L’Animal en République2023-06-29T12:42:03+02:00urn:md5:b0f9d2fab58b713f7a82af4aec2da5f8DotclearL'animal et nous : Pierre Serna aux Étonnants Voyageursurn:md5:250f56eeb1ad512f176ada9f15ae438e2017-06-21T12:33:00+02:002017-07-03T18:16:01+02:00anacharsisaudio & vidéo<p>Pierre Serna participe à un débat lors du festival de Saint-Malo, que l'on peut écouter ici :</p>
<p><iframe frameborder="0" height="120" src="https://www.mixcloud.com/widget/iframe/?feed=%2Fetonnantsvoyageurs%2Flanimal-et-nous-lanimal-en-nous%2F&hide_cover=1&light=1" width="100%"></iframe></p> <p>Présentation du débat par le festival Étonnants Voyageurs :<br />
La mutation de notre regard sur l’animalité, les potentialités des animaux, leur capacité à éprouver des émotions ou à réfléchir, a quelque chose de stupéfiant : comme si après une glaciation de plusieurs siècles quelque chose s’ouvrait enfin, jusque-là presque frappé d’interdit. Qui va de pair avec une interrogation nouvelle sur notre propre animalité : c’est notre rapport au monde, à la nature et à nous-mêmes, qui est en train de muter.<br />
Avec Stéphane Audeguy, Corine Pelluchon, auteur d’un <em>Manifeste animaliste</em> (Alma) – « Nos rapports aux animaux sont un miroir dans lequel nous voyons ce que nous sommes devenus au fil des siècles » – Pierre Serna, historien, auteur de <em>L’animal en République</em> (Anacharsis) sur la condition animale dans l’histoire de la République française, et Luc Jacquet, dont nous projetterons le superbe film <em>l’Empereur</em> et que nous retrouverons au final pour une rencontre avec le public.</p>Avertissement sur la saisie des dissertationsurn:md5:2b187e99d5f2bef29ac00068532350222016-11-07T17:11:00+01:002016-11-22T17:13:36+01:00anacharsisDissertations <p>Les textes présentés sur le site ont été saisis à la suite d'une sélection par Pierre Serna des passages les plus illustratifs des propos des auteurs. Les dissertations ne sont donc pas transposées de façon exhaustive. De nombreuses répétitions ou digressions se révèlent de moindre intérêt par rapport à la question de la politique de l'animal, la genèse de ses droits et une réflexion sur la république dans sa relation aux êtres vivants et n'ont pas fait l'objet de saisie.
Les dissertations ont été saisies par Paolo Conte et Luca di Mauro.</p>Dessins de Le Brunurn:md5:725dca4a819af98d2a25987e0ef5e07d2016-10-14T18:44:00+02:002016-10-17T14:20:15+02:00anacharsisIconographie<p>Des visages humains masquant à peine des faciès animaliers, dont les défauts ou les qualités s’impriment sur l’homme.</p> <figure style="{figureStyle}"><a class="media-link" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/boeuf.jpg"><img alt="Bœuf" class="media" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/.boeuf_m.jpg" /></a>
<figcaption>Bœuf</figcaption>
</figure>
<p>Au tournant du siècle, au moment de dresser le portrait de la société, un discours simplificateur repris par des journalistes, des hommes de lettres, des députés, des administrateurs n’ayant aucune compétence scientifique, puise dans les concepts de l’histoire naturelle pour les transposer dans les sciences politiques, au risque d’une vulgarisation réductrice et néfaste pour le tissu social, mais efficace pour le policier ou l’administrateur. Un insidieux système de représentation voit le jour, lorsque l’on naturalise d’un côté l’idée d’une société d’abeilles, de chevaux, de moutons, de bœufs et de bons chiens, tous utiles et industrieux, et que l’on décrit de l’autre un monde sauvage, empli de loups, de tigres, d’ours, ou de chiens enragés. D’un côté se trouveraient les maîtres et leurs domestiques, utiles et à protéger, les animaux républicains dont la ménagerie du Muséum doit donner déjà un spectacle ordonné, et de l’autre, les nuisibles, à neutraliser ou détruire.</p>
<figure style="{figureStyle}"><a class="media-link" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/aigle.jpg"><img alt="Aigle" class="media" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/.aigle_m.jpg" /></a>
<figcaption>Aigle</figcaption>
</figure>
<p>Une boucle se referme. L’observation des animaux dans le jardin des plantes réorganisé en ménagerie, spectacle couru des Parisiens, vient précisément offrir une possible allégorie de la société. Les animaux utiles, pacifiques et quasiment en liberté sont situés près des salles d’exposition et des amphithéâtres. L’extrémité de la ménagerie, au contraire, constitue un espace redoutable et redouté, avec ses cages à fauves au fond du jardin, juste à côté de la fosse putride où sont jetés les cadavres des bêtes, là où le féroce rejoint la mort. Le monde des animaux n’est point une métaphore. Il est un monde parallèle à celui des hommes. Il reflète ce dernier – et inversement – selon une organisation reprenant les grands traits de l’espèce humaine mais à un degré en dessous. Le Consulat, dans sa volonté de mise en ordre définitive de la société, poursuit cet effort de fixation des catégories d’humains selon le classement commode emprunté aux naturalistes.</p>
<figure style="{figureStyle}"><a class="media-link" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/belier.jpg"><img alt="Bélier" class="media" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/.belier_m.jpg" /></a>
<figcaption>Bélier</figcaption>
</figure>
<p>Un discours banalise ainsi la présence de l’animal dans l’homme, de l’animalité de l’homme. Une rhétorique, issue de la reconstruction de la Terreur sur le mode de l’épouvante et du repoussoir absolu, invente la transgression de la frontière entre l’homme et l’animal en une superposition qui explique, durant le printemps 1797, le succès de l’exposition dans les nouvelles galeries du Louvre, désormais ouvertes au public. Y sont représentés les dessins de Le Brun, pourtant vieux de cent ans, figurant des visages humains masquant à peine des faciès animaliers, dont les défauts ou les qualités s’impriment sur l’homme, le démasquent infailliblement. Certains individus par exemple sont dotés d’un visage conformé comme celui des bœufs. De là à penser que leur fonction sociale est dictée par cette ressemblance et qu’ils sont faits pour devenir les portefaix de la société citadine ou être cantonnés dans le labourage des campagnes…</p>
<figure style="{figureStyle}"><a class="media-link" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/lion.jpg"><img alt="Lion" class="media" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/.lion_m.jpg" /></a>
<figcaption>Lion</figcaption>
</figure>
<figure style="{figureStyle}">
<p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/ours.jpg"><img alt="Ours" class="media" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/Le_Brun/.ours_m.jpg" /></a></p>
<figcaption>Ours</figcaption>
</figure>
<h5>La physionomie humaine comparée à la physionomie des animaux d’après les dessins de Le Brun (Paris, 1806, rééd. 1927 ; collection particulière).</h5>Le Sang des bêtesurn:md5:42a67b81380f627cff5a931c5a9d45e92016-10-12T17:33:00+02:002020-09-23T10:02:18+02:00anacharsisaudio & vidéo<p>Documentaire de Georges Franju, 1949.</p> <p><a href="https://www.dailymotion.com/video/xt2ewc" target="_blank"><img alt="Le Sang des bêtes" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/.sang-des-betes_m.png" title="Le Sang des bêtes" /></a></p>
<p>Film disponible sur <a href="https://www.dailymotion.com/video/xt2ewc" target="_blank">dailymotion</a></p>Jean-Jacques de Teubernurn:md5:13443b001f36c553b46f9cc685988b442016-10-12T15:56:00+02:002016-10-12T15:56:00+02:00anacharsisAuteurs<p>Auteur de la <a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/09/28/Jean-Jacques-de-Feubern">dissertation 1</a>.</p> <p>Jean-Jacques de Teubern se présente comme « ancien capitaine hollandais et conseiller de légation », titulaire de divers ordres, « demeurant à Ulsen, comté de Bentheim ». Il demande, « à cause de son indigence », que le prix lui soit remis en espèces, le cas échéant.</p>Édouard Lamberturn:md5:9599638f7a4766feb83a6afa018e5ee62016-10-12T15:55:00+02:002016-10-12T15:55:00+02:00anacharsisAuteurs<p>Auteur de la <a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/04/Dissertation-2">dissertation 2</a>.</p> <p>Édouard Lambert est l’auteur présumé des <em>Dialogues moraux sur la santé, à l’usage, et mis à la portée des jeunes gens de l’un et l’autre sexe</em> (Calais, Moraux, et Paris, Duponcet, 1810, 53 p.), dans lesquels, rappelant que le jeûne et l’abstinence de viande sont recommandés à la fois par l’Église et la médecine, il se montre favorable à un régime végétarien. Il réside rue des Minimes, Abbeville, Somme.</p>L. R. H. de Lons-le-Saunierurn:md5:b4f54762c9f55aa59af86796b05b7da32016-10-12T15:50:00+02:002016-10-12T14:56:57+02:00anacharsisAuteurs<p>Auteur de la <a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/04/3.-Soyez-donc-leurs-tombeaux">dissertation 3</a>.</p> <p>« L. R. H. de Lons-le-Saunier ». Dans la Correspondance de Bernardin de Saint-Pierre (Paris, 1826, vol. III, p. 216), on trouve un court billet du poète Ducis (23 pluviôse an XII) à propos de l’auteur de ce mémoire ; celui-ci, par l’intermédiaire d’un « prédicateur célèbre », M. l’abbé de La Faye, chanoine de la cathédrale de Versailles, s’inquiète de ce qu’il est advenu de son texte.</p>Jean-Baptiste-François Géruzezurn:md5:d211b6f94086f2bee98b48cd242f5cf22016-10-12T15:49:00+02:002016-10-12T15:04:42+02:00anacharsisAuteurs<p>Auteur de la <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/04/6.-La-raison-du">dissertation 6</a>.</p> <p>Jean-Baptiste-François Géruzez (1764-1830) est plus connu : « Professeur de grammaire générale et de langues anciennes à l’école centrale de Beauvais dans l’Oise, il participe à la société libre des Sciences, Lettres et Arts de Paris. » Il a collaboré en 1794 à <em>La Feuille villageoise</em>, et rédigé un <em>Traité élémentaire de morale à l’usage de la jeunesse</em>, ouvrage qui, par arrêté du ministre de l’Intérieur, « sera compris dans la liste générale des livres élémentaires parmi lesquels doivent choisir les instituteurs » des écoles primaires et des pensionnats à Paris en 1800. Il a également produit un <em>Discours sur l’origine et les progrès de la langue française, prononcé le Ier brumaire an IX, à l’école centrale de Beauvais</em>, à Paris, chez Hocquart. Il publie la <em>Description historique et statistique de la ville de Reims</em> (1817, 2 vol.). Voir la notice de la <em>Biographie universelle et moderne de Michaud</em>.</p>1. L’ami des animauxurn:md5:1bf4313506d94515d681f70dec2ff7f62016-10-12T15:45:00+02:002016-10-12T15:45:00+02:00anacharsisDissertations<p>Dissertation 1, reçue le 9 vendémiaire an XI, par <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/05/Jean-Jacques-de-Teubern">Jean-Jacques de Teubern</a>.</p> <pre style="text-align: center;">
Sur la lettre d’envoi
« L’ami des animaux » et sous la devise de St Mathieu 7-12
Jean-Jacques de Feubern, ancien capitaine hollandais
et conseiller de légation titulaire de S.
Electeur de Saxe, demeurant à Ulsen, comté de Bentheim ;
sollicitant, au cas où sa réponse soit couronnée,
de recevoir, à cause de son indigence, la valeur de xxx,
au lieu de la médaille promise, en espèces par les banquiers,
fils Mautot et Audenet, ses correspondants à Paris,
afin de se tirer d’affaire.
Fait le 30 septembre 1802.
Au dos du mémoire
Commissaire Le bureau Garran, lu
Revelière Lepeaux, lu
Dupont de Nemours, lu
Toulongeon, lu
Sylvestre de Sacy, lu</pre>
<h1>Introduction</h1>
<p>L’homme représentant du Créateur en terre est à la vérité muni d’un plein pouvoir, d’agir avec les animaux selon bon lui semble. (Gen, 1,26-20) Néanmoins la saine raison et le droit de nature requièrent de lui des actions et lui prescrivent des règles en conformité du caractère sublime, des sentiments parfaits et des ordres purs de ce lien principal. Du caractère, dis-je, d’icelui, n’étant lui-même que douceur. Car un être suprême, sans elle, détruirait bientôt ses propres œuvres. Il ne saurait les traiter qu’en considération de leur infériorité, imperfection, et impuissance, c’est-à-dire, avec condescendance et bonté. Ses sentiments à leur égard sont, non seulement de leur accorder l’existence mais aussi de les rendre avec plaisir tout aussi heureux que leur capacité leur permet. Et ses Ordres diffèrent conséquemment à ce que dit son intendant, l’idée de sa propre dépendance de son illustre maître ; de sa situation comme co-habitant de ce monde peuplé d’animaux dès et avant son entrée en icelle ; comme aussi de la justesse du grand axiome ; de sa conduite envers les autres créatures tout comme il souhaiterait qu’ils se conduisissent envers lui. En effet chaque individu devait en son genre et espèce, selon sa destination naturelle et conformément à son rang parmi les êtres créés, passer tout le long de ses jours dans une tranquille paix contentement et en bonheur. Ainsi aucun d’eux n’incommode-t- il l’autre, même en cas de rencontre, aucune passion véhémente ne les réduit jamais à des faits dénaturés. Ils se donnent quelques coups de pattes, de griffes, ou de becs, et s’en vont ; voilà le duel fini ; sans souci au sujet de l’avenir, ils ne sèment ni ne moissonnent les provisions d’autrui, quoiqu’à l’un manque le nécessaire, et tel autre ait le superflu. Sans crainte d’être opprimés, ils ne méditent pas par ambition la chute d’un adversaire, et leur propre élévation, ni ne montent point à une grandeur importune, pendant que d’autres croupissent dans la misère. Fidèles enfin à la voix de la nature, ils suivent tranquillement leurs innocentes affections selon le cours des saisons, et sans envahir leurs nids réciproques, confient leurs familles sans la moindre inquiétude aux soins de cette nourrice générale, la providence divine qui conserve toutes les espèces.</p>
<p>Leur état de nature donc est constamment invariable en lui-même durant toute leur existence, car ne possédant nulle idée d’un sort chancelant, d’un meilleur ou d’un pire, ils ne se chagrinent ni du passé, ni ne sont mécontents du présent, ni viennent en peine de l’avenir.<br />
La peur de l’approche d’un péril ne naît en eux qu’à la vue de l’ennemi et s’évanouit avec lui, ne leur en laissant aucun vestige d’un triste souvenir, ni les tourmentant par la perspective effrayante d’accidents importants inconnus et trompeurs.<br />
Mais hélas, le vice-régent, ce souverain terrestre, l’homme, a changé ce beau tableau, ce théâtre riant de la surface mondaine, tout d’un coup. Non content de cette grande prérogative, quoique borné pour son propre intérêt, il en a franchi les limites ; et aspirant à une pleine indépendance ici-bas, il s’est élevé à un despotisme condamnable qu’il étend sur toute la nature en général et les animaux en particulier, aussi loin que les forces de son corps et d’esprit peuvent atteindre.</p>
<h1>Abus de la supériorité de l’homme</h1>
<p>Car, toujours, cet anneau unique de la grande chaîne de tous les êtres créés, cette classe formée à se servir mutuellement à leur conservation et souverain bien réciproque […] cette classe dis je immédiatement à lui inférieur en descendant, qui touche de si près son genre humain, qu’on doute encore du point précis, où le plus haut degré de la bête est joint au plus bas, au plus lourd des hommes. Oui il s’est acquis des manières si barbares, qu’elles intéressent la morale de la société, très sensiblement. Non seulement que les anciens siècles arboraient jadis l’étendard et l’emblème du barbarisme aux temps des Grecs et des Romains pour leurs jeux déraisonnables et leurs spectacles sanglants, en invitant les bêtes féroces à se battre, en se divertissant aux combats des gladiateurs, et même à ceux des taureaux ou des pauvres captifs, condamnés à mort, contre l’animal affamé. Mais encore de nos jours, ces jours, si éclairés en sciences, en arts et belles lettres, nous nous plaisons non moins de tyranniser les animaux à différentes manières ; témoin : les combats de coqs en Angleterre et nous rions de leur acharnement, auquel on les prépare et les arme même par des artifices.</p>
<p>Témoin, le chasseur par force qui court à bride abattue à la piste d’un nombre de chiens et les anime quelque fatigués qu’ils soient, poursuivant ou le lièvre craintif ou le cerf aux abois, hors d’haleine et altéré de soif. Ses cornes baissées, ce fier embellissement de la tête, ni ses pieds légers ne sauraient lui suffire pour sa délivrance et pendant que d’autres de sa sorte se reposent dans le lointain sans inquiétude, celui-ci est atteint ; terrassé enfin, à demi-mort déchiré et n’étant plus utile à l’homme par l’échauffement de son sang bouillant, ne sert que de repas aux chiens en récompense de leur triomphe ; au lieu que tel autre tiré d’un seul coup de fusil est bien venu au cuisinier. Un autre jour, poursuit, prend et déchire par son faucon le faisan, à ses ordres. Mais à propos de cuisinier, après que le pêcheur, troisième témoin, en embuscade, pour troubler le sort tranquille et la gaie liberté des habitants des eaux, avait attaché sa corde au traître hameçon le soir, attendit impatiemment le lendemain et s’est réjoui du malheur de sa proie, laquelle, lorsque tous les consorts battaient librement les flots, rencontre le perfide aliment le prend, est même attrapé du crochet piquant, et se bataille toute une nuit, agrandissant et la blessure et ses douleurs. Ou après que ce perturbateur des eaux a retiré une autre fois les filets fourmillant d’une grosse troupe de ses sujets aquatiques, les fait languir maintes heures, les fournit enfin à ce cuisinier pour leur faire rencontrer encore plus de †…† Car celui-ci les écorche, l’anguille toute vive, attachée, arrache les écailles du +…+ à force de pincettes, brûle dans l’eau bouillante et l’écrevisse, la moule, et la chevrette. Ah ! Quel martyr affreux encourent ces malheureux et de combien diffère ce destin de celui de leurs camarades, qui nagent en ignorante innocente, quoique pareil piège les attend ! En outre la volaille que n’est-elle pas incommodée et suffoquée presque jusqu’à en crever dans ces cages étroites, où il les enferme, et cloue même les pieds des oies pour les engraisser à force de nourriture superflue. Autre témoin encore c’est le Physicien qui s’applique il est vrai dûment d’acquérir cette science incomparable, savoir la connaissance de la nature, et par elle du Créateur, de soi-même et de ses devoirs, et pourtant se permet des actes de cruauté. Car pour découvrir l’intérieur de la structure des corps animés, ne fait-il pas périr maintes bêtes infortunées, dans les plus inexprimables tourments ? Pour contempler à son aise le battement du cœur, par exemple, ne fend-il pas et le ventre et les entrailles de la grenouille à coups de canif ? Ne fait-il pas rôtir la queue de son petit, encore pauvre poisson, aux ardents rayons du soleil dans le microscope, afin d’admirer la circulation de son sang ? N’endure pas un autre animal (sic) des angoisses incompréhensibles jusqu’à la défaillance sous la pompe sans air. N’encloue-t-il pas le volage papillon à l’épingle comme au poteau à la turque, où ils sont nombre de jours ? Et n’y en a-t-il pas, qui endure cet état de dépérir jusque pendant la semaine entière ? Le sixième témoin c’est l’enfant auquel on permet de chasser continuellement les poules en fuite, de prendre les mouches pour les condamner à croupir toute leur vie en leur perforant les ailes, ou l’insecte, ou l’oiseau, au bout d’une corde ; même de priver le pigeon de la vue, et son chat et son chien, que n’ont-ils à souffrir. Il les maltraite de toutes façons, les bat sans crime et sans raison. On lui apprend ensuite à se venger jusqu’à la pierre inanimée sur laquelle son inadvertance est tombée. Enfin témoin, les châtiments innocents que l’on fait éprouver aux animaux domestiques pour des fautes légères, souvent imaginaires ; comme le travail surchargé où on soumet à coups redoublés les chevaux à (sic) trait, par-dessus leurs forces ; la chétive nourriture, même la faim, que l’avarice ou la pauvreté leur fait encourir. Ajoutez à tout ceci, les danses des ours, des singes, et des chiens qu’ils doivent extraire [? ] réitérer à chaque reprise, bon gré malgré à coups de bâton et maints autres pareils tristes témoignages, selon les différents visages des nations et des pays.</p>
<p>Vraiment, ce n’est pas par exagération enflée, mais par pure pitié et véritable part que je prends à leurs déplorables désastres, que j’ai tracé amplement ce hideux portrait si flétrissant pour l’orgueil et la prétention humaine.</p>
<h1>Origine de cette tyrannie</h1>
<p>Or dira-t-on sans doute, où naît cette perversité des mœurs, si généralement répandue, sur la surface de notre globe ? Je soupçonne qu’en premier lieu, c’est l’ignorance où se trouve le gros des humains au sujet de la véritable valeur des animaux, ne reconnaissant pas qu’ils ne sont que d’un seul degré dessous de l’homme, qu’il est tout aussi proche parent de leur race d’un côté, qu’il est allié de l’autre à celui des anges, que la brute prospère aussi bien que lui, que les facultés du corps, même quelques-unes, comme les cinq sens, la force, la vitesse, sont du monde animal en plus haut degré, et les qualités de l’esprit, souvent plus justes quoique plus limitées et également sujettes à quelques vertus, +…+, quoi qu’ils ne les connaissent pour telles.</p>
<p>Puis après, j’en arrive à l’orgueil qui en résulte : cette enflure d’une imagination outrée, qui se croit le seul maître absolu de toute la création et que le tout est fait uniquement pour lui, ou qui flatte son air d’hommages vains et trompeurs.</p>
<p>De là le mépris qui en naît, et le jugement malformé : « quoi ce n’est qu’une bête ».</p>
<p>Enfin son enclin gâté au despotisme, qui y trouve son compte et les objets propres à l’assouvir et à le chatouiller par la jouissance d’icelle, en satisfaisant plusieurs vices, tel que la colère, la haine, la vengeance, toujours sans regrets ; sans crainte de poursuite ou de revange (sic).</p>
<h1>Mauvaises suites</h1>
