Dessins de Le Brun

Des visages humains masquant à peine des faciès animaliers, dont les défauts ou les qualités s’impriment sur l’homme.

Bœuf
Bœuf

Au tournant du siècle, au moment de dresser le portrait de la société, un discours simplificateur repris par des journalistes, des hommes de lettres, des députés, des administrateurs n’ayant aucune compétence scientifique, puise dans les concepts de l’histoire naturelle pour les transposer dans les sciences politiques, au risque d’une vulgarisation réductrice et néfaste pour le tissu social, mais efficace pour le policier ou l’administrateur. Un insidieux système de représentation voit le jour, lorsque l’on naturalise d’un côté l’idée d’une société d’abeilles, de chevaux, de moutons, de bœufs et de bons chiens, tous utiles et industrieux, et que l’on décrit de l’autre un monde sauvage, empli de loups, de tigres, d’ours, ou de chiens enragés. D’un côté se trouveraient les maîtres et leurs domestiques, utiles et à protéger, les animaux républicains dont la ménagerie du Muséum doit donner déjà un spectacle ordonné, et de l’autre, les nuisibles, à neutraliser ou détruire.

Aigle
Aigle

Une boucle se referme. L’observation des animaux dans le jardin des plantes réorganisé en ménagerie, spectacle couru des Parisiens, vient précisément offrir une possible allégorie de la société. Les animaux utiles, pacifiques et quasiment en liberté sont situés près des salles d’exposition et des amphithéâtres. L’extrémité de la ménagerie, au contraire, constitue un espace redoutable et redouté, avec ses cages à fauves au fond du jardin, juste à côté de la fosse putride où sont jetés les cadavres des bêtes, là où le féroce rejoint la mort. Le monde des animaux n’est point une métaphore. Il est un monde parallèle à celui des hommes. Il reflète ce dernier – et inversement – selon une organisation reprenant les grands traits de l’espèce humaine mais à un degré en dessous. Le Consulat, dans sa volonté de mise en ordre définitive de la société, poursuit cet effort de fixation des catégories d’humains selon le classement commode emprunté aux naturalistes.

Bélier
Bélier

Un discours banalise ainsi la présence de l’animal dans l’homme, de l’animalité de l’homme. Une rhétorique, issue de la reconstruction de la Terreur sur le mode de l’épouvante et du repoussoir absolu, invente la transgression de la frontière entre l’homme et l’animal en une superposition qui explique, durant le printemps 1797, le succès de l’exposition dans les nouvelles galeries du Louvre, désormais ouvertes au public. Y sont représentés les dessins de Le Brun, pourtant vieux de cent ans, figurant des visages humains masquant à peine des faciès animaliers, dont les défauts ou les qualités s’impriment sur l’homme, le démasquent infailliblement. Certains individus par exemple sont dotés d’un visage conformé comme celui des bœufs. De là à penser que leur fonction sociale est dictée par cette ressemblance et qu’ils sont faits pour devenir les portefaix de la société citadine ou être cantonnés dans le labourage des campagnes…

Lion
Lion

 

Ours

Ours
La physionomie humaine comparée à la physionomie des animaux d’après les dessins de Le Brun (Paris, 1806, rééd. 1927 ; collection particulière).