure force et hardiesse, plus que tout autre chevalier du royaume de Logre et du monde en ce temps-là. Mais laissez-moi vous conter l’un des premiers prodiges que l’on vit advenir par lui lors de cette quête, car raconter mot à mot tout ce qu’il fit au royaume de Logre et en plusieurs autres terres serait une tâche trop longue.

Selon le conte, quand Galaad eut quitté ses compagnons, il chevaucha cinq jours avant que son chemin le mène à une abbaye blanche où se trouvaient déjà deux des chevaliers de la Table Ronde. L’un était le roi Bandemagus et l’autre Ivain le Bâtard. 

Ils s’étaient arrêtés là car on disait qu’il y avait dans cette abbaye un écu que nul ne pouvait pendre à son cou sans qu’il lui arrive malheur. Dès qu’ils le virent, le roi Bandémagus déclara qu’il était le plus riche qu’il ait jamais vu. Il sentait aussi bon que si toutes les odeurs du monde l’enveloppaient. 

Il s’en saisit, puis s’adresse à Galaad :
« Sire, je voudrais bien, si vous acceptiez, que vous m’attendiez jusqu’à ce que vous sachiez ce qu’il m’adviendra dans cette aventure. Car s’il m’arrivait malheur, je voudrais bien que vous eussiez l’écu ; je sais que vous achèverez l’aventure aisément. »

Le roi Bandemagus n’avait pas parcouru trois lieues avec son écuyer, qu’il voit venir un chevalier aux armes toutes blanches. Il arrivait aussi vite que le cheval sur lequel il était monté le pouvait. Le chevalier blanc frappe le roi Bandemagus si violemment qu’il lui rompt les mailles du haubert et lui plante le fer tranchant jusqu’au bois dans l’épaule gauche. Et dans la chute du roi, le chevalier blanc ôte l’écu de son cou. Puis il lui dit si haut qu’il peut bien l’entendre :
« Sire chevalier, vous avez été trop fou et sot en pendant cet écu à votre cou alors que nul ne peut le porter s’il n’est le meilleur chevalier du monde. Et pour ce fait qui est vôtre, Notre Seigneur m’envoya ici pour prendre vengeance. »

Le chevalier blanc vint alors à l’écuyer et lui dit d’apporter l’écu à Galaad, le bon chevalier. S’ils reviennent ensuite à lui, il leur contera la vérité sur cet écu, comment il fut apporté sur cette terre et pourquoi tant de merveilles sont advenues par lui.

Le jeune homme aide le roi Bandemagus et ils quittent tous deux la place où il avait été blessé et chevauchent tant qu’ils parviennent à l’abbaye dont ils étaient partis ce matin. L’écuyer s’adresse à Galaad, devant tous ceux qui étaient présents :
« Sire, le bon chevalier aux armes blanches, celui qui a blessé le roi Bandemagus, vous envoie son salut et cet écu. Il vous demande, de par le Haut Maître, de le porter car il n’y a que vous qui le devez. Et si vous voulez savoir d’où proviennent ces aventures, allons le rejoindre, vous et moi, et il vous le contera car il me l’a promis. »

Quand les frères entendent ces paroles, ils s’inclinent devant Galaad et disent que bénie soit Fortune de l’avoir amené ici. Car ils savent à présent que les grands prodiges du royaume de Logre seront achevés. Une fois paré de ses armes, Galaad monte sur son cheval, pend l’écu à son cou et quitte les frères en compagnie de l’écuyer. Ils trouvent bientôt le chevalier que le jeune homme avait déjà vu, qui entreprend de leur conter l’histoire de l’écu à la croix rouge.

« Il advint que quarante-deux ans après la Passion de Jésus-Christ, Joseph d’Arimathie, le noble chevalier qui décrocha Notre Seigneur de la croix, quitta la cité de Jérusalem avec une grande partie de sa parenté. Ils voyagèrent tant que Notre Seigneur, par ses ordres, le guida jusqu’à la cité de Sarras que le roi Évallac gouvernait. Il était sarrasin. 

» À l’époque où Joseph arriva à Sarras, ce roi Évallac était en guerre contre Tholomer, un de ses voisins riche et puissant qui foulait sa terre. Joseph dit à Évallac que s’il allait en guerre aussi mal préparé, il serait vaincu et avili par son ennemi. Joseph commença alors à enseigner à Évallac les points de la nouvelle loi, le vrai Évangile, la crucifixion de Notre Seigneur et sa résurrection. Quand il lui eut tout conté, il fit apporter un écu où il posa une croix en soie rouge et dit :
“Roi Évallac, je te montrerai comment tu pourras connaître la vertu et la force de la vraie crucifixion. Il est vrai que Tholomer le Trompeur aura le pouvoir sur toi trois jours et trois nuits. Lorsque tu croiras ne plus pouvoir en réchapper, découvre cet écu et dis : ‘Beau Seigneur Dieu dont je porte le signe de la mort, ôtez-moi de ce péril et conduisez-moi sain et sauf pour que je reçoive votre croyance.’ Alors tu verras ce qu’il t’adviendra.” 