<p>Oui ni même, sans considérer, ni prévoir les fâcheuses suites de telles manies, car les animaux étant en effet assujettis à la subordination et le souverain arbitre de cette image souillée de la divinité. La conséquence en est indispensable : qu’en tant qu’il est l’usurpateur de cette prérogative imméritée, de telle manières d’agir envers eux rendront leur dessein plus misérable, plus à plaindre, et feront toujours gémir la créature de cette malheureuse dépendance de vie et de mort, absolument dépourvue, qu’elle est de secours, ou de délivrance, de soulagement, ou de confession, même au milieu de ses peines, des mains du plus cruel de ses ennemis, le destructeur de la belle Nature. En outre, ce plaisir infernal à tourmenter les bestiaux conduit facilement à l’endurcissement de son cœur qui s’habitue insensiblement à la vue réitérée des souffrances, qui les rend sourd aux cris des victimes qui s’égayent en suite à voir de sang froid des tortures les plus terribles, et se joue des vains efforts de la bête travaillant à s’affranchir ; oui, qui à la fin engendre légèrement et peu à peu une conduite égale, même envers le prochain, tout comme il est accoutumé à traiter les brutes, et faire couler le sang. Ainsi rencontre-t-on journellement ces parallèles en plusieurs pays, où l’on entend les commissements [sic] de valets et servantes ; ô ! ce n’est qu’un domestique, ce n’est qu’un esclave, tout comme s’ils étaient des créatures d’une tout autre pâte, impourvue (sic) de la même raison, des mêmes inclinations, de même religion, même destination à l’immortalité et mêmes co-héritiers d’une béatitude, plus éminente peut être que celle de leurs maîtres ? Encore ne le voit-on pas parmi les païens et les colonistes (sic) chrétiens des trois-quarts du monde sur le pied parfaitement égal à celui des animaux. Chez nous, encore une fois, la moindre bagatelle, la moindre maladie, ne les fait-elle pas chasser de la maison ou renvoyer chez des proches, d’ordinaire pauvrement pourvus, et tout cela sans compassion ni considération des circonstances, ou des suites ? Ce qui plus est, tels spectacles entraînent tous les assistants à de pareilles tragédies, et séduisent leur faible raison, à imiter ces maudits exemples. Et le pire de tout est qu’ils produisent la plus malheureuse éducation pour la jeunesse cultivant insensiblement de plus en plus les passions criminelles, et transmettent ainsi le mal moral de père en fils sur toute la postérité. Enfin l’homme ne conçoit pas comment cette injustice contre les innocents sujets doit nécessairement un jour le rendre responsable auprès d’un souverain dispensateur de ses dons pour rendre compte de sa manière d’agir envers ces dépôts à lui confiés, et de son emploi de maître d’hôtel à lui conféré.</p>
<h1>Jusqu’à quel point ?</h1>
<p>De tout le susdit donc, il s’ensuit naturellement le point jusqu’auquel selon la question la morale est intéressée à une telle usurpation, si contraire à ses principes. Oui, une saine raison dicte un soin exact pour la procuration, la conservation et la perfection de notre bonheur ici-bas. Et combien ne nous aident pas les animaux à ce grand but par leur conservation et notre usage de leur être entier, soit vifs, soit morts, bien entendu, en cas et aussi longtemps qu’ils sont par nous bien traités, bien entretenus. Donc qu’une conduite affable par rapport à eux, influe beaucoup aux préceptes moraux. Notre folie au contraire, notre rage envers eux, nous privent tout à fait d’une partie essentielle des agréments de la vie humaine, savoir, la jouissance de leurs bonnes qualités, laquelle par leurs services, y contribue très essentiellement. Le cheval par exemple bien nourri, doucement traité, travaille avec allégresse, envie, vivacité et force, portant ou traînant un plus grand fardeau que la pauvre bête de charrue, amaigrie et chargée de coups. La poule grasse nous régale au lieu de la squelette de sa compagne (sic) ; le chien estropié à force de châtiments, imprudents et sans mesure, traîne son corps languissamment (sic), incapable pour la garde de la maison, ou pour la chasse, pendant que son camarade alerte et de bonne humeur, saute, caresse son maître, veille toutes les nuits, aboie en sentinelle, nous démontrant par là, les fruits de son bon accueil, en reconnaissance et fidélité jusqu’à la mort. Le chat maltraité perd l’envie quoi que innée à faire des embûches aux souris lorsque tel autre se divertit avec ses prises, et ainsi du reste. Encore l’homme ne s’expose-t-il souvent soi-même par la fureur à la résistance, le courroux et la vengeance des animaux irrités contre lui, et cela autant qu’il leur est possible. Il risque alors de les perdre par leur fuite, ou d’en être blessé comme par des chevaux fougueux à coup d’éperon ou de fouet, prenant le mors aux dents. Il manque en tous cas le secours de leur capacité ; se quitte ainsi lui-même de sa commodité et ses plaisirs ; n’en cueillera pas le doux sentiment de leur affection, de leur attachement, ni la jouissance des témoignages de leur gratitude, et perdra donc une partie très considérable de la félicité terrestre.</p>
<p>Puis encore la morale nous prescrit de veiller soigneusement sur nos propres mouvements. De dominer sur nos passions, de supprimer tout emportement. Mais la raison lâche la bride et, succombant par mollesse à l’habitude et le flux entraînant des mauvais exemples, commence par bannir peu à peu tout sentiment de compassion vers des animaux souffrants et finit par égale froideur d’indifférence vis-à-vis de son prochain malade. Ou ennemi déclaré, ou l’indigence des pauvres, introduisant par là tout vice social à porte ouverte, empestant la société de barbarisme et traitant ainsi et particulièrement ses subalternes et le commun peuple sur un pied de hauteur insupportable d’amour propre outré et de suppression, ce chemin le plus droit à la révolution et des scènes les plus sanglantes de perfidie, de trahison de persécutions et de vengeance ; bouleversant ainsi l’État entièrement et allumant en un mot le flambeau de la guerre civile. Voici comme il avilit sa vraie grandeur en dessous d’eux par telle inhumanité, intempérance et volupté, vices à eux inconnus, et les surpasse souvent par un degré d’emportement plus formidable que le leur. Enfin la religion chrétienne recommande très sérieusement la bienveillance et la miséricorde, même envers eux.<br />
Matthieu 12, 11, 14, 5 Luc 6, 20 13, 15.</p>
<h1>Conclusion de la nécessité d’un contenu d’une loi</h1>
<p>Donc +…+, il apparaît, ce me semble incontestablement qu’il est de la dernière nécessité d’établir à cet égard une loi indispensable afin</p>
<p>Art I - d’abolir à jamais tout divertissement à leurs dépens, les exercices de corps, et d’adresse les pouvant assez remplacer, à l’exemple des Romains - infamie publique au contraire à tous ceux qui se seront attroupés désormais à des jeux de bêtes.</p>
<p>Art II - d’ordonner de leur faire du bien, les entretenant avec douceur et leur fournissant bon aliment, des gîtes propres et un travail modéré. Proposer un prix à qui produira la plus belle et grasse bête.</p>
<p>Art III - défendre tout châtiment au-delà d’un terme fixé, tout comme les israélites n’osaient donner plus de 40 coups, ni crucifier un malfaiteur ; non moins de les rendre estropiés ni de les persécuter, et tourmenter de gaîté de cœur jusqu’à la mort. Autre point pris pour l’annonce de contravention et grosse amende punitive.</p>
<p>Art IV - de les tuer, non pour passe-temps, mais pour le besoin et cela par les plus courtes voies possibles. Donc que de proscrire aux cuisiniers autres règles de ménage.</p>
<p>Art V - d’interdire aux physiciens de faire mourir cruellement les insectes ou autres animaux, aux anatomistes de ne les mutiler ni les trancher qu’après la mort, comme les cadavres humains.</p>
<p>ART VI – d’interdire aux chasseurs pour toute la chasse par force, celle du faucon à l’épervier, etc.</p>
<p>Art VII – d’interdire aux enfants le bâton et le fouet, l’oiseau ou l’insecte au bout du fil, et pareils amusements inhumains au lieu de passe-temps innocents et utiles comme courir d’après le cercle, avec le compas, le crayon, le pinceau, le jardinage, la danse, la musique, etc.</p>
<p>Pareille loi exterminerait à la longue ou préviendrait à mon avis et les abus de la supériorité de l’homme et ses suites fatales, les exemples séduisants et la commisération du mal de génération en génération, de siècle en siècle</p>
<p>Et voici comme a compris le sens de la question et sa réponse, la soumettant humblement au jugement de l’Institut national à Paris</p>
<p>L’ami des animaux</p>
<p>Sous la devise de Matthieu 7-12.</p>2. Dissertation 2urn:md5:e9e253bd7bd25dd5617f73b311a72fa92016-10-12T15:44:00+02:002016-11-07T17:12:22+01:00anacharsisDissertations<p>Dissertation 2, par <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/05/%C3%89douard-Lambert">Édouard Lambert</a></p> <p><em>p. 154 172 et 175 les citations correctements référencées par rapport à la dissertation n° 8 ont été, par une erreur qui s'est repétée, attribuées à Édouard Lambert. Ces citations, comme elles l'indiquent par le numéro du mémoire (8), reviennent au pasteur Christian Friedrich Warmholz.</em><br />
</p>
<pre style="text-align: center;">
reçu le 13 nivose an XI
Rue des Minimales
À Abbeville
Département de la Somme</pre>
<p>On sait depuis longtemps que les bouchers sont regardés comme des gens durs et que l’on attribue cette dureté à l’habitude de voir couler sans être émus le sang des victimes qu’ils immolent chaque jour à notre voracité ; on donne aussi aux Anglais plus de férocité parce qu’ils en font une grande consommation. Si donc on accorde aux uns la dureté parce qu’ils les font souffrir pour notre utilité et aux autres la férocité parce qu’ils en consomment beaucoup habituellement, que doit-on accorder à ceux qui se plaisent à les voir brûler à très petit feu. (p.3)</p>
<figure style="{figureStyle}"><a class="media-link" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/dissertations/dissert2-noir.jpg"><img alt="Dissertation 2, 1re page" class="media" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/dissertations/.dissert2-noir_m.jpg" /></a>
<figcaption>Dissertation 2, 1re page</figcaption>
</figure>
<p> </p>3. Soyez donc leurs tombeaux, vivez de leur trépasurn:md5:c5304af2e62ce18a2160c5e1f6655b1b2016-10-12T15:43:00+02:002016-10-12T15:01:57+02:00anacharsisDissertations<p>Dissertation 3, par « <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/05/L.-R.-H.-de-Lons-le-Saunier">L. R. H. de Lons-le-Saunier</a> ».</p> <pre style="text-align: center;">
Commissaires
Le Bureau
Garran lu
La revellière Lepeaux lu
Du Pont de Nemour lu
Toulongeon lu
Sysvestr say lu
Du Theil lu</pre>
<p><br />
Histoire de littérature ancienne.<br />
La classe par son jugement du 18 ventose an XII a accordé une mention honorable à ce mémoire.</p>
<p>Permettez monsieur, que je transcrive ici quelques phrases d’une lettre de monsieur Bernardin de Saint Pierre à monsieur Ducis du 2 pluviôse an XIII au sujet du programme annoncé par l’institut national sur cette question.<br />
Jusqu’à quel point les […]</p>
<p> Le sujet du prix n’ayant pu être jugé par la séparation des classes, et ne pouvant plus l’être par l’auteur qui réclame son manuscrit le reprendrait sans difficulté en se faisant connaître à notre secrétaire</p>
<p>En conséquence je vous supplie monsieur de remettre le manuscrit à la personne qui vous remettra ma lettre et le récépissé qui y eut joint. Cet essay [sic] ne peut plus vous être utile et il importe à l’auteur de le récupérer [?] et de vous offrir l’hommage de sa plus haute considération pour vos talents ainsi que du respect […]</p>
<p>un autre mot (signature du manuscrit si on lève le cachet, habitant du Jura)<br />
la devise est prise dans le premier livre du poème « la pitié ».</p>
<div class="citation">
<blockquote>
<h4>« soyez donc leurs tombeaux, vivez de leurs trépas amis d’un tourment sans fruit ne les accablez pas »<br />
Poème de la pitié chap I</h4>
</blockquote>
</div>
<p>S’il est permis à l’homme qui est le souverain de la terre de déchirer son sein pour en arracher les trésors qu’elle recèle, et lui enlever chaque année sa plus brillante parure, et de la dépouiller à son gré des productions végétales qui la couronnent, son domaine s’étend avec le même empire sur tous les animaux qui le peuplent, innombrables fils de cette mère féconde qui semble les avoir tous enfantés pour l’usage de celui dont elle tire ses ressources et son orgueil, et qui seul tient du créateur par l’immense supériorité qu’il lui accorda, un droit de vie et de mort sur tous les êtres vivants, qui l’entourent ; ils sont tous destinés à le nourrir et à le servir ; ceux qui sont dociles à ses ordres en obtiennent de vivre à des conditions douces ; les autres ne peuvent se soustraire à la mort, lorsqu’il les y a condamnés, que par la fuite ou l’esclavage.</p>
<p>Mais quand leur sort est de subir un arrêt si sévère, ce n’est pas à nous de l’aggraver par des rigueurs inutiles : n’allons pas ajouter d’odieux caprices à une nécessité déjà trop cruelle ; multiplier les fatigues, accroitre les douleurs, étendre le ravage et la destruction au-delà de nos besoins. Serait-il vrai qu’il fut quelque douceur à faire périr ou souffrir arbitrairement des êtres qui n’ont de tort avant nous que celui d’être tombés en notre pouvoir, et que l’homme put se jouer un instant en affligeant la nature de pertes et de massacres qu’elle ne répare souvent que par de longs et de pénibles efforts ? L’animal le plus féroce ne commet que des meurtres que le besoin ou sa sureté lui commandent ; le tigre lui-même ne fait couler que le sang qui doit éteindre sa soif brulante et calmer ses fureurs.<br />
L’esprit se refuse donc à supposer que l’homme doive éprouver le désir de nuire, puisse faire le mal pour le mal, et se complaire à tourmenter froidement l’animal qu’il dévoue aux plus durs des travaux, ou qui va tomber sous les coups mais ne serait ce pas déjà un assez grand outrage à l’humanité ? De ne prendre aucun intérêt à ses souffrances inévitables, ou de le voir expirer sans émotion ? ne serait ce pas une horrible insouciance que de n’en pas fuir le spectacle, et de ne considérer les détails avec l’œil de la curiosité ou de la stupidité qui compte pour rien les angoisses de la victime ? La méchanceté infernale qui ne faisant même que les soupçonner s’essayerait à les multiplier ou l’impassible dureté qui resterait calme sur les cruautés qu’elle exercerait me rappellent le taureau de Phalaris qui demeurait immobile aux rugissements du misérable qu’il brulait dans ses flancs embrasés.<br />
Puisque l’humanité réclame si hautement contre de pareilles horreurs tâchons d’y soustraire tout à la fois et l’homme qu’elles endurcissent et les animaux qui les endurent. Empêchons s’il est possible que les créatures subalternes ne sentent trop cruellement le malheur d’avoir été soumis arbitrairement à notre puissance et dévouées à notre seule utilité : épargnons à leurs fougueux souverains le danger de s’avilir jusqu’à descendre à leur niveau, en contractant les habitudes d’une aveugle férocité, et en perdant le précieux sentiments de la pitié sans lequel la société lui devrait peu de confiance. Ne souffrons pas que l’homme si prompt à se dégrader se familiarise avec les gémissements, les cris, les effusions de sang, puisse assister sans frémis aux dernières convulsions de la mort et de la douleur et se glorifie peut être de son courage, quand il a frappé sans émotion et étendu à ses pieds la facile proie qui ne pouvait se défendre. Ainsi lors même que nous ne paraitrons nous intéresser qu’au sort des animaux, nous nous occuperons réellement du nôtre : nous serons moins vicieux par cela même que nous rendons moins malheureux, et le gouvernement plus humain qui réprimerait de fureurs gratuits sur les esclaves muets qui ne peuvent l’invoquer, nous sauverait en même temps de celles que l’habitude et l’impunité des premières nous portent souvent à nous tourner contre nos semblables.</p>
<p>Si l’animal qui partage avec nous le séjour et les fruits de la terre n’était qu’une pure machine, admirable assemblage de leviers, de ressorts, de vaisseaux, de mouvements, combinés avec un art divin pour faire circuler les différentes liqueurs destinées à la nutrition et à l’accroissement de son individu, et pour approprier à chacune de ses parties les substances en contact : si on pouvait parvenir à ne voir dans les opérations du castor et de l’épagneul que des impulsions physiques, des oppositions savantes de toutes les forces et de toutes les ressources de la mécanique, peut être faudrait-il encore user d’aménagements avec eux. Sinon pour son cœur, au moins pour celui de tant de personnes qui s’obstinent à leur donner une âme. Et qui prendraient souvent un très vif intérêt à ces automates merveilleux, dont la plupart expriment si parfaitement le désir, le regret, la fidélité, l’intelligence et presque toutes les affections de l’âme.</p>
<p>Mais comment se persuader que ce qui agit dans les brutes contre la loi du mouvement soit l’effet de ces lois ? Comment croire que l’impression seule des rayons de la lumière qui ébranlent la rétine de l’éléphant et de la baleine suffise pour remuer subitement ces lourdes masses par la seule propagation de ce premier choc, sans aucune intervention de spontanéité ? Quel rapport d’ailleurs dans de pures machines entre l’ébranlement d’un nerf et l’image d’un objet quelconque ? Tant qu’on ne pourra contester aux animaux le sens de l’ouie, de l’odorat et de la vue, on sera toujours forcé de leur accorder au moins une âme sensitive. Car sans le secours de trois sensations distinctes et même opposées recueillies sur un point commun et indivisible, où les effets lui résulteraient de cette triple faculté de voir, d’odorer et d’entendre devraient infailliblement se confondre et devenir insignifiants. Comment expliquer ensuite par le simple jeu matériel des organes mus en sens contraire les diverses déterminations, toujours relatives à son but, d’un animal machine et les opérations qui supposent des comparaisons et des choix ?</p>
<p>Non, il sera toujours absurde d’ôter les sensations aux bêtes, même les plus stupides ; en les accordant pourquoi n’oserait-on pas leur supposer encore certaines perceptions directes quelque combinaison facile et les perceptions simples accommodées à leurs besoins ?<br />
La philosophie la moins susceptible d’enthousiasme ne vient elle pas s’extasier tous les jours dans l’intérieur d’une ruche d’abeille, à l’aspect d’une fourmilière où tant de travaux s’exécutent de concert par ces peuples innombrables sans révoltes et sans confusion ?<br />
Peut-elle descendre au fond des souterrains qu’habitent d’autres insectes, sans être confondue par les ressources ingénieuses qu’ils se préparent contre leurs ennemis, par leur habileté à se procurer tout ce qui leur est nécessaire ; par l’ordre, par l’intelligence par la curieuse administration de ces petites républiques ? Qui oserait devant les édifices du castor lui refuser presque du raisonnement, et méconnaitre des inventions non douteuses ? Est ce sans motif qu’il choisit avec tant de prévoyance le local, les matériaux, et les formes de son bâtiment, qu’il en élève les étages dans de si exactes proportions, qu’il y pratique des issues si propres à le sauver des attaques ou des embuches qu’il redoute ? L’homme qui aurait médité longtemps sur ses périls, ses ressources, les mesures qu’il doit prendre pour toutes les positions de sa vie ne ferait – il mieux que le castor prétendu machine qui oublie pourtant l’art de ses belles constructions dès qu’il devient solitaire, et qu’il peut sous des abris moins couteux pourvoir à ses approvisionnements et à sa sûreté. Il s’y retire alors paisiblement avec sa famille, uniquement jaloux d’y laisser ignorer son savoir et sa demeure, comme l’homme instruit qui néglige tous ses talents à la campagne où lui suffit une humble chaumière ; et qui ne bâtit pour l’ordinaire des palais que dans les grandes sociétés et dans les grandes villes</p>
<p>Le chien fidèle, la tendre perdrix, dont l’un est si attaché à son maitre, et l’autre à sa couvée ne manifestent-ils pas également tous les deux, pour défendre ou pour ne pas quitter ce qui leur est cher, des ruses, un discernement, une persévérance inexplicables par le mécanisme le plus merveilleux, et même incompatible avec lui ? Quelle étonnante variété de mœurs, de pratiques, de moyens si adroitement employés à leurs fins dans les oiseaux, les poissons, les reptiles de chaque espèce ? Ils savent tous parfaitement saisir leur proie, lui tendre des pièges, éviter leurs ennemis, prendre sur eux tous leurs avantages, prodiguer des soins à leurs petites, partager la nourriture et les travaux entre eux ne les mesurant à l’âge aux forces à la rareté des secours et aux difficultés des approches et de la saison, mais pourquoi accumuler les observations et insister si obstinément contre une opinion que n’a pu recommander le nom d’un grand homme qui entraîne quelques vérités dans la ruine de tant d’erreurs, et que la hardiesse de son génie semblait moins portée à expliquer les lois de la nature qu’à les créer lui – même ?</p>
<p>Anathème cependant à cette doctrine injurieuse qui nous avilit pour ennoblir le singe ; et qui ose trouver plus de différence de tel homme à tel homme, que de tel homme à telle bête. Sans doute la stupidité de quelques hommes privés de leurs organes, dont la pensée et enchainée pour les placer dans un état d’intelligence inférieur à celui de l’animal pourvu de tous les siens. Mais quelle énorme distance de l’un à l’autre ; si l’on considère leur nature au lieu de leur individu ! L’âme de la bête est imperfectible ; elle ne peut acquérir aucune idée morale ; elle ne s’élèvera jamais au dessus de l’instinct admirable, mais irréfléchi, qui l’éclaire sur les moyens efficaces de satisfaire des besoins peu nombreux mais qui ne lui apprend rien sur l’avenir ; et ne luis fait jamais tirer aucune conséquence de la quelle a fait ce qu’il pourrait faire : tandis que l’esprit de l’homme profite de tout pour son instruction, généralise ses idées, ajoute sans cesse à leur masse lumineuse ; embrasse le monde dans ses vastes conceptions, et s’élève par un élan sublime jusqu’à la divinité dans l’essence de laquelle il va lire ses devoirs et découvrir ses hautes destinées.</p>
<p>Mais ce n’est par rapport à nous dans une thèse aussi étrangère à notre but principal qu’il échouait de défendre la dignité de l’homme d’ailleurs si incontestable. Nous sommes chargés uniquement de faire reconnaître la sensibilité des animaux et leur malheureuse propriété de souffrir, dont toutes les apparences, le raisonnement et les faits ne nous permettent plus de douter. Ce doute même subsiste-t-il encore et résiste-t-il à tous les arguments qui les détruisent, le sort des bêtes n’en devrait-il pas être plus négligé.<br />
Et ma cause n’en serait pas moins bonne : puisque c’est être déjà cruel que de s’exposer à le devenir.<br />
Ainsi il est temps a présent d’aborder mon sujet et de prouver que dans la certitude ou l’incertitude même que les cris des animaux soient poussés par la douleur et que leurs sanglots soient ceux d’une nature aux abois avertis par les tourments de la décomposition ; la nécessité seule peut légitimer les mauvais traitements, les meurtres qui affectent douloureusement ou terminent leur vie ; que dés qu’ils sont gratuits il sont injustes, extravagants barbares, d’une influence pernicieuse à la morale et à la sûreté publique, en un mot qu’ils dégradent l’homme et exposent la société.</p>
<p>On n’acquiert le droit de nuire qu’au moment d’un danger et celui de punir qu’après une faute : encore ne faut-il qu’on ne puisse se sauver par d’autres voies ; et que le coupable ait eu le sentiment de son tort et de sa liberté. Mais tel qui refusait tout à l’heure aux animaux les seules sensations, leur accordera-t-il des intentions méchantes : des idées abstraites sur l’autorité l’obéissance, les vices de la perfidie de l’ingratitude de la révolte ? Par quel art leur fera-t-il concevoir ce que c’est qu’un châtiment. En le subissant même ils l’ignoreront toujours ; ils obéiront à la passion, à l’habitude, au besoin, jamais au devoir ; ils resteront fidèlement sur les traces de celui qui a coutume de les conduire, ils plaindront à ses côtés, ils languiront dans son absence, sa mort même pourra causer la leur, ils manifesteront à son égard tous les signes du regret mais sans regretter véritablement, ils n’auront conçu la valeur de ses bienfaits, jamais pour parler exactement, senti leur pertes ils peuvent reconnaître la main, jamais le cœur qui donne, puisqu’ils ne peuvent pas plus mériter notre colère. Ainsi dans cette absence de toute moralité, sans ces éléments nécessaires du crime, volonté liberté<br />
Discernement, existera-t-il de la part des animaux une insulte punissable envers l’homme ; une violation de ses droits dont la vengeance soit légitime ? L’animal furieux qui terrasse et méconnait son maître n’est pas sous l’empire d’une force irrésistible qu’aucune considération ne peut balancer, et qui ne peut être vaincue en lui par les puissants contre-poids de la raison de la religion, de l’honneur, comme en l’homme, à qui seul il a été accordé de dominer l’univers, par ce qu’il peut seul se dominer lui-même, et qui peut seul être vertueux, par ce qu’il est seul libre de ne l’être pas ?</p>
<p>Car la spontanéité qui nous trompe si souvent sur le compte des animaux loin d’être la liberté ou de l’accompagner toujours, ne sert qu’à la détruire en eux, en les rendant incapables de cette hésitation, de ces débats intérieurs qui l’exercent et qui la supposent. L’animal guidé par un attrait physique ne discute rien au-dedans de lui : ou il est entrainé sans aucun soupçon à son but ; ou il est enchainé par la crainte : uniquement soumis à l’instinct aveugle de la conservation qui l’écarte de ce qui lui cause de la douleur, ou qui le porte vers ce qui lui procure des sensations plus douces ; il doit être traité conformément à sa nature et n’être employé à notre service que pour l’action modérée. De ces deux ressorts toujours efficaces sous une main équitable et surveillante. Prévenons les dégâts et les écarts de ces esclaves capricieux et impatiens du joug ; mais ne les imitons pas par des excès contre eux plus déraisonnables et plus honteux que les leurs ; pénétrons nous bien de cette vérité que nous devons les soumettre à la supériorité de notre intelligence ; non pas à celle de nos passions.</p>
<p>Mais si nous mène cette rigoureuse équité qui réclame contre tant d’indignes traitement et des vengeances injustes exercés par nous sur les animaux, n’est il pas insensé de se mettre en courroux contre des êtres qui ignorent complètement touts leur délits, qui n’en peuvent pas plus soupçonner la cause de notre fureur, qu’ils en peuvent la désarmer, et qui en paraissent si innocents qu’ils n’en restent jamais ni troublés ni honteux, qu’ils n’évitent pas la présence de celui qui les gronde ni la main qui les menace.</p>
<p>Rien ne déshonore tant la raison de l’homme, et ne semble le placer au dessous de la brute qu’il maltraite, que ses imprécations retentissantes et accumulées ; son visage convulsif ; ses emportements barbares, contre un animal patient muet, étonné de se voir accablé de coup par son maitre au fort de ses fatigues et de son ardeur à lui plaire. N’a-t-on pas vu de ces hommes, aveuglément féroces, blesser ou tuer même pendant les accès de leur furie, des animaux chéris à qui un faux pas ou une désobéissance involontaire faisaient perdre subitement dix années d’impayables services.<br />
L’honnêteté se révolte à tel point contre les brutalités telle qu’elle ne leur doit pas même l’honneur de les condamner sous d’autres formes que celles du mépris. Se courroucer en effet contre son chien ou contre sa montre en défaut, briser l’une ou frapper l’autre, ne saurait être également qu’un signe de frénésie devant l’homme de sang froid qui cherche les motifs à toutes les violences, et qui n’y aperçoit que des convulsions. Assouvir par des coups, ou par des injures sa colère contre l’animal qui n’a pu saisir l’intention de son guide farouche, et qui le contrarie sans le savoir, c’est imiter dans un acte plus fréquent et plus ignoble le délire imbécile de ce roi célèbre qui faisait fouetter et enchainer la mer pour n’avoir pas abaissé sous son orgueilleux pavillon ses flots irrités et ses vagues indociles.<br />
Encore faudrait-il peut être pardonner à la sottise humaine les traits de démence quand ils n’excitent que le rire, et que cette ivresse du sentiment immodéré de ses forces ne tourmente que des éléments sans vie. Mais quand une folle colère s’assouvit sur des êtres souffrants, quand elle y laisse d’incurables palies, de quelle indignation n’est on pas saisi contre les cœurs impassibles qui ne frémissent pas des hurlements qu’il font pousser, et qui se jouent peut être des tortures qu’ils font subir.</p>
<p>N’est ce donc pas assez de ravir la liberté à tous les animaux qui peuvent en supporter la privation, de dévouer à la tristesse de la servitude, à des travaux accablants, à des maladies et des périls inconnus dans l’état sauvage leur languissante vie, de leur faire perdre pour toujours à notre seul profit la vigueur et la beauté même qui distinguent les espèces et les individus échappés à nous poursuites et abandonnés à la nature. N’est-ce donc pas assez d’user du droit cruel de se précipiter avec le poignard ou de lancer indistinctement nos traits et nos arrêts de mort sur tous ceux qui ont le malheur d’approcher de nos habitations, ou de vivre sous notre empire. Ne doit-il pas nous en coûter déjà trop de faire ruisseler leur sang pour réparer le notre d’enfoncer nos bras qui en sont journellement rougis jusqu’à fond de leurs entrailles, pour y chercher des mets plus délicieux ; de couvrir nos tables de leurs membres mis en pièce et peut-être d’y reconnaître et d’en dévorer nous même de jeunes victimes élevées tendrement dans notre familiarité et nourries quelques fois de nos mains ?<br />
Puisque le créateur du monde a voulu organiser tout ce qui est à la surface et faire payer successivement ce don de la vie à presque tous les atomes qui la couvrent, puisque la destruction de ceux qui sont animaux est la condition de la même existence pour les autres, qu’elle en fournit les matériaux, et que la mort des individus assure la durée de leur espèce, puisqu’enfin c’est dans les filtres de la végétation et de l’animalisation que se préparent les seuls aliments qui nous conviennent, frappons en détournant les yeux des victimes de notre voracité ; sentons nous humiliés de la loi si dure qui nous soumet à vivre de sang et à ôter la vie à tant d’êtres paisibles qui ne veulent point à la nôtre ; puisqu’il faut des meurtres à nos besoins, faisons en sorte que moins qu’y faille pas des supplices.</p>
<p>Quand l’animant à la chasse, les compagnons de nos courses aux pieds légers, à l’odorat fin, qui y partagent si aveuglément notre ardeur, nous poursuivons les timides habitants des forêts destinés à fournir à notre palais dédaigneux des mets plus délicats, à combler la joue de nos festins ; ah n’ayons pas la cruauté de lire une proie sans défense à cette troupe famélique qui en la mettant en pièces n’éteindrait que lentement dans son sang sa fureur et sa rage. Quand les larmes de cerf aux abois nous demandent une prompte mort, ne soyez pas aussi impitoyable que le meute qui le déchire. C’est une faveur peu couteuse, pour ceux qui n’en voulait qu’à sa vie, que de la pas prolonger d’inutiles douleurs.</p>
<p>Citoyens des airs, aimables enfants de la nature qui en plus d’être le plus bel ornement n’aurez-vous reçu qu’en vain le privilège de vous dérober sur vos ailes légères à nos poursuites, puisque vous ne pouvez échapper à nos traits ? Vous avez beau nous plaire par la variété de vos couleurs, l’élégance de vos formes ; vous nous ravissez par vos chants, vous nous attendrissez par vos soins maternels et vos inquiétudes sentimentales ; malgré tous les charmes nous ne vous en prenons pas moins traîtreusement dans nos filets, nous vous enfermons dans d’étroites prisons, nous vous lançons un plomb mortel qui vous fait tomber à nos pieds des rameaux ombragés comme nous écoutions avec délice votre voix mélodieuses.<br />
Barbares adolescents pour qui le jeu trop ordinaire au milieu de vos perfides caresses est d’irriter, de fatiguer, de mettre à la question ces trop volages objets de votre impatiente activité, ah ne les punissez pas avec tant de rigueur de vous avoir amusés quelques moments ! Vos divertissements commencent trop tôt à devenir cruels. Si le sort des malheureux captifs est de périr entre nos mains ; abrégez leurs tortures : voluptueux capricieux ne les mutilez pas, ne les faites pas languir des mois entiers, honteux et déshonorés dans des cages ténébreuses : ne leur crevez pas les yeux pour en tirer contre l’inspiration de la nature des sons maigres et altérés : ne les rôtissez pas tous en vain, pour vous procurer des morceaux plus friands !</p>
<p>Ne devrais je pas entreprendre de plaider encore la cause de ce peuple si nombreux qui sous des formes plus étrangères à tout ce qui nous environne, habite les rivière et couvre le fond de mers ? Peut y être permis à l’humanité de l’exclure de tous les soins, et de traiter cette foule incalculable d’êtres animaux, doués du sentiment, souvent même du discernement entre leurs bienfaiteurs et leur ennemis, comme l’herbe des chamois qui tombe sous la faux du moissonneur, ou comme le dur chêne de nos forêts qui gémit, sans le sentir, sous les coups de la hache qui le renverse ? Nous défendrions nous de toute compassion pour les espèces de créatures toutes bizarres qu’elles soient parce qu’elles semblent nous braver dans l’élément redoutable qu’elles habitent, ou parce que tenant un rang moins distingué dans les chaînes des êtres, elles conservent avec nous moins de rapports, se livrent moins à une familiarité qui nous intéresse et servent moins à nos plaisirs domestiques, quoiqu’elle fournissent peut être davantage à nos besoins ?</p>
<p>Mais parce que nous ne les rencontrons pas dans nos foyers, parce qu’elle s vivent au sein des tempêtes manquent-elles pour cela à nos désirs ? Les courants rapides, les flots irrités ne les mettent pas à notre merci, en les jetant sur nos rivages. Dans quels abymes assez profonds peuvent elles nous dérober les jouissances qu’elles promettent à notre inépuisable industrie, une fois entre nos mains, quelque soit leur infériorité ? Dans le rang des créatures animales, leur traitement doit-il dépendre de leur amabilité plutôt que de notre humanité ? Ne les trouvons nous pas déjà assez misérables d’êtres devenus notre conquête au prix de tous les biens que leur avait légués la nature, la nécessité qui nous donne le droit de leur ôter la vie, y aurait-elle ajouté sans raison celui de la terminer par une mort cruelle ? Faudra-t-il que nous oublions toujours que les habitants de la terre ou des eaux qui respirent si près de nous, et que nous écrasons sans pitié, ou que nous livrons gaiement dans nos distractions à toutes sortes de tortures, quoique étant privés du rayon céleste qui nous éclaire sont cependant pétris du même limon que nous, repoussent comme nous dans la douleur et la mort, hélas sans attendre comme nous rien après elles ?<br />
Ce qui révolte surtout dans le délit si commun contre l’humanité, c’est la triste fin des animaux domestiques et nos barbares procédés envers eux soit lorsqu’ils sont admis à couvrir nos tables, soit lorsque leur chair moins délicate doit les en exclure, en cessant de respirer, ils cessent de nous devenir utiles. Voyez ce cheval, l’orgueil de son maitre, qu’il avait sauvé dans les combats, qu’il avait conduit tant de fois à la victoire, aux approches duquel il frémissait de joie et frappant du pied impatiemment la terre ; il a vieilli enfin sous le toit où il avait été élevé ; ses forces se sont affaiblies, il ne pouvait plus figurer avec le même éclat sous son brillant équipage. Dés lors tous ses longs services ont été oubliés ; un autre a pris sa place, on le livre à des étrangers qui ne lui doivent aucune reconnaissance et qui se pressent de consumer le reste de ses forces épuisées, bientôt il change encore de tyran : ce dernier à force de coup et de retranchement douloureux aggrave de jour en jour les maux sous lesquels il doit succomber enfin couvert de palies, et attestant par son effrayant maigreur l’ingratitude et la cruauté de l’espèce humaine.</p>
<p>Un autre esclave, moins séduisant, aussi fidèle, peut-être plus utile à l’homme est constamment occupé à le soulager. Du travail que lui impose la nature, à ouvrir avec lui ses guérets, à trainer ses fardeaux : rouste, patient, docile et soumis, avec une masse des armes si redoutables, il obéit à un enfant, il ne rebute pas des plus grands efforts, il décuple le produit du champ que le laboureur ne parviendrait jamais à féconder de ses propres sueurs, qui sans celle du bœuf infatigable, n’arroseraient souvent que des ronces. Plus sobre encore et plus familière la mère des jeunes taureaux qui bondissent autour d’elle est depuis des longues années la compagnie, le trésor de la maison, la nourrice de la famille entière ; elle offre deux fois dans la journée son breuvage substantiel et délicieux, ressource souvent unique pour les enfants et les malades, aliment qui se prépare sous toutes les formes, si analogue à tous nos besoins, qui a rendu sacré dans quelques pays les précieux quadrupèdes qui le donnent.<br />
Sans doute une vieillesse heureuse est promise à ces animaux bien faisant, au moins dans les réduits champêtres où ils ont prodigué leurs dons et où il doit rester encore quelques sentiments que n’auront pas corrompu les villes. Mais hélas l’intérêt est seul écouté : ses conseils ont tout réglé sur tous les coins de la terre, comme la cupidité peut tirer parti même après la mort de ses amis, de la maison, quand ils deviennent impuissants au travail ; ou quand la source de leur lait se tarit, un impitoyable boucher vient les saisir, voici le comble d’une barbarie dont le spectacle fait horreur, et dont le seul souvenir est un tourment, au lieu de hâter la mort d’abréger le supplice de ces victimes infortunées, il arrive souvent afin d’en attendrir la chair filandreuse et d’offrir un attrait de plus à la sensualité qui la paye, il arrive souvent que le ministre sanguinaire (barré) trop complaisant de toutes nos fantaisies cruelles, fatigue de courses excessives ; garrotte ensuite outre mesure l’animal qu’il va égorger, irrite à dessein sa fureur, à force de tiraillements et de blessure le fait écumer de rage, et lance sur lui, quand il, déjà rendu de lassitude et de douleurs, des chiens exercés à enfoncer leurs dents aigues, dans les parties les plus sensibles qu’ils morcellent sans désemparer avec une acharnement que redoublent encore leurs cris affreux de victoire mêlés à l’épouvantables mugissements ?<br />
Autre part, dans une enceinte plus resserrée et avec moins d’éclat, la scène estimée d’un cuisinier consisterait à faire expirer l’enfance encore si tendre d’un animal si précieux à nous fermes. Sous une atroce flagellation, pour leur seul triomphe d’avoir trompé des bouches exercées autant que défiantes et d’avoir attaché un goût de venaison à une viande déjà savoureuse et qui n’en devenait pas meilleure.<br />
Que d’horreurs en raffinements de ce genre qui doivent rester ignorées mais qui ne le cèdent peut être qu’à celle de cet exécrable gourmand qui fait jeter des esclaves dans ses viviers pour donner à ces carpes un goût plus exquis.<br />
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Il est peu d’hommes sans doute qui témoins de tant de cruautés inutiles et surtout de la lutte révoltante d’un animal criblé de plaies qui se débat vainement contre une meute de chiens appliqués à boire son sang et à épuiser ses blessures, en consentissent à tout souffrir plutôt que ce spectacle déchirant ; et à s’interdire dans leur repas quelques sensations appréciables plutôt que de prolonger une agonie si douloureuse. Mais les cœurs ou la compassion ne s’éveille que par les yeux et après de si rudes ébranlements, oublient bientôt ce que les sens ont cessé de leur rapporter avec la même force, ou se prévalent de cette opinion commode qu’on n’autorise pas toujours les cruautés, dont on profite tandis que la vile et grossière avarice toujours pressée par les mêmes aiguillons sait avec plus d’adresse et de suite établir ses calculs, sur l’inconséquence, et la froide sensualité des acheteurs ; et mettre un prix à l’art de faire expirer son patient avec une lenteur graduée, et compter pour ses ventes les convulsions les cris et tous les moment d’un supplice.</p>
<p>Jusqu’ici la molle sensualité et l’âpre cupidité nous expliquent les raisons de tant de barbaries, mais qui croirait qu’on peut les commettre pour le plaisir seul d’y assister et qu’une étrange curiosité viennent quelques fois dans les boucheries jouir d’une agonie effrayante, y coopérer souvent pour en être plus voisins, et épier avidement les derniers spasmes et les derniers soupirs d’un animal mourant dans d’affreuses angoisses ?<br />
De quelle nature est donc le plaisir qui doit causer tant de frissons aux cœurs les plus intrépides ? Serait-il vrai que l’homme put parvenir à se faire un besoin de sensations les plus pénibles, et qu’il leur fallu alors des cris du sang, des morts violentes ? Ah ce serait de ses maladies les plus dangereuses, malheurs aux villes qui le fomenteraient dans leur sein au lieu de la guérir ! Loin des peuples les jeux sanglants, les combats d’animaux, d’un établissement chez les nations même qui acquièrent quelque gloire, remonte à des époques qui ne furent illustres que pour le courage, précédèrent de beaucoup celles de la civilisation. Si nos pères tinrent à leur honneur auprès de la postérité de s’y être distingués, nous avons récemment placé le notre avec plus de sagesse, à en abolir jusqu’au derniers vestiges. Quelles mœurs en effet peuvent s’allier avec des fêtes où l’on se plait aux rugissements des bêtes furieuses, où l’on applaudit à la férocité qui dirige les coups mortels, et où l’on se divertit en faisant couler le sang à gros bouillons, des risques multipliés qui y mêlent souvent celui des hommes, et qui exposent également l’acteur et le spectateur à l’indomptable courroux de l’animal qui franchit les barrières pour éviter la dent de son vainqueur farouche ou les coups redoublé de sa lance qui le menacent de toutes parts ?</p>
<p>Quels délassement pour les âmes sensibles ! Quelle école des vertus sociales ; les peuples passionnés pour les jeux en sortiraient-ils plus religieux, plus éclairés, plus amis de l’humanité ? De la patrie, de la paix domestique, plus éloignés de la vengeance, des querelles de l’homicide de tous les crimes qui troublent le monde ?<br />
Ou du moins n’y recevraient-ils point d’impressions funestes, et retourneraient-ils à leurs occupations aussi modérés, aussi justes aussi calmes qu’auparavant ?<br />
Non, non il n’est pas indifférent de s’accoutumer aux actes sanguinaires, aux symptômes effrayant de l’agonie, aux convulsions des grandes douleurs, comme les coffres de son instruments, les fibres de nos organes, sollicités par de fortes impulsions se détendent bientôt, et perdent tout leur ressort. Quand on est parvenu à considérer d’une œil sec ce qu’il y a de plus puisant pour nous émouvoir, ce qui bouleverse le commun des hommes, les palpitations d’un cadavre expirants étendu à nos pieds, à entendre froidement ses sanglots interrompus le bruit sourd et étouffé des dernières exhalations de la vie, que reste-t-il alors d’énergique et d’efficace pour remuer de pareilles âmes ? Puisque le spectacle le plus déchirant n’a plus de prise sur le témoin glacé qui s’y est endurci par une honteuse assiduité ? puisque les accidents de la mort si j’ose ainsi parler, ne peuvent plus passer de son oreille à son cœur ; ce cœur survivra-t-il aux gémissement timides du chagrin et de la misère ? les larmes de l’innocence et du repentir désarmeront-elles des bras menaçants dans des sinistres projets. Que je vous plains, enfants, serviteurs, épouses qui subissez les lois d’un tel maitre qui vous rencontrerez sous ses pas au moment de quelques contradictions ! gardez vous de vous opposer à sa volonté suprême. Tremblez même en vous justifiants. Il se félicite de l’effroi qu’il inspire ; votre soumission, vos humbles excuses votre désespoir demanderont à grand cris miséricordes, et ne l’obtiendront pas de ce caractère féroce si imprudent qui attendra l’explosion de sa colère, et qui ne fuira pas au premier signe de la rage qui va fondre sur lui en grêle de coups et d’injures : une pitié tardive quand il sera terrassé ne viendra pas même à son secours.<br />
Quoique les excès ne soient communs que dans les classes populaires pour qui je parle ; ils ne sont cependant pas inouïs dans les autres ; et quoiqu’il n’y ait rien peut être à craindre de si brutal de la part de ces hommes aussi endurcis que polis par le commerce de la bonne société ; Ce sont toujours eux qui offrent le moins de prise au sentiment, malgré l’urbanité de ses manières, défiez vous de celui qui n’a pas frémi dés l’enfance à l’aspect d’un cadavre ; qui s’est familiarisé avec les récits où les spectacles qui respirent la fureur, et retracent les images de la férocité, qui s’est plu à être témoin d’événements tragiques, vous lui peindrez inutilement votre tendresse, en vain vous lui raconterez vos infortunes ; il vous verrait sans pâlir expirer vous-même entre ses mains ; c’est un cœur usé : la sensibilité n’est plus en lui que l’irritabilité de la colère ; ses nerfs sont fatigués de sensations trop fortes, des ébranlements des résistances qui en ont été la suite se sont raidis et paralysés à la longue ; leur action ne peut se réveiller qu’à l’éclair du poignard, sur les champ de bataille ou sur les théâtres du carnage.</p>
<p>Les nations même comme les individus prennent de leurs occupations et de leurs spectacles habituels le caractère humain ou féroce qui les distingue. Les peuples pasteurs et agricoles qui ont constamment sous les yeux les tableaux vivants de la campagne et les inclinations paisibles de leurs troupeaux ne conservent communément que des gouts simples ; des habitudes vertueuses, des passions douces, ils sont hospitaliers, compatissant, moins courageux, parce qu’ils ont moins besoin de courage. Les peuples chasseurs ont au contraire des moeurs plus farouches ; ils se font des guerres cruelles ; ils versent dans leurs querelles, comme dans leurs chasses le sang des hommes et celui des animaux avec la même tranquillité, que s’ils se nourrissaient les uns des autres ;<br />
S’il n’est pas défendu de rappeler ici ce qu’il devrait être donné à l’amertume de nos aveux et de nos larmes d’effacer de notre histoire, n’a-t-on pas vu éclore presque subitement une multitude de monstres sur une terre renommé par la douceur de ses habitants et comment pendant un petit nombre d’années plus d’horreurs que n’en fournit une longue succession de siècles ? Où en faut-il chercher d’autres causes que dans la contagion d’une férocité restée impunie et pour ainsi dire offerte en exemple, la populace s’accoutuma à des secousses violentes à des atrocités qui en se multipliant devinrent bientôt un besoin pour elle. A force de spectacles sanglants, sortis de cette foule exaltée par eux jusqu’à la frénésie des espèces de cannibales à qui il ne suffisait plus d’assister à des boucheries d’homme journalières, les témoins voulurent y prendre part et ils se montrèrent glorieux de porter au moins en trophée les membres qu’ils arrachaient de leurs trônes roulés dans la fange : et quelques uns ambitionnaient encore d’avoir bu le sang des plus respectables victimes de leur fureur.<br />