» Le roi partit et marcha sur Tholomer. Il lui arriva tout ce que Joseph lui avait prédit. Et quand il se vit dans ce péril où il croyait vraiment mourir, il découvrit son écu et vit en son milieu l’apparence d’un homme crucifié tout ensanglanté. Il récita les paroles que Joseph lui avait dites et il obtint victoire et honneur. Il fut ôté des maux et des mains de ses ennemis et vint au-dessus de Tholomer et de tous ses hommes. 

» Une fois rentré à la cité de Sarras, il dit à tout le peuple la vérité que Joseph lui avait révélée. Et la croyance des chrétiens se manifesta tant que Nascien, son frère, se convertit lui aussi. Tandis que tous se convertissaient, un homme, qui avait la main coupée, passa devant eux. Il portait son poing dans l’autre main. Joseph l’appela et il s’avança. Dès qu’il eut touché la croix qui était sur l’écu, il se trouva guéri de son poing coupé. Il advint encore un autre miracle. La croix qui était sur l’écu se détacha et se fixa à son bras, de sorte qu’elle ne fut plus vue sur l’écu. Évallac reçut le baptême et se fit nommer Mordrain. Il devint serviteur de Jésus-Christ et traita l’écu avec insigne honneur.

» Quand le roi Mordrain appris que Joseph était prisonnier d’un roi païen et félon en Grande Bretagne, il débarqua avec ses armées et Nascien, son frère, pour confondre tous ceux du pays. Le seigneur qui tenait Joseph en prison le délivra, si bien que le pays fut rempli de sainte chrétienté. Le roi Mordrain aima tant Joseph qu’il ne retourna pas dans ses terres. Il resta avec lui et ses gens et le suivait partout où il allait. 

» Et quand le temps fut venu pour Joseph de quitter ce siècle, il fit venir l’écu devant lui et Mordrain. Joseph se mit alors à saigner si abondamment du nez qu’il ne pouvait étancher son sang. Il prit l’écu et fit avec son propre sang cette croix que vous voyez ici pour que vous sachiez bien que cet écu est celui dont je vous parle. Il tendit l’écu au roi Mordrain et lui dit :
“Cette croix tracée avec mon sang sera à tout jamais aussi fraîche que vous la voyez à présent, tant que l’écu résistera. Et il ne se brisera pas de sitôt car jamais il ne se pendra au cou d’un homme, fût-il chevalier, qui ne s’en repente, jusqu’à ce que Galaad, le bon chevalier qui sera issu de la lignée de Nascien, le prenne pour lui. Que nul ne soit assez hardi pour le porter s’il n’est pas celui à qui Dieu le destine !
— Puisqu’il en est ainsi, fait le roi, que vous me donnez si bon souvenir de vous, dites-moi, s’il vous plaît, où je laisserai cet écu car je voudrais fort qu’il fût mis en un lieu où le bon chevalier le trouvera.
—Là où vous verrez que Nascien se fera enterrer après sa mort, fait Joseph, placez l’écu, car le bon chevalier y viendra le cinquième jour après avoir reçu l’ordre de la chevalerie.” 

» Tout s’est déroulé comme il le dit car, le cinquième jour après votre adoubement, vous vîntes dans cette abbaye où gît Nascien. » 

Après avoir dit cela, il disparaît de telle sorte que Galaad ne sait ce qu’il est devenu ni dans quelle direction il est parti.

Lai des Chevaliers de la Table Ronde

Chevaliers de la Table Ronde
qui avez vu le Saint Graal,
allez en quête de l’idéal,
sans dame, ou vous attend la tombe.

Nul ne peut entamer un si noble service
sans s’être confessé
et avoir expurgé
tout péché mortel et tout sévices.

Cette quête n’est pas œuvre terrestre
mais recherche des grands secrets de Notre Seigneur ;
le chevalier bienheureux en serviteur
verra les aventures du Saint Graal, qu’Il orchestre

un cœur humain devant l’autel
ne pourrait les imaginer
ni une langue de mortel
ne saurait les évoquer.

Générique

Enregistrement, montage, mixage et design sonore : Xavier Collet - hiver-printemps 2024
Musique originale : Nicolas Sarris et Xavier Collet
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant), Nicolas Sarris (chant et piano) et Xavier Collet (synthétiseur modulaire)
Adaptation : Cécile Troussel

Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie
Tristan, tome 4, La Quête, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

41 lectures