Une vielle expérience avait tellement accrédité l’opinion que les hommes familiarisés avec le sang étaient les plus propres aux révoltes et aux attentats, qu’on a toujours tenté de les y entraîner pour y aguerrir la multitude. Les hideux satellites de Marius et de Silla qui faisaient tomber la tête des proscrits au premier coup d’œil des triumvirs dont tous les pas en se promenant dans Rome coûtaient la vie à quelques citoyens étaient des gladiateurs en grande partie et des esclaves destinés aux combats des bêtes féroces. C’est parmi ces bandes de scélérats vouées aux meurtres et au mépris de la vie humaine, que se perpétuait le véritable esprit des massacres et que le serment dans les cirques, dans les Colisées, les légions d’assassins aux gages des factieux et des tyrans, et que s’aiguisaient aux poignards qui les renouvelaient sans cesse.<br />
Mais sans remonter si haut, et pour ne pas s’arrêter trop près de nous, ouvrons encore notre histoire à l’époque le plus déplorable, celle des troubles causés par la faction des Armagnacs et des Bourguignons, ne fut ce pas la fameuse troupe des cabochiens qui bouleversa Paris (sous la direction des bouchers effacés d’un trait !) et qui y commit des horreurs qu’on ne peut comparer qu’à la plupart de celle dont nous fûmes les témoins ?</p>
<p>Loin de moi cependant la pensée d’attaquer une profession nécessaire à la société, et d’atténuer parmi nous l’estime due à une classe d’hommes utiles, dont plusieurs doivent à un heureux naturel ou de s’être préservés de cette dureté qui serait le tort de leurs occupations et non de leur cœur ; ou d’y avoir remédié par des principes religieux, et par l’exercice habituel d’une bienfaisance réfléchie, qui ne s’applique à qu’à augmenter ses moyens de fortune que pour multiplier les secours à l’indigence.<br />
Puisqu’enfin il est si difficile de se garantir de l’influence d’un métier qui paralyse bientôt les organes des sentiments, puisqu’il est impossible d’anéantir toutes les causes d’une maladie si funeste à l’homme il faut tacher au moins d’en amortir l’action journalière par la surveillance la plus attentive à tout ce qui peut dégrader les mœurs ou prévenir la férocité, mais on s’efforcerait en vain d’atteindre à ce but honnête ; et de protéger efficacement les animaux contre notre despotisme et nos caprices. Si en avouant franchement qu’il sont sous l’empire de l’homme qui peut les employer et les sacrifier à ses besoins, on en travaillait à le convaincre en même temps que comme il sont sujets à leur douleur, et aussi susceptibles que nous des plus vives souffrances, il ne saurait être douteux, que le créateur qui nous a abandonné leur sort ne se soit plutôt proposé de l’adoucir, en le remettant entre nos mains, que d’y ajouter de nouvelles vigueurs.</p>
<p>A quelle fin aurait-il mis en effet dans notre lueur, cette pitié approuvée même malgré nous pour le reptile malfaisant que nous avons fortuitement écrasé ? Pour qui la conscience secrète de nos injustes brutalités envers les animaux d’accord avec la raison nous rend elle si honteux même à nos propres yeux de cet abus de forces à leur égard ? Ne sont ce pas là les interprètes du maître commun qui stipule avec nous les conditions de leur esclavage ? Ne sont pas là les garants devant lui, qu’en échange de leurs travaux ils obtiendront par son soin une nourriture suffisante et les ménagements nécessaires ? Que devenus inutiles et rentrant dans la classe de ceux qui ne peuvent vous apporter quelque profit que par leur mort, on ne leur refusera pas au moins la plus douce, et que le prix de leurs sueurs pénibles, de leurs anciennes affections, de leurs services continus, ne sera pas un supplice gratuit rendu encore plus inexcusable quand il n’a de motifs que les petites recherches du luxe ou de la sensualité ?</p>
<p>Ne serait-il donc pas à souhaiter que les inspirations de l’humanité, les maximes de conduite et conformes à la nature fussent insérées dans la morale du peuple et répétées dans des instructions et des écrits à sa portée, que la religion ne désavouerait pas, mais comme leurs recommandations ne sont pas toujours soigneusement écoutées ; qu’il est des passions plus fortes que la pitié, et que la voix de l’intérêt est ordinairement plus efficace que celle de la raison, puisque la colère, l’avarice, et tant d’autres sentiments impétueux ou vils exposent les animaux. Surtout ceux qui sont dans la dépendance de l’homme aux traitements les plus iniques, j’ose dire les plus ingrats ; serait-il au dessous de la majesté des lois de prendre en quelque considération des êtres qui sont d’une si grand secours à la société, et qui contribuent si directement à la prospérité des Etats ? Envers qui d’ailleurs tous les procédés brutaux déposent contre l’homme qui se les permet et finissent par le dégrader. Le sénat d’une république fameuse s’irrita autrefois contre un enfant qui avait étouffé un oiseau dans ses main, Domitien occupait une partie de la journée dans sa délicieuse maison sur le lac d’Albane à enfiler des mouches avec un pinçon d’or inspira peut être moins de haine et de mépris par ses vices profonds et par les meurtres de tant de sénateurs, que par cet amusement cruel et bizarre, où le peuple romain crut déceler le gout secret du sang et de la destruction.</p>
<p>Après avoir publié des règlements indispensables sur l’éducation et la propagation des bestiaux, le pris et la qualité des nourritures, l’âge du tail [?] , la police des tueries, des charrois, sur la pêche, la chasse, la conservation ou l’amélioration des espèces que pourrait-on reprocher au gouvernement s’il ajoutait à ces premières lois quelques ordonnances particulières qui sauvassent de la brutale tyrannie du peuple des esclaves, des prisonniers malheureux destinés à son joug, à sa table, et non à ses barbares caprices ?</p>
<p>Pourquoi ne serait-il pas à des magistrats humains s’intéressant au commerce et à la multiplication des bêtes de somme qui n’en sont pas les agents les moins nécessaires, de veiller à ce qu’elles ne succombassent pas sous l’excès de leurs charges ?<br />
Combien n’est il pas commun de les voir expirantes étendues au milieu des routes sous le fouet de leur impitoyable conducteur qui redouble de coups et d’imprécations à mesure que leurs forces s’épuisent sans aucun égard à leur disproportion toujours croissante avec le chemin qu’elles font et la masse qu’elles trainent.</p>
<p>Sans vouloir même relever d’aucun éloge l’école vétérinaire envisagée sous l’unique aspect de son utilité pour le salut des animaux domestiques qu’elle arrache à tant d’accidents mortels et qu’elle préserve de tant de maux ; il eut suffi pour applaudir à son établissement de la considérer comme le plus grand bienfait envers les propriétaires de ces animaux dans les campagnes, dont la vie dépend pour ainsi parler de celle de leurs troupeaux. Je ne crains pas même d’assurer que cette ressource oubliée des anciens attirera longtemps des bénédictions au ministre éclairé qui en prévit les heureux effets, et à ceux qui ne méprisèrent pas assez les villages et les étables pour les abandonner totalement aux épizooties qui les désolent et pour les priver des médecins, des remèdes et des soulagements qui hors de leur portée, étaient cependant prodiguées dans les villes.<br />
Mais il serait peut ni moins important ni plus impraticable de prévenir les maladies de ces mêmes animaux que de les en guérir, en fixant dans une certaine latitude le poids qu’ont imposé à chaque bête de somme, la route et le travail qu’elle peut faire par jour, les moyens de correction qui serait permis pour la dompter, ou la stimuler dans sa paresse. Si on rendait responsable de ceux qui auraient excédé de mauvais traitements ou de fatigues les animaux confiés à leur discrétion, qui leur aurait épargné sordidement une nourriture mesurée sur leurs travaux, on réussirait du moins en certaines circonstances à soustraire au dépérissement et à la langueur, à tant de violences meurtrières des serviteurs dociles qui faisaient plus longtemps la richesse de leurs maitres, si ceux-ci pouvaient se résoudre à devenir un peu moins leurs tyrans.<br />
Il est encore un scandale relatif au sujet que je traite trop fréquent surtout dans nos villes, et regardé peut être comme incorrigible ; mais que je ne saurais taire en cette occasion par l’influence qu’il a sur les mœurs de la jeunesse dans les classes les plus nombreuses, c’est ce langage infernal parlé aux animaux qui apprend à l’enfance même à ne proférer habituellement que les termes du mépris de la fureur, ou des plus infâmes turpitudes, à ne faire retentir nos rues que d’imprécations et de blasphèmes les premiers sons qui frappent l’oreille de l’âge tendre ; les signes si grossiers d’emportement laissent des impressions ineffaçables et infectent quelque fois l’éducation des rangs les plus élevés. Bien que ce mal ne soit que trop enraciné, peut être n’est il pas encore incurable, ne restons pas sans espoir de le diminuer au moins après de longs efforts en fermant la bouche par quelques menaces, ou par quelques punitions modérées mais promptes à ceux qui seraient surpris effrayant l’innocence de leurs exécrables propos. Rien au reste ne serait si infructueux que d’attaquer les habitudes scandaleuses sans l’entremise de l’autorité, et d’en confier le soin à la seule persuasion et au ministère évangélique qui y échouent depuis si longtemps.*</p>
<p>A la vaine objection qu’on est obligé d’employer les mots aussi sonores qu’insignifiant pour remuer efficacement des organes rétifs et paresseux, il est aisé de répondre que les mots qui paraissent signifier peu pour celui qui les prononce signifient souvent davantage pour celui qui les écoute ; qu’on les remplacerait facilement par des termes aussi énergiques et moins révoltants, que d’ailleurs il est des hommes et des contrées même qui n’en connaissent presque pas l’usage. Dans une grande partie de l’Italie, on n’adresse communément aux chevaux et à tout autre sorte de bétail que des sons inarticulés et même assez bas qui suffisent pour qu’ils discernent le sens de la voix qui leur est connue.<br />
Mais si une police éclairée veille à ce point sur la conduite de l’homme envers les animaux qu’il a choisis pour vivre avec lui sous le même toit, pendant le temps qu’ils restent compagnons de ses travaux et de ses voyages, elle doit encore moins les abandonner tout à faire, lorsqu’ils sont condamnés à une mort prochaine et à sacrifier leur existence à la notre.<br />
La seule idée de se repaitre du sang d’un être vivant d’approcher de ses lèvres la chair encore fumante a du jadis causer un effroi que la faim seule à pu vaincre. Le premier qui céda à ce besoin impérieux fit trembler sans doute celui qui ne l’éprouvait pas. Il est encore des régions et des sectes où l’on ne conçoit de boucheries que chez les tigres, et où l’on en peut se représenter sans horreur des hommes assis à un festin chargé de divers cadavres que l’art même n’a pas rendus méconnaissables. Le temps des climats moins heureux, une multiplication d’hommes inespérée, des fléaux sans remèdes, des disettes plus générales, triomphèrent à la fin du préjugé si pardonnable qui luttait contre le besoin de donner la mort afin de ne pas la subir. Plus les premiers efforts pour vaincre le dégoût affreux durent coûter, moins les seconds devinrent difficiles. Le sentiment qui peut surmonter les premières répugnances n’a plus de proportion avec toutes les autres.</p>
<p>Mais puisque l’usage de la chair animale a si légitimement prévalu, et qu’il est prouvé sans réplique et évidemment établi que le maitre d’ôter la vie ne l’est pas toujours d’en choisir la manière, et que l’animal condamné à la mort ne peut pas l’être à un supplice dont aucun besoin ne justifierait la durée, ne forme-t-on pas des vœux pour faire cesser là dessus le silence de la loi pour que les victimes qu’on est forcé tous les jours d’égorger et en si grand nombre ne soient pas entièrement livrées à la discrétion de quelques hommes qui pourraient devenir coupables de barbarie dont les effets les plus redoutables ne sont pas ceux que l’animal éprouve ; ou ceux qui agissent même sur le moral de ses bourreaux ? Il n’en est encore d’aussi infaillibles et de plus pernicieux, c’est de flatter notre sensualité à un si haut prix ; de l’accoutumer à se satisfaire quoiqu’il en coûte, et de nous familiariser avec ce monstrueux égoïsme qui nous isole de tous les êtres souffrants, et qui nous amènerait à compter pour rien dans la suite les malheurs, les crimes les meurtres mêmes dont nous pourrions tirer quelques légers avantages, quelques satisfactions nouvelles.</p>
<p>L’humanité sous tous ces rapports invoque les anciens règlements et sollicite ceux qui seraient nécessaires encore pour empêcher l’homme qui n’a pas un cœur, d’abuser de son pouvoir sur l’animal domestique ; d’oublier envers lui la dette de sa reconnaissance jusqu’à le livrer quand la fin est prochaine à d’autres animaux rendus cruels à dessein ou à des ministres de morts échauffés de vin ou de colère qui lui arrachant la vie ne s’interdisent pas avec assez de scrupules toutes les cruautés gratuites que la cupidité le caprice ou la fureur inspirent. Dés qu’on sait que l’effusion du sang en donne imperceptiblement la soif, qui empêche une police attentive de fermer les boucheries au moment où s’y font les apprêts d’une exécution sanglante ; d’en interdire particulièrement l’entrée à la jeunesse si avide de sensations nouvelles que susceptibles d’une fausse ostentation de courage, et de s’opposer à ce que ceux qui ne sont pas destinés à un si triste métier se fissent un point d’honneur de perdre leur sensibilité aux cris affreux de l’animal terrassé qui se débat sous le couteau ; ou d’avoir vu sans pâlir teindre leurs vêtements des flots de son sang et ouvrir ses flancs échauffés où il circulait encore ?</p>
<p>Le suffrage de tous les amis de l’ordre et de toutes les âmes sensibles à la pitié ne serait-il pas promis de même au magistrat qui étendant ses vues au-delà de l’enceinte de nos maisons et de nos cités, ne regarderait pas tout à fait comme étrangers à ses soins les sauvages habitants de landes et de forêts qui quoiqu’indépendants de l’homme et souvent armés contre lui ne peuvent cependant lui échapper, et semblent ne l’attaquer ou ne le fuir que pour venir tomber plus promptement sous ses traits ou s’enfermer dans ses pièges ?<br />
En convenant qu’à la pêche, à la chasse, comme à la guerre le droit de conquête est le moins contesté, reconnaissons aussi qu’il en faut user avec quelques modérations et puisque si peu d’hommes sont capables de cette réserve quand il peuvent y manquer impunément que la plupart n’ont point de lendemain, et voudraient engloutir en un jour tout ce que le hasard peut leur offrir fixons donc des limites à leur insatiable avidité : mettons au moins au couvert certains animaux des massacres indiscrets qui menacent en plusieurs lieus la durée de l’espèce toute entière, ne laissons pas exterminer à pure perte en un jour ce qu’il coûte à la nature tant de temps et tant d’art à produire. Les animaux malfaisants épargnent eux même le gibier qu’ils ne peuvent emporter. Le seul homme se fait un jeu de mettre en pièces celui même qu’il dédaigne et qu’il devra regretter un jour.<br />
Mais je m’aperçois que j’étends peut-être mes voeux sinon au-delà des bornes de l’autorité civile, du moins au-delà de celle qui sont marquées à sa surveillance pour l’exécution de ses ordres. Je hasarderai cependant encore un conseil pour le châtiment de luxe qui brisant dans un aveugle dépit les yeux des oiseaux, mettent à mort les petits qui viennent d’éclore, ou appauvrissent les rivières, en refusant sans d’autres motifs que d’exercer un pouvoir destructeur de leur rendre les informes et innombrables enfants qu’elles réclament, afin qu’ils viennent prendre l’accroissement et la force sans lesquels on n’en peut tirer aucun parti. Plus coupable encore et plus punissable est le barbare matelot qui laisse périr dans de cruelles angoisses l’amphibie enchaîné à sa pesante maison ; riche découverte au mieux des voyages de long cours, abondante précieuse ressource pour le marin qui se n’empare. Il ne peut lui être défendu sans doute de renverser sur son toit immobile le poisson défiant qui lui échapperait sans cette mesure : mais il pêche doublement contre l’humanité s’il abandonne quand sa chaloupe est pleine, sur un sable brulant les mourantes tortues, sans songer à l’horreur de leur situation, et au besoin des vaisseaux qui aborderont les plages désirées, afin d’y chercher les provisions pour leur équipage et des remèdes à ses maladies.</p>
<p>Si cette cause, quelque juste qu’elle soit n’était plaidée sans mission qui devant un public égoïste soigneusement en farde contre tout appel sérieux à son équité et à son humanité, le défenseur des animaux n’obtiendrait sans doute qu’un sourire moqueur de ces hommes qui aiment mieux cacher leur dureté sous des plaisanteries ou l’autoriser d’une vain étalage de science et de subtilités que de s’attendrir un instant sur de maux à qui ils seraient forcés d’accorder de la compassion ; s’ils ne prenaient le parti d’en nier l’existence. Ils ne s’aperçoivent pas que tout le stoïcisme de cette philosophie qui se prétend supérieure à tous les sentiments et à tous les préjugés, consiste dans le fait de mépriser ce que les opinions qui l’assujettissent, à devoir ? Ou les douleurs qui ne peuvent l’atteindre et à ne rougir que d’une faiblesse de cœur trop incommode sur les infortunes d’autrui.</p>
<p><br />
Pour moi, persuadé qu’on ne doit rougir que de sa force en pareille occasions, et appelé par le premier tribunal de l’opinion et de la philosophie à traiter une question qu’il a du juger d’un intérêt majeur, en la proposant et en désirant même d’attacher à ses résultats le sceau des lois, j’ai tenté d’approcher du sujet et d’amollir encore par quelques considérations touchantes les âmes sensibles sur le sort de ces êtres si négligés, jouets de toutes nos passions à qui nous devons néanmoins presque toutes les sources de notre vie, et qui en partagent toutes les souffrances, triste apanage de l’animalité commune entre eux et nous.<br />
J’ai même osé croire qu’il ne pouvait être au dessous de la dignité du gouvernement de manifester quelque intérêt pour tous ce qui venait respirer dans ses domaines, et de resserrer sous son empire celui de la douleur qui quelque part que s’exerce son empire souverain. S’il laisse périr ou souffrir sans motif il se déshonore, il en a toujours s’il conserve, et s’il soulage ; alors il ne peut s’avilir. Que sommes nous devant le créateur de l’univers ? Nous parait-il moins grand quand il prend pitié de nos peines ? Aux yeux de qui enfin serait impensable ou superflu d’asserter d’une nation polie tout ce qui doit tendre à altérer la douceur de ses mœurs, ou y affaiblir la sensibilité qui est le ressort de toutes les vertus sociales, et à y ramener la grossièreté et la férocité dont les brusques et derniers effets nous épouvantent encore.<br />
Les dépositaires du pouvoir qui ne négligeront pas de telles mesures montreront qu’ils sont approfondi la nature humaine ; qu’ils n’ont pas infructueusement étudié la constitution des cités et senti l’influence des petits moyens sur les grands effets, à l’exemple des législateurs anciens les plus éclairés qui se sont emparés de tous les détails de la vie domestique, et qui sen sont appliqués à former les mœurs par des lois, afin que les lois subsistassent ensuite par les moeurs. La population la richesse, la paix des familles la prospérité de l’Etat seront le prix de tant de sagesse et l’on sera jaloux de vivre sous un gouvernement dont la généreuse surveillance et les actions bienfaisantes s’étendront non seulement sur les hommes mais encore sur les animaux qui vient entre ses vastes limites.<br />
Fin</p>
<div class="citation">
<blockquote>
<h4>Soyez donc leurs tombeaux, vivez de leurs trépas<br />
amis d’un tourment sans fruit ne les accablez pas<br />
Poème de la pitié chap. I<sup>er</sup></h4>
</blockquote>
</div>
<p>L. R le Saunier<br />
Département du Jura</p>4. Dissertation 4urn:md5:e1bfafe7dfccdc948bfa2d27281406c82016-10-12T15:42:00+02:002016-10-12T14:53:04+02:00anacharsisDissertations<p>Jean-Suzanne Martin ne laisse d’autre indication que celle d’habiter « à l’adresse du citoyen Isaac Bassoua, propriétaire à Caraman », Haute-Garonne.</p> <div class="citation">
<blockquote>
<h4>Discite justitiam monite et non temere Divos. Virg</h4>
</blockquote>
</div>
<p>Les traitements barbares exercés sur les animaux sans nécessité pour des besoins physiques, sans autorisation, sans avantage pour l’humanité, ne doivent être différemment considérés, que ceux exercés sur des hommes, que parce que ces actions n’ont encore eu pour objet que des animaux et que ces traitements exercés sur des hommes ont déjà produit le mal ou une partie du mal qu’il pouvaient produire ; mais si l’on considère qu’ils peuvent bientôt étendre leurs effets jusqu’aux hommes, il faudra y faire attention et prendre des mesures pour éviter qu’ils ne leur deviennent nuisibles : il importe peu que ceux qui les maltraitent ignorent ou n’ignorent pas que les animaux sont sensibles.</p>
<p>[…] Les animaux pris généralement ne se doivent rien entre eux [2] s’ils ne s’affectent pas des maux de leurs semblables ; outre plusieurs autres qualités qui les caractérisent c’est aussi peut-être parce qu’ils sont sujets aux mêmes incommodités, qu’ils ont les mêmes goûts, qu’ils se chérissent plus particulièrement : et qu’ils sont reconnus par espèces. Ce n’est ni sous le rapport de leurs douleurs, de leur ressemblance, ni de leurs inclinations, que l’on doit les considérer ; mais c’est sous le rapport de leur sensibilité, ou de leur dureté qu’on doit déterminer ce qu’ils se doivent, pour les estimer en général, bon ou mauvais ; mais dans la législation dont il s’agit ici, on ne doit les considérer que sous le rapport que leurs actions peuvent influer sur le bonheur des hommes, ou sur l’ordre social seulement : la proposition ne devrait pas, non plus, être prise généralement, dans cette section de lois particulières à l’égard des sensations dont s’occuperaient les lois, si on en causait et l’étendre à tous les animaux en général qui peuvent nuire puisqu’on n’a eu point à s’occuper de toutes les espèces d’animaux, mais d’une seule ; on devrait distinguer aussi, celles des sensations qui avancent d’une plus grande sensibilité, de la part de celui qui les éprouve et qui agit, pour les estimer plus au moins 11 graves, plus ou moins louables, je me sers de ces expressions, souvent qu’elles sont plus avantageuses, ou plus préjudiciables à ceux sur qui doivent retomber les effets des actions, qui en font la suite ; sur lesquelles sensations, ils s’arrêtent, plus ou moins, il est plus ou moins probable qu’ils ont voulu faire du mal ; ceux des animaux par conséquent qui compatissent, d’avec ceux qui ne s’affectent pas, n’appliquer le [3] principe qu’aux hommes, puisqu’on ne voudrait former que les mœurs des hommes et juger l’intention ; juger différemment celles des actions, qui sont l’effet de la réflexion, d’avec celles qui ne suivent qu’un mouvement naturel, ou une obligation utile, par conséquent digne de louange, ne jamais se déterminer pour les peines, qu’après une pleine conviction, s’ils s’agissait d’une explication de peine. […]<br />
[6] Nos sensations comme nos pensées, ainsi que les mouvements et les idées qui les précédent, sont acquises ; ainsi que nos sentiments, qui en résultent après que nous avons délibéré, ou si en contemplant, le plaisir et l’aversion que nous ressentons, ou la manière dont nous sommes émus, qui donnent le caractère à nos sentiments, nous ne voyons [7] pas un tel danger, qui nous porte à prendre un parti violent, tandis qu’il n’y en a pas à prendre une voie de douceur, si, dis-je, nous nous décidons par goût ou par quelqu’autre intérêt, pour la méchanceté dès lors nous sommes coupables et méchants.<br />
Il faut prendre contre toute espèce de brutalité, envers un être vivant quelconque, ou tout autre animal insensible qui serait à craindre (a)<br />
Ici l’on confond tout être qui peut nuire compris sous le mot animal.<br />
Des précautions qu’on prendrait contre un homme ou tout autre animal supposé réfléchi, qui aurait à n’en pouvoir douter des dispositions à nuire, à qui il en coûterait de se décider à faire souffrir, cet être dur, ainsi que cet être insensible, puisque la conduite serait à craindre, serait redoutable aux hommes : dès qu’il est assuré, qu’il y a de la barbarie dans sa manière d’agir, et qu’il a cependant franchi les bornes de la modération, il ne peut plus rien attendre de bon de son naturel, que pourrait-il arriver de mieux pour le salut des autres et à lui-même pour éviter leur aversion, si ce n’est qu’il fut tenu par un sentiment doux ; il a mérité leur haine, il a hésité par un mouvement d’horreur !<br />
Les hommes qui ont exercé des traitements barbares contre des animaux, avec intention de leur faire le mal qu’ils leur font [8] ou avec intention de leur nuire ; c’est-à-dire convaincus qu’ils font du mal, sont coupables envers la nature, envers l’humanité, ou envers la nature humaine, unum et idem. Ils ont fait silence à ce doux penchant d’une belle âme, pour tout ce qui est bon pour tout être sensible, si heureusement avantageux à l’espèce humaine et si salutaire à chaque individu : il n’est point de sûreté pour l’homme ; sa vie et son bien-être sont en danger ; ces dérèglements peuvent étendre leurs effets jusqu’à lui ; il n’est point de sûreté personnelle, ses droits civils ne seront pas infailliblement respectés : il n’y a pas même jusqu’à ses droits politiques qui ne puissent en souffrir : jusqu’où la corruption du cœur humain n’étend-elle pas ses ravages !... la politique a manqué son objet, le bonheur de l’homme policé n’a pas toute l’étendue qu’il pourrait avoir ; il n’est point de garantie, absolument parlant, contre de pareils excès, si l’on ne peut porter de remède [9] à ce mal qu’après en avoir senti les effets : nos habitudes viennent souvent de si loin que sans soupçonner que nous dussions les rapporter à des causes aussi éloignées, nous pourrions cependant leur donner une telle origine : c’est le cas de dire alors que qui est coupable de la cause est coupable de l’effet ; en péchant contre l’humanité, lorsque les dommages ne peuvent retomber que sur des brutes, ils n’ont encore aucune peine. L’Auteur de la nature ou notre propre sensibilité après une telle action, sont les seuls vengeurs compétents ; en outrageant l’humanité, sous le rapport que cette conduite peut devenir nuisible à leurs semblables, ils ont encore l’indignation des hommes qui en faisaient justice ; peut-être illégitimement eux-mêmes, si cela devient trop fréquent : la société doit-elle-même mettre un terme à ces attentats qui peuvent porter atteinte à l’ordre établi. […]<br />
[11] Les traitements barbares exercés sur les animaux sans nécessité pour des besoins physiques, gratuitement, sans profit pour la civilisation, sans avantage pour l’humanité, qui ne partent pas enfin d’un principe de vertu, qu’on aye éprouvé de la répugnance, ou qu’on n’en aye pas éprouvé, intéressent la morale publique, jusqu’à ce point et sous ce point de vue que ceux qui les exercent peuvent dans la suite, nuire aux hommes et porter atteinte à leur bonheur.<br />
Il paraît qu’on doit faire des lois contre ceux qui commettent des excès de cruauté, contre des animaux, sans y être [12] obligés, comme nous venons de le dire, pour donner une parfaite sécurité aux hommes, pour perfectionner la morale publique et pour faire en sorte d’arriver à faire jouir l’espèce humaine, de tout le bonheur dont elle est capable de jouir.<br />
[…]</p>5. Dissertation 5urn:md5:b163ec78e09e70712475424c7649817b2016-10-12T15:41:00+02:002016-10-12T14:51:40+02:00anacharsisDissertations<p>Par Amable, François, Samuel Blanquet fils, Mende, Lozère.</p> <p>À monsieur le Secrétaire perpétuel de la classe de sciences morales et politiques de l’Institut National.</p>
<p>À Paris.<br />
<br />
P. 1. Les hommes qui ont exercé des traitements barbares contre des animaux :<br />
( ) On a insisté sur les conduites que doivent tenir d’après les lois de la civilisation ceux qui ne sont pas doués des qualités du cas, pour ne pas être répréhensibles, parce qu’une manière d’agir contraire à la civilisation et à la bienfaisance, au maintien de l’harmonie de <…> et au bonheur des hommes est insupportable : la conduite d’une personne irréfléchie, d’un être pour jugement qui ne connaît pas ses véritables <...> intérêts, sa tranquillité, son bonheur, ou l’acte d’un <…>, il n’aurait même nécessité possible de parler en faveur des grands avantages qui résultent pour tout le monde de la sensibilité, <…> et de la confusion qui suivent la fuite des cœurs insensibles et des hommes qui n’ont pas ces avantages de la nature : quoiqu’il n’ait dans ce sens des lois pénales dont on devrait s’occuper pour <…> faire au programme de la barbarie qu’autant qu’il y a de la répugnance dans la conduite de celui qui agit et qu’on ne dût la considérer que relativement à la morale publique et qu’on n’ait pas proposé littéralement dans le sujet de s’occuper du sort de ces hommes infortunés, à moins qu’on n’ait voulu faire entendre qu’on devait s’en occuper aussi, et que tel ne soit le sens du sujet et l’institution de la classe.<br />
<br />
( ) Il n’est pas toujours nécessaire d’être averti de son devoir par une loi pour être tenu de faire le bien ou obligé de ne pas faire le mal, il suffit qu’on fasse le bien et qu’on soit capable de le faire pour qu’on soit tenu de le faire. Un gouvernement, des législateurs ne peuvent pas tout savoir, ne peuvent pas tout prévoir, ne peuvent même tout faire. Il s’agit de lois qui ne sont pas impératives pour que nous soyons tenus à des dommages, à des réparations, et même quelques fois à des peines afflictives ou infamantes, lorsqu’il ne nous a pas été prohibé de bien faire, faute de quoi <…> ou faute de quelques circonstances qui nous auront empêché de nous mettre à même de <…>. C’est un malheur si l’on veut que nous n’ayons pas eu ces secours, c’est un malheur qui ne peut retomber que sur nous si c’est nous que le malheur désigne pourquoi le rejetterions-nous sur un autre ; ( ) pourquoi le bien public en souffrirait-il pourquoi la société resterait-elle exposée et sans exemple [ ?] ;<br />
<br />
( ) Il ne peut jamais s’agir de la peine capitale ni de tout autre genre de peines afflictives ou infamantes : c’est une exception en faveur de l’innocence présumée.<br />
<br />
P. 2. […] ceux qui traitent les animaux avec l’intention de leur faire le mal qu’ils leur font ou avec intention de leur nuire, c’est à dire convaincus qu’ils font du mal, sont coupables envers la nature, envers l’humanité ou envers la nature humaine una et idem, ils ont fait violence à ce doux penchant d’une belle âme pour tout ce qui est bon pour un être sensible, si heureusement avantageux à l’espèce humaine et si salutaire à chaque individu : il n’est point de sureté pour l’homme, sa vie et son bien-être sont en danger, ces dérèglements peuvent étendre leurs effets jusqu’à lui ; il n’est point de sureté personnelle de droits qui ne seront pas infailliblement respectés : ses droits politiques peuvent en souffrir, il n’a pas même de dérèglement auquel l’on puisse s’attendre ; jusqu’où la corruption du Caïn humain n’étend-elle pas ses ravages ! Ils sont coupables prochainement envers la société ; il n’est pas de sureté publique ; les fondements des Etats peuvent être ébranlés.<br />
<br />
P. 4 […] en outrageant l’humanité sous le rapport que cette conduite peut ruiner ou devenir nuisible à leurs semblables, ils ont encouru l’indignation des hommes qui, sensibles à cette inconduite pourraient bien en faire justice illégitimement eux-mêmes si cela devenait trop fréquent ; la société doit-elle même mettre un terme à ces attentats qui peuvent nuire à la félicité et porter atteinte à l’ordre établi.<br />
Mais ce sont des hommes si mal organisés et tellement hors de sens, ou auxquels il arrive des choses si extraordinaires qu’ils n’ont jamais gouté les sensations qu’éprouvent ceux qui ont de la délicatesse dans les organes, ni jamais participé aux délicieuses jouissances de compatir aux maux d’autrui <…>. Mais s’il existe de ces hommes, s’il est de ces événements, qui a le droit de se plaindre ?<br />
Le législateur n’a garde de réformer la création. Son devoir est d’étudier la nature telle qu’elle est et de [produire ?] des moyens de civilisation les plus avantageux à la masse des habitants du pays qu’il constitue, de les faire parvenir à la perfection par les routes plus aisées.<br />
<br />
P. 7. Il paraît qu’on doit faire des lois ( ) et la raison semble y mener contre ceux qui commettent des excès de cruauté envers des animaux sans y être obligés comme nous venons de le dire pour donner une parfaite sécurité aux hommes, pour perfectionner la morale publique et pour faire en sorte d’arriver à faire jouir l’espèce humaine de tant de bonheur dont elle est capable de jouir.<br />
<br />
P. 8/9. Il faut des connaissances préliminaires sur la signification des mots ou des expressions employées dans ce mémoire, dont on a été obligé de fixer le sens pour pouvoir le suivre et expliquer comment sont coupables ceux qui exercent des traitements barbares sur les animaux.<br />
Les onze premiers mots ou expressions qui se trouvent dans les quatre premiers alinéas qu’on a cru devoir expliquer dans le mémoire, avant le mot cruauté, où l’on s’aperçoit naturellement du besoin de donner une connaissance exacte de certains mots, de certaines expressions ; et d’atteindre ou faire entendre la profondeur de leur signification sont numérotés et indiqués dans le vocabulaire dans le morceau ou membre de phrase qui y est rapporté d’après la lettre initiale de l’expression.<br />
Le morceau ou le membre de phrase sont reconnus par la différence de caractère.<br />
La perpendiculaire / indique dans le vocabulaire la fin du morceau ou du membre de phrase où ces expressions se trouvent dans le mémoire.<br />
Le n° sans parenthèse avant le mot ou l’expression définie, indique ou les expressions et leur définitions portées dans l’article ou vocabulaire, avec le même numéro en marge ou dans l’espace blanc qui divise la page : toujours sous la lettre initiale du mot ou de l’expression définis.<br />
Toutes les fois que ce mot ou que cette expression reparaitront et qu’ils ne seront pas désignés ainsi que ceux dont il n’est pas parlé, seront ou déjà définis ou facile à entendre comme définis sous un rapport, ou seront dans leurs acceptions connues.<br />
<br />
P. 10.<br />
Vocabulaire<br />
Ou signification des mots et des expressions qui ont paru devoir être expliqués.<br />
<br />
A.<br />
Quoiqu’un homme en maltraitant les bêtes n’ait pas cédé ni résisté parce qu’il est inconsidéré ou par toute autre raison et qu’il n’a pas senti des 1. affections/<br />
<br />
Affections, ( ), ( ), veut dire grand attachement, goût pour une chose, précédé d’un autre goût pour une autre considération qui n’a pu être fixé.<br />
<br />
( ) ce mot a été préféré au mot sensation par le compositeur quoiqu’il ne soit pas peut-être celui adopté par les auteurs qui n’expliquent ordinairement les mots que par des synonymes, ni par l’usage, et qu’il n’indique pas un attachement qui ne fait que commencer comme semble le dire le mot sensation parce qu’en hésitant, et lui étant libre de choisir les mots et les expressions certains, et de leur donner la valeur qu’il jugera à propos, pourvu qu’il la fixe et qu’il en avertisse le lecteur.<br />
<br />
B.<br />
<br />
Les traitements<br />
2. barbares exercés sur les animaux/.<br />
Barbares, joint par une figure à un être inanimé signifie l’action d’un être animé, barbare et cruel ainsi que pour les estimer<br />
3. Bons ou mauvais./<br />
Bons ou mauvais, généralement veut dire animaux dont on peut attendre quelque chose d’avantageux ou qui peuvent nuire ou que la détermination qu’a prise un animal quelconque lors qu’il a estimé s’il devait céder aux impressions et aux sensations qui étaient avantageuses ou nuisibles …<br />
4. Brutal veut dire qui affecte d’une manière inefficace pour altérer les autres.<br />
5. Barbarie signifie dureté, cruauté, disposition à faire le mal.<br />
<br />
C.<br />
<br />
6. Cruauté veut dire dureté, insensibilité ainsi que ces mots sont définis à leur place.<br />
<br />
P. 11. 7. Coupables ou mauvais ou méchants c’est à dire qu’après avoir eu des dispositions avantageuses aux autres, nous nous sommes décidés, de différentes manières, pour quelque autre intérêt.<br />
<br />
8. Combattue et vaincue et <…> de la sensibilité, qui a été d’abord avantageux au bien et qui a laissé prendre le dessus a une sensibilité qu’a été funeste au bonheur des autres.<br />
<br />
D.<br />
<br />
L’insensibilité des hommes ou leur 9.dureté.<br />
<br />
9. Dureté, il y a dureté toutes les fois qu’une sensibilité avantageuse aux autres recule dessous dans une espèce de combat qui a eu lieu, avant qu’on le décidât par quelque considération pour l’action mauvaise : dans un sens plus étroit que celui d’une autre sensibilité qui a eu plus de puissance sur l’homme ou sur l’animal puisqu’elle l’emporte sur la première qui était bonne ou plus humaine.<br />
<br />
10. Dur veut dire qui a senti et quelque fois bien senti, mais d’une manière inefficace pour l’intérêt des autres et sur qui d’autres considérations l’ont emporté sur des dispositions louables.<br />
<br />
G.<br />
<br />
Pour les estimer plus ou moins<br />
11. Graves, en parlant des sensations, expressions qui n’est sans doute pas en usage pour <…> avantageuse ou plus pernicieuse à ceux qui peuvent en ressentir les effets ou le résultat.<br />
<br />
12. Goût veut dire sorte de satisfaction, une sorte d’intérêt irréfléchi ou qu’on ne démêle pas ( ), qui l’emporte sur une sensibilité faible mais louable.<br />
<br />
( ) Ce dont on ne saurait se rendre compte, ce qui laisse entendre qu’après qu’on aurait raison, le goût et les choses de goût d’après les principes de sensation, raison, on pourrait réduire à des règles, des exactitudes mathématiques, cette espèce d’intérêt pour l’homme qui n’a pas assez réfléchi, consultant autre jugement, bonté, autre action réfléchie et comme le reste des choses, cette philosophie, cette estimation des choses étant la base de la règle première pour connaître et la plus exacte de toutes les appréciations. ( )<br />
<br />
P. 12. I.<br />
<br />
Obvier aux effets que produit<br />
13.l’insensibilité des hommes/<br />
13. Insensibilité. Quoiqu’ils aient été quelques fois très sensibles, ( ) signifie sensibilité à laquelle on a résisté et qui a été vaincue par quelque considération condamnable, ce mot se confond avec « dureté ».<br />
<br />
14. Impressions. Qu’une chose a fait sur le corps ( ) ou sur nos organes ou ensuite sur le cœur, c’est à dire le <…> ou l’effet que fait ou produit un objet sur un être sensible ( ). et nécessairement plus sensible, on n’est dur que parce qu’on n’a pas cédé au bien.() qui affecte le corps et surtout les organes sensibles et cette gêne et les souffrances qu’elle nous cause augmentent les proportions de ce qu’elles sont, et en nous affectant de nouveau et avec plus de force <…><br />
<br />
P. 13 15. Impression signifie ébranlement, secousse ( ), qui cause des mouvements.<br />
<br />
( ) qui nous accoutument à devenir insensibles. Quoique il ait été décidé d’abord que celui qui fait le mal n’ayant résisté et sans avoir à faire à un penchant qui est tant plus salutaire et conforme au bien des autres ou de la société, néanmoins si c’est une force invincible qui l’a entrainé et qu’il n’y ait pas de faute, il a contracté des mauvaises habitudes ou s’il n’a pas saisi la bonne voie, ils ne mériteront pas alors d’être punis s’il n’est pas lui-même la cause de cette inconduite et s’il n’a pu s’en empêcher absolument, il n’y a pas de faute, il a obéi à une force supérieure à ses forces.<br />
<br />
N.<br />
<br />
17. Nuisible, veut dire que vous vous soyez mis dans le cas de nuire, ou que vous avez effectivement nui.<br />
<br />
18. Nature, humanité, nature humaine, c’est à dire bonté naturelle ( ) que l’on a pour les autres, penchant qui ne peut être détourné que par quelque intérêt qui porte assez en lui de la vérité, de la justice, de l’ordre, de la régularité, sans lesquels on ne peut être dans ce monde dans une sécurité parfaite ni dans une satisfaction entière.<br />
<br />
O.<br />
<br />
19. Organes sensibles et organes actifs, veut dire distinguer les organes les uns comme recevant les impressions que l’âme leur fait sentir de nouveau ( ) et d’une manière plus intense ou mieux ayant eux-mêmes faculté de sentir ( ) et mettant l’âme en quelque manière en action faisant sentir et connaître les choses ( ) et communiquent ( ) les sentiments et les pensées ( ) aux seconds qui cherchent à acquérir ou exécuter les choses que les premiers ont senties et comme goutées et voulues ( ).<br />
<br />
( ) ce n’est qu’en se délivrant de la gêne, de la peine et de la souffrance que ces organes ont senties ou dans laquelle ils sont plus particulièrement en paix ou un état moins souffrant et plus doux par ce soulagement que nous reconnaissons ce qu’il nous faut ou ce qui nous fait plaisir ou nous convient ; en quelques sorte, les organes actifs sont les intermédiaires par lesquels les sensations se préparent mieux et sont communiquées par la connexité des rapports et des réciproques dispositions qu’il a entre tous les organes, sentir et connaître les choses n’est que gouter, sentir, et juger où aller comme par une force puissante plus ou moins réfléchie vers ce qui nous convient le mieux ou nous fait plus de plaisir, naturellement et sans que nous y faisions attention.<br />
<br />
20. Sensibles signifie sensitif et qui ont le pouvoir de sentir la douleur ou la joie, de s’affecter ou de ne pas s’affecter.<br />
<br />
Lorsqu’ils ont résisté à leur 21.sensibilité /.<br />
<br />
21. Sensibilité veut dire faculté de sentir avantageusement pour le bien, ou la faculté de sentir ou de céder au bien sur laquelle l’ont emporté des sensations défavorables à l’humanité qu’a d’abord éprouvé l’être sensible.<br />
<br />
Mais c’est sous le rapport de leur 22.sensibilité/.<br />
<br />
22. Sensibilité est aussi pris dans la même signification, c’est à dire pour la faculté de sentir avantageusement pour le bien. Il est le même que celui ci-dessus.<br />
<br />
Particulières à l’égard des 23.sensations/.<br />
<br />
23. Sensations, suppose une attitude, ( ) ou des dispositions sans doute acquises que l’on a affaire quand quelque chose et impression que l’on a goutées et auxquelles on tend beaucoup à se déterminer ( ). ou organisation propre à quelque chose et dispositions acquises : sensation est pris génériquement. Elles ne sont pas les premières impressions, il faut déjà avoir senti avant que de goûter et de se plaire à une chose.<br />
<br />
P. 15 24. Sentiments d’humanité, signifie sensations quelconques ou dispositions faites pour la bonne morale sur lesquelles l’on a pris une détermination.<br />
<br />
25. Sentiments doux ( ) veut dire sensations réfléchies, bonnes pour l’intérêt, et qui n’ont pas cédé à d’autres intérêts, etc… etc… C’est un dérivé du mot précédent.<br />
<br />
P. 16. Explication de l’usage que l’on doit faire de la table.<br />
( ) ou par des affections, des sensations douces, non passionnées, au lieu de se livrer à un sentiment ardent d’inhumanité.<br />
<br />
P. 16/17Explication de l’usage que l’on doit faire de la table.<br />
La table a deux objets : elle est faite pour laisser au discours précis fait avec hâte cet air naturel sans prétentions et simple qu’on a cru lui mieux convenir ; et pour les personnes qui ne lisant que le vocabulaire, seraient curieuses de voir le véritable sens des définitions.<br />
La partie supérieure, fait avoir d’un coup d’œil le nombre des numéros sans ( ) †…† des mots ou expressions définis qui sont dans le mémoire. Les parenthèses indiquent des mots et des développements qui sont indiqués par les caractères, marques ou figures qu’elles renferment : ces numéros se trouvent être au nombre de 25, portés dans les lignes des chiffres, écrites au commencement de la table.<br />
La colonne, c’est à dire la partie inférieure, comprend jusqu’au numéro 14 et présente le nombre des numéros des articles ou alinéas dont est composé le mémoire : et les chiffres portés sur chaque ligne horizontale qui part de la colonne, les numéros des mots ou expressions définis qui sont l’objet du vocabulaire qui se trouvent dans chaque alinéa, dans ceux dans lesquels il se trouve.<br />
Les lecteurs qui, comptant avoir trouvé un mot ou une expression définis ( ) voudront s’assurer si c’est ce qu’ils pensent, devront passer par le vocabulaire, prendre le numéro du mot présumé, et le chercher dans la table, sur la ligne de la colonne où il est placé et que précède le chiffre de la colonne qui porte le numéro de l’alinéa du mémoire dans lequel, si c’est le valable mot, ils doivent le trouver, et numéroté du même numéro.<br />
Ceux qui ne lisent que le vocabulaire ou doivent aller à une expression à sa place ( ) et dans l’article où elle est, doivent avoir recours à la table et savoir sur quelle ligne horizontale de la colonne est marqué le numéro de l’expression et l’aller chercher dans l’alinéa du mémoire indiqué par le chiffre de la colonne qui lui sert de numéro : et le numéro de l’expression sera aussi le même que celui trouvé sur la ligne.<br />
Dans l’alinéa N. 1 de la colonne de la table, par exemple, l’on trouve le N. 2 et le N. 20 disséminés dans cet article N. 1 du mémoire. Dans le N. 14 il ne s’en trouve aucun, il n’y a aucun correspondant dans le N. 8, le N. 15 et le N. 8 [sic] assureraient de même qu’ils sont les numéros des autres mots qu’ils voudront chercher.<br />
Il faut faire attention que les définitions ne sont données que dans le sens du sujet et sous le rapport sous lequel l’auteur a considéré les choses de sorte qu’il arriverait qu’elles seraient trouvées mauvaises si on lisait le vocabulaire sans entrer dans l’esprit de l’auteur ( ) aussi la table ci-dessus suffira pour que le lecteur puisse aller voir leur exactitude s’il arrivait qu’on lût le vocabulaire sans lire le mémoire.<br />
<br />
( ) surtout des onze mots ou expressions qui se trouvent dans les quatre premiers articles du mémoire et qui ne sont point numérotés.<br />
<br />
( ) et s’assurer du véritable sens et sous quel rapport elle a été définie.<br />
<br />
( ) ou sans connaître le sujet particulier qu’il a traité.<br />
<br />
Table<br />
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9<br />
10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18.<br />
19. 20. 21. 22. 23. 24. 25.<br />
<br />
——<br />
1. 2., 20.<br />
2. 13., 9., 21.<br />
3. 22., 3., 23., 11.<br />
4. 14., 6., 24., 1.<br />
5. 17.<br />
6. point du tout.<br />
7. 19.<br />
8. 15., 8.<br />
9. 12., 7.<br />
10. 4., 16., 10., 5., 25.<br />
11. 18.<br />
12. 13. 14 point du tout.<br />
<br />
P. 19 On n’a pas cru pouvoir donner de cet ouvrage théorique abrégé et approfondi qui, à des yeux vulgaires, peut paraître d’une petite difficulté et de peu d’importance ( ) une connaissance assez exacte sans entrer dans des grandes explications qui semblent d’abord être trop volumineuses, mais qui en <…> néanmoins la difficulté comme la solidité.<br />
<br />
( ) Il paraît que Virgile qui nous a fourni la devise de ce travail ne connaissait pas toute l’atrocité de certains caractères et de certaines – on peut dire – institutions, de certains principes et le danger que nous fait courir le besoin que l’on donne à s’instruire et à instruire, à faire connaître et à faire percevoir, ce qui ne devrait pas être ignoré pour s’assurer d’un bonheur réel sans quoi il n’aurait pas compris dans la description du Tartare sous une expression générale tous les crimes possibles aux passions, à l’avidité, à l’intérêt et chez les hommes et des maux que peuvent causer l’indifférence et l’insensibilité et le peu d’ <…> et qu’il aurait fait du moins un portrait de ce que peuvent les hommes qui liguent ou qui sont de certaines opinions et de ce qu’ils sont ou permettent, faute de connaissance et à cause de leur système erroné, des fléaux et des maux incalculables que causent les <…> et les diverses trames du sang-froid, et de la stupidité que montrent les partisans, les factieux, les bêtes dans l’exécution des plus horribles projets et dans la jouissance de leurs résultats à moins que quelque raison d’ <…> ne l’empêchât de le faire rentrer dans cette peinture poétique.<br />
<br />
P. 20/21.<br />
Monsieur,<br />
<br />
C’est par erreur que le mémoire qui a pour titre « Jusqu’à quel point les traitements barbares exercés sur les animaux intéressent-ils la morale publique, etc… » vous a été adressé par le dernier courrier.<br />
Je croyais que le décret de Sa Majesté l’Empereur du 24 fructidor an XII, concernant l’établissement des grands prix, comprenait dans ses dispositions, les ouvrages du genre de la classe des sciences morales et politiques ; j’avais égaré ce décret, ce n’est pas que j’aye prétendu pouvoir concourir avec les auteurs des grands travaux qui doivent être couronnés au jour solennel du 18 brumaire an XVIII, jour que je croyais plus près du terme de la distribution qu’il ne l’est peut être réellement, le croyant correspondre au 18 novembre 1808 ; ce qui aurait semblé m’exclure, mais cet ouvrage étant avancé et ayant quelque intention de l’envoyer, cette époque me sembla être plus propre que toute autre, s’il était possible que la société savante dont vous êtes membre, s’occupât des matières qui eussent du rapport avec cette espèce d’ouvrage qui a plusieurs genres et comprend plusieurs ouvrages.<br />
Mon intention dans le premier temps lorsque le sujet fut proposé ne fut que celui d’être utile, de répondre à l’appel fait par la classe et de savoir seulement dans cette circonstance son sentiment ou le succès de cette espèce de travail ; je n’en ai pu rien savoir encore, ni ne rien procurer qui m’instruise du résultat de la séance de vendémiaire an XII et de la laisser le juge de la manière - bizarre peut être – dont il était conçu.<br />
J’étais bien résolu depuis quelque temps de l’ensevelir dans les ténèbres de l’oubli et depuis surtout que j’ai fait de nouvelles réflexions sur ce qu’il pouvait être, il a fallu pour que je comprisse ce qu’il serait le travailler un peu, c’est ce qui a fait que je ne m’en suis occupé depuis longtemps.<br />
Ce fut un mouvement irréfléchi qui me le fit jeter au courrier et depuis que j’ai recouvré le décret qui annonce l’espèce d’ouvrages qui doivent concourir, j’aurais dû encore moins prétendre à des <…> qui ne font référence qu’à des génies supérieurs et que je me suis aperçu que cette loi ne s’étend pas jusqu’aux travaux de cette classe.<br />
Je n’ai pas la prétention de croire, comme je l’ai dit, que cet ouvrage puisse mériter une grande attention, j’ai même voulu le retirer de la poste lorsque je me suis aperçu de mon défaut de mémoire ou plutôt de mon inattention lorsque je fis la première fois la lecture de ce décret, mail il ne m’a pas été possible.<br />
J’ai cru, monsieur, devoir vous prévenir de cela et vous entretenir un instant là-dessus.<br />
<br />
J’ai l’honneur d’être avec les sentiments plus distingués, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.<br />
<br />
Caraman le 12 novembre 1808.<br />
<br />
Martin.<br />
<br />
P. 23 Nous avons l’honneur de prévenir Messieurs les membres de l’Institut que nous avons envoyé cet ouvrage tel qu’il est et sans les notes, ayant été obligé de faire en dernier lieu un travail qui remplit une main de papier pour avoir les valeurs qui doivent concourir à prouver la bonté de l’ouvrage, même quelquefois celles qui semblent ne pas s’y rapporter sous le rapport sous lequel elles sont considérées et qui semblent ne contenir que des choses dictées par l’occasion, de la science étrangère à l’ouvrage ou qu’on ne pourrait regarder que comme délassement de l’esprit, s’il s’y en trouve de telles, et sans avoir pu nous occuper définitivement de la ponctuation.<br />
Avec une dédicace pour ne pas déchirer les pages [sic] et que d’ailleurs certaines préliminaires peuvent avoir de la liaison ensemble nous étant proposés d’en faire hommage à Sa Majesté à son passage dans le département du Midi, ce que des circonstances, des indispositions et des préalables qu’il y avait à remplir, empêchèrent.<br />
Martin.<br />
</p>6. La raison du plus fort est toujours la meilleureurn:md5:82528b1dc8bc256ae6840e5bed57a63c2016-10-12T15:40:00+02:002016-10-12T15:03:41+02:00anacharsisDissertations<p>Dissertation 6, par <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/Jean-Baptiste-Fran%C3%A7ois-G%C3%A9ruzez">Jean-Baptiste-François Géruzez</a>.</p> <p>Lettre contenant l’épigraphe avec le nom de l’auteur.<br />
Discours sur les animaux.<br />
<br />
Épigraphe du discours sur l’influence que peuvent avoir sur la morale les traitements barbares envers les animaux.<br />
<br />
« La raison du plus fort est toujours la meilleure ».<br />
Geruzez, professeur de grammaire générale et de langues anciennes à l’école centrale de l’Oise et membre de la société libre des sciences, lettres et arts de Paris.<br />
<br />
Pour Messieurs les examinateurs, plan du discours.<br />
<br />
L’Institut a seulement proposé d’examiner l’influence que peuvent avoir sur la morale les traitements barbares envers les animaux, et quiconque aurait bien traité cette question remplirait le but de cette société savante. Je crois avoir fait ce qu’elle demandait à cet égard ; mais, en examinant le moral des animaux, leur sensibilité, je me suis aperçu qu’il était difficile de ne rien dire de leur intelligence et de leur raison. Se borner au simple énoncé de la question, c’était n’envisager les animaux qu’à moitié, c’était ne rien dire d’eux, de leurs principaux rapports avec nous, c’était ne pas faire sentir tous les points de contact qui les rapprochent de nous. J’ai cru qu’avant de parler de leur cœur, il fallait dire un mot de leur esprit, afin d’éclaircir davantage la matière, de faire mieux connaître les hommes et les animaux. Je me suis persuadé que l’on verrait avec plus d’intérêt, rassemblé dans un même discours, ce que l’on peut dire en faveur des animaux.<br />
J’ai donc dans une première partie – que l’on ne me demandait pas formellement mais qui m’a paru fortement liée avec le sujet général – examiné ce que c’est que l’instinct, la raison, dans les insectes, dans les oiseaux et dans les quadrupèdes, présenté sur cet instinct quelques vues que je crois nouvelles, et montré qu’il ne diffère de la raison de l’homme que du plus au moins. J’ai rassemblé ensuite en un faisceau, les véritables avantages de l’homme sur l’animal, avantages que différents auteurs n’ont présenté jusqu’ici que d’une manière isolée.<br />
De là, je passe à la question que l’institut a explicitement proposée ; après avoir offert des vues générales sur la sensibilité, je considère successivement et en suivant le plan de la 2e partie, les rapports que cette sensibilité nous donne, avec les insectes, les oiseaux, et les quadrupèdes. Ceci me conduit à quelques réflexions touchant la morale des animaux, sur laquelle je m’arrête un instant pour revenir avec plus de force à la thèse principale et prouver que les traitements barbares envers les animaux soit, dans les diverses professions de chasseur, de boucher, de <…> etc… etc…, soit dans les jeux publics comme ceux des Romains et de quelques autres peuples, ont une grande influence sur les mœurs. J’apporte les sentiments des plus célèbres moralistes sur cette matière. Je touche un mot de quelques idées religieuses sur le même point, et je conclus en disant que nous avons des devoirs moraux à remplir envers les animaux, et enfin que l’influence des traitements barbares envers eux est telle qu’elle peut nous rendre barbares envers les hommes.<br />
Descartes, Buffon, Condillac, La Fontaine, qui ont parlé des animaux, se sont présenté sur mon passage, je crois les avoir peints convenablement au sujet.<br />
Enfin, dans la 3e partie ou la seconde question proposée par l’institut, savoir s’il convient de faire des lois à cet égard, je me suis décidé pour l’affirmative conséquemment à ce qui précède, et je détaille les différents points sur lesquels la police pourrait donner des règlements.<br />
Voilà le squelette de mon plan, c’est au discours lui-même de dire le reste.<br />
J’ai ajouté au texte un petit nombre de notes qui m’ont paru nécessaires.<br />
<br />
P. 1<br />
Discours sur cette question proposée par l’Institut en l’an X. 15 messidor.<br />
Jusqu’à quel point les traitements barbares exercés envers les animaux influencent sur la morale publique ?<br />
Et conviendrait-il de faire des lois à cet égard ?<br />
<br />
Épigraphe : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». La Fontaine. Liv. 1.<br />
Introduction :<br />
<br />
En jetant les yeux sur l’univers, les premiers objets qui attirent l’attention de l’homme sont une multitude d’êtres diversement conformés qui naissent, vivent, se reproduisent et meurent comme lui. Un pareil spectacle ne peut lui être indifférent, et ces êtres ont nécessairement avec lui des rapports plus ou moins proches.<br />
Dans l’enfance des sociétés, les animaux sont les ennemis et les rivaux de l’homme, ils lui disputent les productions de la terre, ils se multiplient à ses dépenses, plusieurs même attentent à ses jours ; il n’a alors avec eux que des rapports de destruction, il les combat, il les tue ou pour sa nourriture ou pour sa propre défense ; et signaler son courage contre eux, c’est se rendre digne du rang de héros ou de demi-dieu, c’est mériter les autels.<br />
Quand les sociétés plus nombreuses commencent à se civiliser, quand les animaux dangereux ont été détruits ou forcés à se réfugier dans le fond des forêts, quand l’empire de l’homme sur la terre n’est plus contesté, alors celui-ci, moins craintif et plus industrieux, se rapproche des espèces paisibles, lie en quelque sorte connaissance avec elles, et finit par les associer à ses travaux, les protéger, les nourrir et en faire ses compagnons et ses amis.<br />
Mais ne voyant dans les animaux qu’une propriété dont il peut disposer à son gré, l’homme social trop souvent sanguinaire et cédant avec trop de facilité aux penchants destructeurs de la vie sauvage, se permet ò leur égard des traitements […]<br />
P. 6/7 Condillac, le sage Condillac, qui a si habilement montré les moyens d’éviter l’erreur, n’a pas toujours su s’en garantir, et celui qui avait si bien appris aux autres à se méfier des principes généraux, ne s’en méfia pas assez lui-même dans cette circonstance. Il ne craignit pas d’avancer que l’instinct n’est rien ou que c’est un commencement de connaissance. C’était nier l’instinct, c’était anéantir ces habitudes, cette industrie innée que la nature a donné à un assez grand nombre d’animaux ; après avoir si ingénieusement analysé les sensations, il voulut trop tout expliquer par elles, et circonscrire dans ce cercle unique toutes les opérations des animaux. Sans doute l’instinct réfléchi, cette première ébauche de la raison, influent influe sur leurs actions ; mais il n’est pas moins vrai que les instincts industrieux des insectes, des oiseaux et de quelques quadrupèdes agissent en ceux-ci indépendamment de toute réflexion et sans qu’ils aient à être instruits et formés par l’empirisme.<br />
En quittant les insectes et en faisant un pas de plus dans l’échelle des êtres, je trouve les oiseaux, peuple léger et charmant, que la nature – dit son immortel historien – semble avoir créés dans sa gaité. Leurs membres, leurs poumons, leurs os, tout est disposé pour qu’ils puissent voler et s’élever dans l’air, ils voleront donc et s’élèveront dans l’air, comme les insectes. Ils ont un instinct industrieux, ils se construisent un nid élégant sans avoir reçu aucune instruction. Ce que j’ai déjà dit sur cet instinct peut s’expliquer ici, mais on peut remarquer de plus qu’au moment où les oiseaux bâtissent leur nid, ils éprouvent le besoin le plus impérieux de tous les êtres, l’amour. Cette passion doit nécessairement modifier leurs organes intérieurs et faire naître dans leurs cœurs une infinité de sensations inconnues jusqu’à ce moment.<br />
La femelle alors sent le besoin de se coucher sur le ventre, et doit chercher un appui commode pour se reposer. Si les nids des oiseaux sont toujours les mêmes dans chaque espèce, c’est qu’il était inutile qu’ils fussent variés, et que d’ailleurs cette variété n’aurait procuré aucun avantage à l’animal. Celui-ci, donc, obéit aux impressions qui lui ont été transmises par la naissance, et comme le père, en faisant son nid a éprouvé telle modification intérieure, le fils en éprouvant la même modification, construira son nid de la même manière.<br />
Il suffit que le premier oiseau d’une espèce ait une belle conformation, ait donné à son nid telle forme déterminée pour que ses descendants suivent constamment le même modèle. On sait que les habitudes des pères passent à leurs enfants et qu’un chien courant engendrera des petits qui poursuivront le gibier naturellement. En général les animaux sont moins imitateurs que l’homme, ils sont plus eux mêmes, ils agissent, pour ainsi dire, d’inspiration et de génie. D’ailleurs, l’instinct industrieux n’agit pas seul dans l’oiseau qui se prépare un nid, l’instinct réfléchi y entre aussi pour beaucoup, et l’expérience prouve que l’oiseau avancé en âge choisit mieux la place de son nid et le construit avec plus d’élégance et de solidité. Dans les autres circonstances de la vie, l’oiseau montre bien plus de réflexion que l’insecte, il a contre ses ennemis des moyens plus combinés d’attaque et de défense, il est susceptible d’un certain degré d’instruction, il a plus de mémoire et un plus grand nombre d’idées. Sa tête est toute géographique et sa vue étendue lui donne la connaissance d’une multitude de lieux où il peut trouver plus aisément de la nourriture et des abris. […] Son instinct réfléchi doit plus ou moins s’étendre selon son genre de vie, et les frugivores qui trouvent des grains partout auront moins d’industrie et de sagacité que les carnivores, exercés par la nécessité d’épier, de chasser et de combattre.<br />
Mais cet instinct réfléchi ou plutôt cette raison se fait principalement remarquer dans les quadrupèdes. Plusieurs ont des instincts industrieux, mais plus libres, plus indépendants que ceux des insectes et des oiseaux, et presque tous tiennent leurs connaissances de la réflexion et de l’expérience. Quelques-uns approchent beaucoup de l’homme et possèdent à un degré assez élevé, les facultés intellectuelles mais, comme les oiseaux, l’organisation les divise en frugivores et carnivores.<br />
P. 12/13 La nature, en donnant l’instinct réfléchi à l’animal et la raison à l’homme en avait assez fait pour leur conservation individuelle, mais cela ne suffisait pas pour l’union des espèces. Il fallait, pour ce dernier point, un nouveau principe qui dirigeât les animaux à leur insu et indépendamment de toute réflexion, il fallait qu’ils se sentissent attirés les uns vers les autres pour un plaisir involontaire dont ils n’eussent pas à se rendre raison. Il fallait qu’un sentiment subit, imprévu, les portât à s’aider, à se secourir mutuellement dans leurs dangers et dans leurs douleurs. La nature en cette occasion n’a pas manqué à l’homme et à l’animal : elle leur a donné la sympathie, la pitié – véritable lien de tout ce qui respire – c’est cette pitié qui parmi les animaux est la source de leurs rapports naturels et qui, chez les hommes, est la vertu elle même, à laquelle on a imposé différents noms pour exprimer les divers point de vue sous lesquels elle se fait sentir, germe de tout ce qu’il y a de bon et de sacré dans la société, elle fait naître tous les mouvements vertueux, et inspire la répugnance à faire du mal ; elle vaut mieux, elle est plus puissante que toutes les lois. Celles-ci sont la sûreté de la société ; la pitié en fait l’agrément et le bonheur ; les lois empêchent les hommes de s’entrégorger, la pitié les oblige à s’aimer, l’humanité, la générosité, la bienfaisance, voilà son ouvrage. C’est elle qui, en faisant souffrir l’homme à la vue des douleurs de ses semblables, lui a commandé la douceur et défendu la cruauté ; c’est elle qui, en lui faisant éprouver les mêmes sensations pénibles à la vue des tourments des animaux, lui a également défendu de les maltraiter.<br />
En effet, par cela seul que les animaux sentent comme nous, qu’ils sont comme nous capables de plaisir et de douleur, qu’ils sont péniblement affectés par les douleurs et les maladies, qu’ils crient et gémissent dans leurs souffrances, par cela seul, dis-je, nous ne pouvons sans danger pour nous mœurs, être durs et inhumains à leur égard.<br />
Descartes, qui ne vit que des machines dans les bêtes et leur ôta tout sentiment, osa nier l’évidence et démentir tous les faits. Il tarissait ainsi, sans le vouloir, une des principales sources de la pitié et […] à la vertu. La force de bête avec laquelle il enchaînait ses propositions, lui fit confondre la réalité avec les mots et la nature avec ses idées. Il dénatura l’homme pour en faire une espèce d’ange, il dégrada l’animal pour n’en faire qu’une plante. Mais les erreurs de l’auteur du doute méthodique ne peuvent être dangereuses. Il avait appris lui-même à les reconnaître et à les refuser.<br />
Descartes n’a plus de partisans aujourd’hui et tout le monde est d’accord sur la sensibilité des animaux. C’est cette sensibilité qui, nous intéressant à leurs peines et à leurs plaisirs nous […] en leur faveur et nous rend compatissants : mais cette compassion paraît devoir se régler d’après les rapports plus ou moins proches entre leur organisation et la nôtre. L’insecte, si différent de l’homme par ses formes extérieures, s’éloigne encore plus de lui par sa conformation intérieure. Il a le cœur formé d’une suite de nœuds, le sang, froid et blanc, il respire, il sécrète d’une manière particulière. Privé de la voix, il ne peut donner à nos oreilles ces secousses puissantes qui savent émouvoir toutes les fibres sensibles. Sa vie courte et rapide ne lui permet pas de se livrer à l’éducation de ses enfants, et la nature est obligée de leur servir d’instituteur. Cette diminution de besoins et de devoirs diminue sa sensibilité, sa moralité et l’intérêt que nous pourrions prendre à son sort.<br />
<br />
P. 15/16 Mais qui peut arrêter ces petits animaux malfaisants, ces jeunes sauvages qu’on appelle les enfants ? Dans la belle saison où la nature libérale se plaît à répandre ses présents avec profusion, on les voit parcourir les bois en troupe, se plaire à porter la désolation et le désespoir dans l’âme des oiseaux pères de famille, briser leurs nids et leurs œufs sans pitié, sans commisération, se jouer cruellement de leurs cris et de leurs plaintes, et redoubler leur joie féroce quand ils ont pu saisir sur son nid cette mère victime de sa tendresse et qui affrontait tous les dangers pour l’intérêt de sa couvée. Les barbares ! Rien ne les arrête, rien ne les attendrit ! Encore si c’était le besoin qui les portât à cet acte de cruauté, on pourrait les excuser, le soin de la vie est la première loi de la nature animée ; mais non, ils répandent partout le deuil et les larmes, ils ravagent, ils tuent, ils massacrent pour leur amusement. Sensible Virgile, tu compatissais aux malheurs de ces innocents oiseaux quand tu appelais barbare le laboureur qui portant sa main dans le nid de la tendre Philomèle en arrachait les petits, quand tu peignais en vers inimitables la douleur touchante, les cris attendrissant de cet oiseau désespéré ! Et vous, parents imprévoyants, spectateurs apathiques de toutes ces atrocités, vous fomentez ainsi l’insensibilité de vos enfants, à côté de ces penchants destructeurs que la nature a donné à tous les animaux carnivores pour leur conservation, elle avait eu soin de placer la pitié <…> de tous les sentiments doux et généreux ; mais vous avez laissé étouffer ce germe qu’il vous était si facile de développer, une légère punition, un seul mot suffisait pour cela, mais ce mot, vous avez été assez imprudents pour ne pas le dire, cette punition, vous n’avez pas eu le courage de l’infliger.<br />
Un jour peut-être vos enfants, fléaux de la société, seront votre tourment et mépriseront des larmes plus précieuses que celles des oiseaux ; mais c’est vous qui l’avez voulu, vous recueillerez ce que vous avez semé, et vous aurez perdu le droit de vous plaindre.<br />
<br />
P. 17 La plupart des quadrupèdes diffèrent [sic] de l’homme par les extrémités, quelques-uns s’en approchent beaucoup mais tous, à l’exception d’un petit nombre, ont une organisation intérieure à peu près semblable à la sienne : ils sont vivipares et mammifères comme lui ; nous comprenons les voix et les signes dont ils se servent pour exprimer ce qu’il sentent, comme ils comprennent les accents de nos passions. Dans la joie, les yeux brillent, leurs mouvements sont rapides ; dans la douleur, ils crient, ils gémissent, ils semblent pleurer comme nous ; plusieurs sont nos collaborateurs, nos compagnons, nos défenseurs, nos amis. Le chien qui entend notre voix se réjouit et s’afflige avec nous ; qui partage nos courses et nos promenades, qui garde notre maison et défend notre vie non pas contre les lions et les tigres, mais contre l’homme même dont la moralité se pervertit si facilement, le chien, dis-je, s’est réuni avec nous contre les autres animaux, et affermit sur eux notre empire qui, sans son secours, perdrait beaucoup de son étendue.<br />
<br />
P. 18/19/20 Nous l’avons vu, les animaux nous sont inférieurs par l’intelligence, et l’homme civilisé a de ce côté une supériorité bien remarquée ; il n’en est pas tout à fait de même du côté des mœurs : celles des animaux sont plus simples, plus pures, plus vraies, plus près de la nature que les nôtres. On ne voit jamais ceux-ci attaquer l’homme, du moins dans nos climats, et se jeter sur lui si on est dans la rage ou dans la folie. Ils suivent inviolablement la loi de crainte et de respect que la nature leur a prescrite à notre égard. Ils ne peuvent l’enfreindre, direz-vous : qu’importe ? En valent-ils moins parce qu’ils nous sont soumis ? Et faut-il que nous soyons cruels envers eux parce qu’ils sont forcés d’être bons avec nous ? Il me semble que ce serait un motif de plus pour les ménager, si nous savions être capables de quelque générosité et apprécier le mérite de la douceur des mœurs.<br />
Cette insensibilité que nous montrons pour les animaux, cette morale barbare que nous nous faisons à leur égard, les plus féroces d’entre eux ne l’ont point souvent envers nous. Ils se laissent toucher et atteindre par nos cris, ils savent compatir à nos douleurs, je ne puis m’empêcher de citer, à l’appui de ce que j’avance, un trait frappant qui prouvera la correspondance ou plutôt l’identité des sentiments moraux entre les animaux et nous.<br />
« Un lion s’était échappé de la ménagerie du Grand Duc de Florence et courait dans toutes les rues de la ville, l’épouvante se répand de tous côtés, tout fuit devant lui, une femme qui emportait son enfant dans son bras le laisse tomber en courant. Le lion le prend dans sa gueule, la mère éperdue se jette devant l’animal terrible et lui redemande son enfant avec des cris déchirants, le lion s’arrête, la regarde fixement, remet l’enfant à terre sans lui avoir fait aucun mal et s’éloigne. Pour arrêter la dent meurtrière du lion, ajoute la harpe [sic], la mère n’avait qu’un cri, il fallait que le lion entendit un cri et qu’il en fut touché, il l’entendit et il en fut touché ». […]<br />
On ne peut refuser de la moralité aux animaux et ils donnent des marques assez visibles dans la conduite qu’ils tiennent entre eux. Personne n’ignore quel zèle, quel concert, quelle concorde, quelle ardeur pour le travail règnent parmi ceux qui vivent en société. On connaît l’attachement des femelles pour leurs petits, elles corrigent celui qui les mord, caressent celui qui les baise ou les lèche et répriment vigoureusement le […] qui bat ses frères. Le père s’empresse d’apporter à manger à sa famille naissante. Ces animaux jouissent en remplissant ces devoirs, ils sont chéris, considérés par tout ce qui les entoure. On voit au contraire souffrir les négligents et les paresseux ; ils sont méprisés et mal accueillis par leur femelle et leurs enfants. C’est donc chez eux la même morale que chez nous, et sans livres, sans lois, sans juges et sans tribunaux, sans prédicateurs et sans temples ; ils la pratiquent bien mieux que nous.<br />
La vie des animaux est le tableau de la nôtre, leur conduite est pour nous un modèle et leurs exemples peuvent nous servir de leçon.<br />
Ils pratiquent sans ostentation les vertus dont nous faisons si grand bruit : la prudence, la vigilance, le courage, la décence.<br />
<br />
P. 21/22/23 Les traitements barbares exercés sur les animaux ne sont jamais indifférents, la pitié à leur égard devient facilement humanité, si ce n’est l’humanité elle-même, et les hommes cruels envers eux, le seront facilement envers leurs semblables. Si l’on examinait la vie de ceux qui se sont fait connaître par des traits de scélératesse, on verrait presque toujours que les animaux ont été les premiers objets de leur cruauté.<br />
Les hommes employés par état à verser le sang des animaux ou qui le voient verser chaque jour sous leurs yeux, dit un physiologiste célèbre, se font remarquer en général par des mœurs dures, impitoyables et féroces… l’on sait qu’il y a des pays où pour différents actes sociaux, la législation les sépare en quelque sorte du reste des citoyens.<br />
On reconnaît cette dureté des mœurs parmi ceux qui passent leur vie à chasser et surtout parmi cette espèce d’hommes que l’on appelait autrefois braconniers, toujours au milieu des bois et de la solitude, toujours occupés à tendre des pièges aux animaux et à leur donner la mort, ils doivent s’endurcir jusqu’à un certain point et se porter ensuite plus facilement à des excès envers leurs semblables. Les peuples chasseurs n’ont qu’un pas à faire pour être anthropophages et le franchissent souvent. Les Lacédémoniens qui faisaient de la chasse leur principale occupation, tuaient aussi les ilotes par partie de plaisir. Les siècles ignorants et barbares ont toujours été ceux où la chasse a été le plus en honneur, et où la plus belle de toutes les sciences pour les grands et pour les rois était celle de la vènerie et de la fauconnerie.<br />
Louis XI, le roi de la France, était si passionné par la chasse que sous son règne il était plus sûr de tuer un homme qu’un cerf, en 1531 un certain D’Interville, évêque d’Auxerre fut condamné pour avoir vendu à son insu quelques oiseaux de fauconnerie. Charles IX aimait beaucoup la chasse et M. de Thou, ajoute que la passion de ce jeune monarque pour cet exercice le rendit cruel. La chasse peut être un divertissement, une occupation utile pour le propriétaire qui veut occuper son loisir, ou détruire des bêtes qui nuisent aux moissons et aux troupeaux, mais cet exercice, trop répété, dégénère en passion. Il est surtout dangereux à l’homme du peuple qui y perd du temps précieux, et qui apprend à y manier une arme dont il abuse trop facilement, il peut encore être utile au guerrier qui vient y braver des dangers et y chercher une image de la guerre. C’est ainsi qu’Henri IV aimait la chasse : mais quand on ne veut que tuer des animaux sans effort, quand on les rassemble dans un asile hospitalier pour répandre leur sang plus commodément, on se familiarise alors avec la férocité et tous ses excès. Louis XI dans sa dernière maladie, pour suppléer au plaisir de la chasse [sic] qu’il avait toujours aimée en homme avide de sang, ordonnait qu’on lui attrapât des gros rats, et les faisait chasser par ses chats dans ses appartements.<br />
Les bouchers, toujours nageant dans le sang des animaux les plus paisibles, doivent contracter des mœurs dures et barbares plus facilement encore que les chasseurs, vivant au milieu du courage et des meurtres, ils sont, pour ainsi dire, les sauvages de la société. Le spectacle continuel des convulsions de la douleur et d’une mort violente les dispose malgré eux à des actes sanguinaires. De pareils hommes dans des séditions seront toujours les premiers à ensanglanter la scène, et j’en ai vu pendant la révolution se porter à des actes de la plus atroce cruauté. Au reste, ceci n’est pas sans exception et il faut avouer d’ailleurs que les bouchers rendent un service essentiel à la société. Ils ont sans cesse l’agonie et la mort sous les yeux pour en épargner le tableau à leurs semblables ; ils s’entourent de sang pour nous éviter l’horreur qu’il pourrait nous inspirer ; la société se décharge, pour ainsi dire, sur eux de ce qu’il peut y avoir d’odieux dans le meurtre des animaux ; les mœurs générales s’adoucissent à leurs dépens et il est des hommes qui se sont nourris de chair toute leur vie sans avoir jamais vu palpiter de douleur et d’effroi les membres des timides animaux que l’on fait expirer sous la masse et par le couteau.<br />
Les cuisiniers qui taillent en pièces et démembrent l’oison privé, le pigeon familier, le coq et la poule domestique ne doivent pas être éloignés de ressembler aux bouchers ; mais sous un autre rapport, ils sont également utiles à la société, ils doivent par leur art déguiser la mort à nos yeux et à rendre presque inreconnaissables [sic] les membres des animaux ; ce n’est pas de la chair et du sang que l’on présente sur nos tables, ce sont des objets nouveaux, des sucs élaborés qui n’opèrent plus de la même manière sur nos estomacs, sur notre cerveau et sur nos idées par conséquent. L’art du cuisinier n’est pas aussi peu important qu’on le croirait au premier coup d’œil, si au lieu de nos poulets cuits et assaisonnés, nous mangions la chair et buvions le sang des animaux, comme le faisaient les premiers hommes, comme le ferait tout homme éloigné de la société, si même à nos viandes déguisées, nous rajoutions encore des graines et des légumes, toutes les plus belles institutions du monde auraient de la peine à nous garantir des mœurs des sauvages les plus farouches, tant sont étroitement liés liées les lois de l’hygiène et de la morale !<br />
Les chirurgiens sont obligés par état de faire souffrir leurs semblables, de leur causer souvent les douleurs les plus cruels, pour le faire avec moins de répugnance, il suffit qu’ils aient déjà opéré sur des animaux : celui qui a appris à maîtriser leurs cris peut ne pas être touché s à ceux de ses semblables. Mais ici l’éducation, la culture de l’esprit, la noblesse des motifs arrêtent les suites funestes que pourrait avoir cette dureté.<br />
Les héros du temps d’Homère assommaient et égorgeaient eux-mêmes les animaux qui servaient à leurs festins, mais aussi ils massacraient souvent leurs prisonniers ou les conduisaient au plus terrible carnage. Les héros d’aujourd’hui un peu plus policés que ceux d’autrefois, se gardent bien de faire l’office des bouchers, mais ainsi ils laissent la vie et rendent bientôt la liberté à leurs prisonniers ne trempant pas leurs mains dans le sang des animaux, ils ne les trempent pas non plus dans le sang des hommes qui s’avouent vaincus.<br />
Les prêtres païens peuvent être regardés comme des espèces de bouchers, ils avaient toujours le couteau à la main, et leurs temples étaient des lieux de carnage et de sang ; sacrificateurs des animaux, ils le devenaient facilement des hommes. Dans les grandes calamités ou lors qu’il s’agissait d’entreprises périlleuses, ils ne manquaient pas de demander des victimes humaines au nom de leurs dieux. Il y avait bien dans la Grèce quelques autels où l’on n’immolait pas de victimes et sur lesquels on offrait des gâteaux, de l’orge et du froment. Pythagore et ses disciples les plus zélés s’abstenaient des sacrifices sanglants ; ce philosophe leur disait : « gardez-vous d’arracher la plante dont l’homme retire de l’utilité et de tuer l’animal dont il n’y a pas à se plaindre », mais ceci n’était qu’une exception à la règle générale et le sang ne ruisselait pas moins dans les temples du paganisme. Honneur et mille fois honneur à la religion chrétienne qui a aboli ces sacrifices barbares et qui a l’effusion de sang a substitué l’oblation du pan et du vin. C’était un très grand pas vers l’adoucissement des mœurs, c’était un véritable service rendu à la société et si la suite n’a pas toujours répondu à ces commencements, si les prêtres chrétiens n’ont pas toujours été humains, il fallait s’en prendre à leur trop grande puissance, à la barbarie des temps, à l’altération des dogmes, à la faiblesse des gouvernements, et non à une religion douce et pacifique qui encore contribue à détruire l’esclavage et qui par ces deux services mérite la reconnaissance des philosophes.<br />
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P. 25 On connaît ces fameuses courses de taureaux qui ont lieu chaque année en Espagne. Les Espagnols sont peut-être la seule nation moderne où l’on retrouve des combats d’animaux semblables à ceux des Romains. Dans ces spectacles on voit des taureaux éventrer vingt ou trente chevaux, estropier les hommes et quelques fois les tuer. Il est à remarquer que ces combats ont lieu dans un pays où les autodafés étaient autrefois communs, et chez les descendants de ces Espagnols qui avaient dressé des chiens pour aller à la chasse des Américains. Sont-ce les cruautés envers les hommes qui ont amené ces jeux barbares où l’on met à mort des animaux, ou sont-ce les traitements sanguinaires envers ces derniers qui rendent cruels à l’égard des hommes ? Peu importe maintenant pour la question que nous traitons ; il est assez reconnu que l’insensibilité pour les hommes et les animaux est produite par les mêmes causes et amène les mêmes effets.<br />
Je ne dirai qu’un mot des combats de coqs en Angleterre : on arme d’un fer tranchant les pattes de ces coqs afin qu’ils se fassent de profondes blessures et se tuent plus facilement. Quoique ces combats d’oiseaux ne soient pas aussi sanglants que ceux des quadrupèdes en Espagne, je ne les crois pas cependant sans danger.<br />
On dit que tous les dimanches aux environs de Paris des bouchers font battre publiquement leurs chiens les uns contre les autres. Le petit peuple court sans doute à ces combats. J’en suis fâché pour lui ; ses mœurs ne sont pas déjà très douces, et de pareils spectacles ne sont pas faits pour les améliorer.<br />
Pénétrés des suites funestes que peuvent avoir les traitements barbares envers les animaux, tous les philosophes et les moralistes les plus respectables se sont fait un devoir de recommander la douceur à leur égard ; à leur tête se trouve le bon et moral Plutarque qui condamne la dureté du Lacédémonien pour les ilotes et voudrait au contraire qu’on s’accoutumât à user toujours de la bonté envers les bêtes ne fût-ce – dit-il - que pour apprendre par-là à bien traiter les hommes et à faire une espèce d’apprentissage de douceur et d’humanité. Il faisait conscience d’envoyer à la boucherie, pour un léger profit, un bœuf qui l’avait longtemps servi. Montaigne, qui a suivi les traces de Plutarque, Montaigne ? disait : « de moi je n’ai pas su voir seulement sans déplaisir, poursuivre et tuer une bête innocente qui est sans défense et dont nous ne recevons aucune offense », je ne prends guère bêtes en vie à qui je ne donne les champs. Charron, disciple de Plutarque, et de Montaigne et qui a fondu dans ses écrits la doctrine de ces deux moralistes, termine ainsi dans son traité De la Sagesse, le chapitre où il compare l’homme aux animaux.<br />
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P. 27/28/29 Si l’on m’a bien suivi, il y a longtemps que l’on a pu tirer une conclusion peu liée avec nos idées ordinaires, mais qui n’en est pas moins incontestable et que voici : c’est que nous avons des devoirs à remplir envers les animaux ; c’est que nous ne pouvons les enfreindre, ces devoirs, sans violer les règles éternelles de la morale, gravées dans tous les êtres sensibles ; c’est que nous devons, toutes les fois que les circonstances n’exigent pas impérieusement le contraire, pratiquer envers eux ce grand axiome de la morale : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qui te fut fait à toi-même ; ne traite pas un être sensible comme toi, être sensible, ne voudrais pas être traité.<br />
Ce principe est universel, immuable et s’applique à tous les êtres selon les rapports plus ou moins étroits qui les unissent entre eux. C’est une loi fondée sur l’organisation, une loi naturelle longtemps oubliée [et] méconnue, mais contre laquelle on ne prescrit pas, et désormais nos traités de morale pour être complet devront renfermer un chapitre sur les devoirs envers les animaux.<br />
A Dieu ne plaise cependant que je veuille assujettir les hommes au régime pythagoricien, on a dû voir que ce n’était nullement nos intentions. Il ne faut pas être plus sage que la nature qui a visiblement multiplié à l’infini certaines espèces afin qu’elles servissent de pâture à d’autres, sous les eaux, sur la terre et dans les airs, elle a créé des animaux qui périraient s’ils n’avaient d’autres ressources que celle des grains et des végétaux. Sans ce contrepoids, l’équilibre eut été bientôt rompu entre tous les êtres, et quelques animaux auraient absolument envahi l’espace accordé aux autres. L’homme peut donc manger les bêtes sans crainte et sans remords, mais il ne faut pas qu’il abuse de ce pouvoir. « Mangeons de la chair – dit Plutarque – pourvu que ce soit pour satisfaire à la nécessité et non pour fournir aux délices ni à la luxure : tuons un animal, mais pour le moins, que ce soit avec commisération et avec regret, non pas par un jeu et avec plaisir, ni avec cruauté ».<br />
Quelques personnes – il est vrai – bien loin de maltraiter les animaux, ont au contraire pour eux trop d’attachement et de complaisance ; c’est un défaut que l’on reproche principalement aux femmes : je ne prétends pas les justifier à cet égard. La bienfaisance de l’homme doit d’abord s’exercer envers l’homme ; mais l’excès de douceur envers les animaux est bien moins commun, bien moins dangereux que l’excès contraire. C’est une sensibilité mal placée, il est vrai, mais enfin c’est de la sensibilité, et il est peut-être permis aux femmes de […]quelquefois aux femmes qui se présentent toujours en premières quand il s’agit d’exercer des actes de bienfaisance, qui sont si actives à soulager, à diminuer les maux de l’humanité, et qui, comme les vestales de Rome gardiennes du feu sacré, sont chargées d’entretenir sur la terre le foyer de la pitié toujours près de s’éteindre, et qui, sans leur secours, ne jetterait bientôt plus la moindre étincelle.<br />
Je crois maintenant avoir suffisamment démontré que les animaux ont avec nous des rapports très proches d’intelligence et de moralité, et que, si leur raison ne va pas aussi loin que la nôtre, ils nous surpassent le plus souvent par les qualités du cœur, qu’ils nous sont unis par le lien de la sensibilité et de la pitié, et que nous ne pouvons briser ces liens sans danger pour nos mœurs. Je crois avoir également prouvé que nous avons des devoirs de morale à remplir envers eux, devoirs qui sont presque aussi sacrés que ceux qui nous lient à nos semblables, parce qu’ils ont la même origine, la nature et ses lois. Tous les meilleurs moralistes sont d’accord en ce point ; les faits les plus positifs sur cette matière viennent à l’appui de la raison, et les exemples de plusieurs professions, de plusieurs peuples et surtout des Romains, montrent clairement que la cruauté envers les animaux a toujours les suites les plus dangereuses et que les traitements barbares exercés à leur égard influent sur la morale publique au point de la pervertir, d’en détruire les véritables fondements et de rendre les hommes barbares envers les hommes.<br />
III. - Si nous sommes unis aux animaux par des liens aussi étroits que ceux qui viennent d’être indiqués, si nous ne pouvons les maltraiter sans vicier notre sensibilité, sans donner atteinte aux sentiments de moralité et de sociabilité que l’éducation peut étouffer ou développer en nous ; la conséquence, ce me semble, est facile à tirer, il n’y a pas à balancer, il faut que le législateur empêche, autant qu’il est en lui, les traitements cruels envers les animaux. Je sais que l’on doit être parfois porter de nouvelles lois, dont on ignore souvent les inconvénients, que les avantages qu’on s’en promet sont quelquefois imaginaires, leur perfection est une chimère et qu’elles ne peuvent avoir qu’une bonté relative ; mais ces réflexions applicables surtout à des lois qui auraient pour but de changer d’anciennes coutumes, d’en introduire de nouvelles, de contrarier des habitudes d’un peuple, ne peuvent regarder une simple loi de police dont l’effet nécessaire serait d’améliorer le sort des animaux et de renforcer dans les hommes le sentiment de la pitié, nous nous bornons tout au plus à empêcher les hommes d’être méchants. Que n’imitons-nous les Anciens : leur lois forçaient d’être bons.<br />
L’homme est un être ondoyant, capable de tous les égarements, les Egyptiens, comme nous l’avons vu, ont adoré des animaux, les Indiens voient en eux leurs amis, leurs parents, leurs frères ; les Romains les ont traités avec barbarie, et les peuples modernes imitent assez l’exemple des Romains. Ces excès ne peuvent servir de règle, et s’écartent de ce juste milieu qui indique la justice et la modération. Il faut adopter des usages dignes d’un peuple civilisé, propres à adoucir des mœurs et à simplifier ses goûts.<br />
Ainsi le législateur peut avec utilité empêcher les jeunes villageois de parcourir les bois pour détruire les nids des oiseaux, de ces animaux doux et paisibles pour la plupart ; c’est d’ailleurs veiller sur les arbres dont les enfants brisent les jeunes branches, c’est arrêter la multiplication des chenilles, c’est conserver des animaux qui plus tard serviront à la nourriture de l’homme.<br />
Les habitants de la campagne qui en général ne se piquent pas d’une grande sensibilité, ont dans leurs fêtes des amusements grossiers et barbares. Ils attachent des oies ou d’autres malheureux oiseaux à un gibet, et leur lancent des bâtons, ils les font périr au milieu des plus cruelles tortures. Quel inconvénient aurait-il à défendre de pareils jeux ?<br />
Plus cruels que les villageois, des hommes ou bouchers ou dignes de l’être, excitent des chiens pour les faire battre en public ; nous avons parlé des combats qui tous les dimanches ont lieu à Montfaucon, près de Paris. Je ne serais point étonné qu’il y eut de semblables dans plusieurs grandes villes ou dans le voisinage ; certes les mœurs ne peuvent que gagner à l’interdiction de ces combats.<br />
Depuis quelques temps il s’est établi à Paris une coutume assez barbare envers les chiens, on les charge, on les attache comme des bêtes de somme, on force ces animaux vifs et pétulants à trainer une voiture souvent assez pesante ; on les maltraite, on les frappe quand ils s’acquittent mal de leurs fonctions.<br />
Est-ce ainsi que doit être traité le meilleur ami de l’homme ? L’ancienne police – dit-on – défendait qu’on chargeât ainsi les chiens.</p>7. Cœur barbare ! Homme dur, qui peut-être au sein de ton ami, plongerait le poignardurn:md5:8b07ceecc8a94f93d23d4d9514f7db432016-10-12T15:39:00+02:002016-10-12T15:05:39+02:00anacharsisDissertations<p>Dissertation 7, par <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/Bourguignon">Bourguignon</a>.</p> <div class="citation">
<blockquote>
<h4>Cœur barbare ! Homme dur, qui peut-être au sein de ton ami, plongerait le poignard,<br />
tu n’as donc jamais vu <a href="http://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/04/The-four-stages-of-cruelty%2C-William-Hogarth">les peintures d’Hogar</a><br />
Poème de la pitié, chant 1</h4>
</blockquote>
</div>
<p>L’homme exerce sur les animaux un empire qui dérive bien moins de ses qualités physiques que de ses facultés morales. C’est principalement par les combinaisons de son esprit qu’il est parvenu à vaincre les plus forts, à surprendre les plus agiles, à duper et à soumettre au joug de l’obéissance ceux dont il a cru devoir utiliser les services et à forcer les plus féroces à se réfugier dans le fond des forêts.</p>
<p>La raison lui apprend comment il [2] doit user de cet empire. Elle l’avertit que celui qui exerce des traitements barbares sur les animaux, abuse de ses supériorités et forfait aux lois de la nature. Mais la raison n’est pas une barrière impénétrable, sa lumière est souvent obscurcie par les passions ; celui qui s’abandonne à leurs décevantes amorces est successivement entrainé hors de la sphère de ses devoirs : de là, la nécessité des lois répressives et prohibitives dont l’objet est de mettre un frein aux passions désordonnées et d’obliger chaque individu à ne rien faire qui puisse troubler l’ordre social. […]<br />
Considérée sous ce rapport, la question proposée devient d’une haute importance, parce que toutes celles qui se rattachent à la Morale publique, doivent vivement intéresser tous les amis de l’Ordre et de l’Humanité. Rendant hommage aux Philosophes sensibles qui cherchent à répandre la lumière sur des sujets [3] de cette nature et pour seconder leur dessein, faisons en sorte que cette discussion solennelle sur le traitement des animaux ne soit pas inutile à la perfectibilité de l’ordre social.</p>
<h1>Première partie</h1>
<p>Jusqu’à quel point les traitements barbares exercés sur les animaux intéressent-ils la morale publique ?</p>
<p>Ce n’est ni dans les mœurs, ni dans les usages des peuples qui habitent les rives de l’Indus et du Gange, qu’il faut étudier les rapports établis par la nature entre l’homme et les animaux : si ces peuples ne font pas servir les animaux à leur subsistance, s’ils ont, au contraire, pour eux les procédés les plus affectueux, s’ils les traitent, en quelque sorte, comme leurs semblables, c’est d’une part, parce que la nature libérale servirait en abondance, sous ces heureux climats, des végétaux succulents qui suffisent à la nourriture des habitants, et de l’autre, que le dogme ingénieux et séduisant de la métempsycose, qui leur fut transmis par les anciens brahmanes, leur fait placer tous les êtres vivants à peu près sur la même ligne. La vue d’un animal [4] quelconque réveille dans l’âme de l’Indien les souvenirs les plus doux, les sentiments les plus tendres : sous cette enveloppe grossière, son imagination lui fait apercevoir l’ami, le père ou l’épouse que son cœur a perdu. Comment, dans cet état pénible d’expiation et de misère, pourrait-il outrager, sans pitié, la personne qui lui fut chère ?… son zèle et ses soins ne doivent-ils pas au contraire augmenter en raison du malheur dont elle est accablée ?… S’il allait lui donner la mort ! Il commettrait un parricide… s’il osait s’en nourrir ! Il serait anthropophage… C’est ainsi que la superstition, en trompant l’Indien sur les objets de ses affections ; en lui inspirant des craintes chimériques, lui a fait perdre la connaissance de ses droits et le sentiment de sa prééminence.<br />
Pythagore, qui ne vit dans cette doctrine qu’un moyen d’adoucir les mœurs des peuples qu’il voulait civiliser, l’introduisit en Europe où elle fit peu de progrès. La diète Pythagoricienne n’y fut pratiquée que par un petit nombre de sectateurs, en sorte que l’étude de la morale et de la philosophie n’étant point entravée [5] dans nos contrées par ce genre de superstition, l’homme éclairé par la contemplation de la nature, apprit à se connaitre et à mesurer l’intervalle immense qui le sépare des animaux. […]</p>
<p>[6] « L’Empire de l’homme sur les animaux est un empire légitime qu’aucune révolution ne peut détruire. C’est l’empire de l’Esprit sur la Matière, c’est non seulement un droit de nature un pouvoir fondé sur des lois inaltérables, mais c’est encore un don de Dieu par lequel l’homme peut reconnaitre à tout instant l’excellence de son être, car ce n’est pas parce qu’il est le plus parfait, le plus fort ou le plus adroit des animaux qu’il leur commande : s’il n’était que le premier du premier Ordre, les seconds se réuniraient pour lui disputer l’empire, mais c’est par supériorité de nature que l’homme règne et commande. Il pense et dès lors il est maître des êtres qui ne pensent point.</p>
<p>En voilà plus qu’il ne faut pour nous démontrer l’excellence de notre Nature et la distance immense que la bonté du Créateur a mise entre l’homme et la bête : l’homme est un être raisonnable, l’animal est un être sans raison et comme il n’y a point de milieu entre le positif [7] et le négatif comme il n’y a point d’Êtres intermédiaires entre l’Être raisonnable et l’Être sans raison, il est évident que l’homme est d’une Nature entièrement différente de celle de l’animal, qu’il ne lui ressemble que par l’extérieur et que le juger que par cette ressemblance matérielle, c’est se laisser tromper par l’apparence et fermer volontairement les yeux à la lumière qui doit nous le faire distinguer de la réalité… […]</p>
<p>[9] L’homme dans l’état de Nature ne s’est jamais borné à vivre d’herbes, de grains ou de fruits ; il a dans tous les temps, aussi bien que la plupart des animaux, cherché à se nourrir de chair… Examinons quels sont les appétits, quel est le goût de nos sauvages, nous trouverons… que tous préfèrent la chair et le poisson aux autres aliments… leur industrie dictée par les besoins de première nécessité, excitée par leurs appétits naturels, se réduit à faire des instruments pour la chasse et pour la pêche : un arc, des flèches, des filets, un canot ; voilà le sublime de leurs arts qui tous n’ont pour objet que les moyens de se procurer une subsistance convenable à leur goût et ce qui convient à leur goût convient à la Nature : car l’homme ne pourrait pas se nourrir d’herbe seule ; il périrait d’inanition s’il ne prenait des aliments plus substantiels ; n’ayant qu’un estomac [10] et des intestins courts ; il ne peut pas, comme le bœuf qui a quatre estomacs et des boyaux très longs, prendre à la fois un grand volume de cette maigre nourriture ce qui serait cependant absolument nécessaire pour compenser la qualité par la quantité. Il en est à peu près de même des fruits et des grains… ainsi l’abstinence de toute chair, loin de convenir à la nature ne peut que la détruire : si l’homme y était réduit, il ne pourrait du moins dans ces climats, ni subsister ni se multiplier ».</p>
<p>C’est ainsi que les lois de la nature nous ont été révélées par son sublime interprète, M. de Buffon : j’ai dû le rappeler comme servant à marquer le point fixe d’où je dois partir et afin de pouvoir en élever des vérités acquises à celles qu’il s’agit de découvrir.</p>
<p>Après avoir reconnu l’excellence de la Nature lumière et la légitimité de l’Empire que l’homme exerce sur les animaux ; après avoir reconnu que cet Empire de l’homme s’étend jusqu’à faire servir les animaux à son usage, à leur donner la mort à se nourrir de leur chair, ne pourrait-on pas en tirer la conséquence que cet Empire de l’homme étant absolu, la manière dont il doit traiter les animaux est arbitraire, et [11] qu’il ne peut y avoir de traitement essentiellement mauvais dont il soit obligé de s’abstenir. Eh quoi ! Dirait-on, si l’homme est naturalisé à tendre des pièges aux animaux ; à poursuivre avec le fer et le feu les habitants des forêts jusque dans leurs plus sombres retraits, à égorger l’innocente brebis, le faible agneau, le bœuf utile et laborieux pour assouvir ses appétits voraces, peut-on dire qu’il ne doit pas maltraiter les animaux ? Arracher la vie, n’est-ce donc pas maltraiter ? Peut-il donc exister des traitements plus cruels, plus barbares que ceux qui donnent la mort aux animaux les plus doux et à ceux de qui nous recevons le plus de services. D’un autre côté celui qui peut le plus ne peut-il pas aussi le moins ? De deux choses l’une ; ou il faut convenir que l’homme n’a pas le droit de tuer les animaux et de se nourrir de leur chair ou bien s’il a ce droit il a nécessairement aussi celui de les maltraiter.</p>
<p>Cette objection ne parait spécieuse que lorsqu’on la considère dans l’intérêt des animaux, c’est-à-dire en supposant que les animaux ont des droits naturels à raison de leurs qualités, de leurs services, de leur utilité ; et qu’il faut y avoir égard pour déterminer la manière dont on [12] doit les traiter ; ce qui n’est point exact : il me parait constant, au contraire, que l’empire de l’homme sur les animaux n’est pas moins absolu que celui qu’il exerce sur les végétaux et sur les autres objets de la Nature : que tous les êtres créés qui se trouvent à sa portée sont également soumis à sa domination ; qu’il peut user et disposer des uns et des autres selon son gré, sans craindre de blesser leurs droits, puisqu’il n’existe entre l’homme et les êtres étrangers à sa nature, aucun droit commun, aucune obligation réciproque : déplacer une pierre, arracher une plante, ôter la vie à un éléphant, sont des actes également indifférents et par conséquent licites.</p>
<p>Mais, d’un autre côté, l’homme a des devoirs positifs à remplir envers l’auteur de la Nature, envers lui-même, envers la Société, qui modifient son empire sur les animaux ainsi que tous ses autres droits naturels. Il manquerait à ses devoirs envers l’Auteur de la nature et envers lui-même, s’il abusait de son empire sur les animaux, c’est-à-dire s’il en usait en raison contraire de son intérêt réel et bien entendu. Il manquerait à ses devoirs envers ses semblables, si en usant de cet empire, il nuisait aux droits de la société ou à ceux de quelqu’un de ses [13] membres (a).</p>
<p>Celui qui blesse ou qui tue un animal domestique appartenant à son voisin, blesse le droit de propriété de ce voisin, commet une action injuste et par conséquent immorale ; mais comme la législation a établi des règles positives et suffisantes sur les atteintes portées à la propriété, il serait superflu de faire porter la discussion sur ce genre de délit, je ne m’occuperai donc des traitements qui peuvent être exercés sur les animaux.</p>
<p>Voilà précisément ce qui établit la distinction entre les bons et les mauvais traitements et ce qui en constitue la moralité. Or il est facile de concevoir, d’après cette explication, comment il peut arriver que des excès commis sur des animaux soient considérés comme des traitements barbares, tandis que leur mort violente n’est le plus souvent qu’un acte naturel et légitime. C’est que cette mort violente peut être utile à celui qui la donne sans offenser personne ; tandis que les excès commis sur les animaux sont presque toujours sans utilité pour celui qui en est l’auteur et néanmoins nuisibles à l’intérêt social ou individuel. […]</p>
<p>[17] Cependant, il faut en convenir, si les hommes n’étaient liés entre eux que par leur intérêt personnel (a), la société serait bien imparfaite : cet intérêt suffirait sans doute pour déterminer une résistance commune à un danger commun ; pour établir, parmi les membres de la société, tous les avantages, tous les secours qui pouvaient s’opérer par des échanges de propriétés, d’industrie ou de services : mais l’indigent, l’enfant, le vieillard, l’infirme qui n’auraient rien à donner en échange des secours dont ils auraient besoin, que deviendraient-ils ?… Ils périraient abandonnés. Heureusement la nature a gravé dans le cœur de l’homme le sentiment de la pitié, qui n’est autre chose que la sensibilité en action : elle supplée à l’insuffisance de l’intérêt privé, ou, pour mieux dire, elle modifie l’activité de cet intérêt ; elle inspire à chaque individu qui n’est pas dépravé une inclination vive et pressante qui l’entraîne dans l’enceinte du malheureux, auprès du berceau de l’enfant, autour du lit de douleur où gît le vieillard ou le malade, pour y apporter des soins affectueux, des secours affectifs et des consolations : si l’intérêt attache l’homme à la société, la pitié unit les individus entre eux de la manière la plus intime, en excitant les sentiments [18] réciproques de compassion, de bienfaisance, de générosité et de reconnaissance : elle forme l’un des plus doux liens de l’ordre social : elle est le germe fécond des vertus qui constituent essentiellement la morale publique.</p>
<p>Des écrivains célèbres ont pensé que les animaux sont susceptibles de pitié : d’autres en ont douté et ont cru que si le cri de la douleur émeut les animaux ; s’ils reculent à la vue d’un cadavre de leur espèce, la crainte et l’effroi peuvent produire ces effets ; que toutes leurs autres actions se rapportent à leur propre considération, à celle de leurs petits et à la propagation de leur espèce : quoi qu’il en soit, si quelques animaux peuvent être affectés par la pitié, il faut convenir que ce sentiment est chez eux très imparfait, ou du moins qu’ils n’en donnent que des signes très équivoques : dans l’homme, au contraire, la pitié est un sentiment vif et prononcé qui l’emporte souvent sur l’intérêt individuel et sur les passions les plus énergiques : aussi forme-t-elle un des grands caractères de supériorité de l’homme sur les animaux. […]</p>
<p>[19] Les progrès de la pitié sont toujours en raison directe de la civilisation ; ainsi qu’elle agit faiblement sur l’homme sauvage, elle s’altère dans l’état de barbarie, elle s’éteint dans celui de corruption : tandis que ses plus douces et ses plus fortes impressions remplissent le cœur de l’homme policé : et par cette expression d’homme policé on doit entendre celui qui est membre d’une société tellement constituée que la sureté, la liberté et la propriété de chaque individu sont garanties par de bonnes lois. Une autre vérité non moins constante c’est que la sensibilité et la pitié s’émoussent et se détruisent progressivement par le fréquent spectacle des cruautés (a)</p>
<p>(a) Par cruautés, j’entends toute action commise avec méchanceté, causant des souffrances ou la mort.<br />
de quelque genre qu’elle soit : le cœur s’endurcit, le sentiment se blase et l’on passe avec rapidité de l’insensibilité à l’abrutissement. Il est aisé d’après cela de concevoir comment les traitements barbares sur les animaux concourent à altérer la morale publique, c’est cette partie de la morale qui a pour objet le maintien et l’amélioration [20] de l’ordre social. […]</p>
<p>[21] ce sentiment (de pitié) s’affaiblit par une longue habitude et finit par s’effacer entièrement : ainsi par exemple, le boucher qui répand ou qui voit couler chaque jour le sang des animaux n’éprouve plus aucun sentiment pénible à cette vue : mais sa moralité n’en n’est pas sensiblement altérée, parce que sa profession ne blessant aucune loi (a)</p>
<p>(a) La moralité de nos actions consiste uniquement dans la conformité de nos actions avec la loi.</p>
<p>Etant au contraire utile à la société, il conserve le sentiment de son innocence. Le boucher peut donc être insensible et dur sans être immoral ni cruel. On peut dire la même chose de ceux qui s’adonnent à la pêche, à la chasse ; et dans d’autres classes, de ceux qui se livrent à la profession de la chirurgie, ou à celle des armes. [22] L’expérience prouve encore que dans ces divers cas, l’insensibilité n’est point absolue qu’elle est seulement relative à la cause qui y a donné lieu : aussi voit-on fréquemment le chirurgien qui opère avec une sorte d’insensibilité et le guerrier qui répand le sang à grands flots au milieu des batailles, s’attendrir ensuite à la vue d’un malheureux et donner dans toutes les occasions étrangères à leur état habituel des témoignages touchants de pitié et de compassion. […]</p>
<p>[23] Michel de Montaigne disait à ce sujet : « les naturels sanguinaires à l’endroit des bêtes témoignent une propension naturelle à la cruauté : après qu’on fut apprivoisé à Rome aux spectacles des meurtres des animaux, on vint aux hommes et aux gladiateurs ».</p>
<p>Il est néanmoins essentiel de remarquer que les traitements barbares sur les animaux ne doivent pas être considérés comme la cause première de la dépravation sociale : ils sont au contraire le résultat d’une corruption préexistante. Comment en effet des individus se livreraient-ils à ces traitements si le sentiment de la pitié subsistait encore dans leurs âmes ? Si la voix de la raison, celle de l’intérêt public et de leur intérêt personnel pouvaient encore se faire entendre ? La raison les empêcherait de se livrer à ces excès révoltants et dénaturés, de faire le mal pour le mal. L’intérêt ne leur permettra pas de faire des choses nuisibles au public et souvent à eux-mêmes. Quelle est donc la passion qui les subjugue qui étouffe la pitié ; qui l’emporte sur la raison et même sur l’intérêt ? C’est la cruauté. Il faut même qu’elle ait déjà jeté de profondes racines puisqu’elle rompt d’aussi fortes barrières. D’où il ressort [24] que les traitements barbares exercés sur les animaux sont plutôt les effets que la cause première de la dépravation, mais il n’en n’est pas moins vrai qu’ils intéressent la morale publique, parce qu’ils réagissent sur la société, qu’ils donnent de l’activité, du développement, de l’extension à la cruauté ; qu’ils accélèrent la dépravation et le retour à la barbarie. […]</p>
<h1>[27] Seconde Partie</h1>
<p>Convient-il de faire des lois à cet égard ?</p>
<p>Si les traitements barbares exercés sur les animaux intéressent la morale publique comme je crois l’avoir établi. S’ils achèvent de détruire la sensibilité, la pitié et tous les sentiments généraux qui forment les plus doux liens de la société et le vrai fondement de la morale, s’ils excellent la corruption des peuples et leur retour à la barbarie, il n’est pas douteux qu’on doive chercher les moyens de les prévenir ou de les faire cesser.</p>
<p>Ces moyens ne peuvent être pris que dans la Législation (a)</p>
<p>J’emploie le mot Législation dans son acception la plus étendue, c’est-à-dire, comme exprimant les institutions, les lois religieuses, civiles, criminelles, et d’administration…</p>
<p>Parce que la législation seule renferme des remèdes efficaces pour guérir les diverses maladies dont le corps social peut être affecté.</p>
<p>Eh ! Comment pourrait-on douter de la puissance de la Législation à cet égard [28] ne sait-on pas que c’est à la Législation, à distribuer les châtiments, les récompenses, l’honneur et l’infamie ? (a)</p>
<p>Si l’on objecte que c’est l’opinion et non la loi qui dispose de l’honneur et de l’infamie ; je répondrai que lorsque la Législation est bonne, elle dirige l’opinion et dispose par conséquent de l’homme et de l’infamie. De deux choses l’une : ou l’opinion est dépravée et dans ce cas la loi doit avoir des moyens de la rectifier : ou l’opinion est bonne et dans ce cas la loi doit se trouver conforme à l’opinion.</p>
<p>À disposer de tout ce qui peut inspirer la crainte ou l’espérance, la terreur ou la sécurité ; de tout ce qui peut exciter, ralentir, comprimer, modifier et diriger les passions. Si elles se trouvent quelques fois entravée par l’intérêt individuel et par l’opinion publique, elle parvient insensiblement, lorsqu’elle est dirigée par d’habiles mains à tourner dans le sens de la loi, de l’opinion publique, de l’intérêt individuel et à en faire ses plus puissantes armes. […]</p>
<p>[30] Mais quelles dispositions législatives faudrait-il employer pour [31] remédier à cet abus ? Faudra-t-il porter des lois prohibitives, pénales, correctionnelles contre les individus qui seraient prévenus de s’être livrées à des violences contre les animaux ? Faudrait-il graduer les punitions en raison de la gravité des excès qui leur seraient imputés ? Et composer un code entier qui puisse déterminer tous les cas ? Faudrait-il encombrer les Tribunaux actuels ou en établir de nouveaux pour statuer sur cette nature de délit ? Et, comme les animaux ne peuvent ni dénoncer, ni se plaindre, ni poursuivre, le Ministère public sera-t-il obligé d’intervenir, de se constituer dénonciateur et poursuivant dans les intérêts des animaux lésés contre les hommes ? La justice sera-t-elle réduite à s’interposer entre le charretier et ses mulets ? Obligera-t-on le propriétaire à fournir une preuve judiciaire que le cheval qu’il a maltraité était rétif ? Que le chien qu’il a fait périr était enragé ? Ou bien ne pourrait-il corriger ses animaux domestiques, sans en avoir d’abord constaté la nécessité et obtenu la permission de l’officier de Police ? Bien loin de proposer des mesures aussi inconvénientes aussi absurdes, si je présumais qu’elles eussent quelques [32] partisans, j’emploierais les considérations les plus puissantes pour les combattre. Je me bornerai à en présenter ici une seule qui me parait décisive : c’est que des lois prohibitives, pénales et correctionnelles ne rempliraient point l’objet qu’on se propose.</p>
<p>En effet j’ai déjà remarqué que des traitements barbares exercés sur les animaux ne sont point une cause première de la dépravation des hommes ; ils sont au contraire les effets de la cruauté : il faut même que cette passion funeste ait déjà fait des progrès, c’est-à-dire qu’elle ait étouffé la pitié naturelle, la raison, qu’elle ait prévalu sur l’intérêt public et même sur l’intérêt individuel pour produire de tels résultats : mais en législation, en morale, en politique lorsqu’on veut corriger un abus, il faut attaquer la cause qui le produit : c’est donc la cruauté qu’il faut chercher à détruire. Dès qu’on sera parvenu à l’extirper du cœur des individus, on n’aura plus à craindre de voir l’abus se renouveler. […]</p>
<p>[34] Dira-t-on, en faveur des lois coercitives et pénales, que le premier législateur d’Athènes, Triptolème défendît de maltraiter les animaux ? Que dans la suite il fut fait encore des défenses plus expresses de [35] tuer les bœufs propres au labourage, les agneaux qui n’avaient pas donné de toison et les brebis qui n’avaient pas porté ? Que le plus auguste Tribunal de la Grèce prononça des peines très sévères contre un jeune homme et contre un sénateur, le premier pour avoir crevé les yeux à son oiseau, le second pour avoir tué un moineau qui, poursuivi par un épervier, s’était réfugié dans son sein ? Je répondrai d’abord qu’il était bien naturel que le premier instituteur de l’agriculture fit connaitre la nécessité de conserver les animaux utiles à la prospérité du plus précieux des arts ; mais que cette défense de maltraiter les animaux ne fut qu’un simple prétexte de moral auquel Triptolème n’attacha aucune peine (a).</p>
<p>(a) Les historiens ne nous ont transmis que trois des préceptes de Triptolème qui avaient été conservés à Elensis : parentes honorare, deus fructus colere ; animalia non loedere.<br />
Porphis de abst. Lib. 4 Jounis Mursi Themis attica, cap. 1<br />
Les prohibitions [36] qui furent faites dans la suite de tuer les bœufs, les agneaux et les brebis qui n’avaient pas porté eurent seulement pour motifs d’empêcher que la race des bœufs et celle des mouton ne s’épuisent (a)<br />
Cum quodam tempore boves défeissent, ait philicorus, ab raritatem, longe cautum esse, ut ab illis animalibus abstinerent ; et uti non sacrificando cogerentium et abindarent… Erat vero etiam lex antiqua ut consuleretur soboli ne inter pecora, ovis intonsa, aut quaenondum peperisset montaretur. Athenens lib. 9 Paulo lib. 9 Themis attira l’ap. 17.<br />
et non de mettre un frein à la férocité des citoyens ; la profusion dans les sacrifices avait été portée à un tel excès qu’en certaines occasions on vit jusqu’à 300 bœufs trainés pompeusement aux autel (b).<br />
Isocrate, Areop, Tom 1</p>
<p>Ce fut sans doute cette profusion qui excita la sollicitude des législateurs. Quant au jugement de l’aréopage, je répondrai avec Montesquieu que : « ce ne fut point là une condamnation pour crime mais un jugement de mœurs dans une République fondée sur les mœurs » (c)</p>
<p>Esprit des lois</p>
<p>[…] [37] Pourquoi les lois prohibitives et pénales contre les duels, ont-elles produit si peu d’effet ? N’est-ce pas parce qu’on a laissé subsister le préjugé du faux point d’honneur qui en est la seule cause ? Quel succès pourrait-on attendre d’une loi prohibitive et pénale contre le fanatisme, si on ne commençait par dissiper l’erreur en propageant l’instruction ? A quoi pourrait aboutir une loi prohibitive et pénale contre la mendicité si l’on ne prenait d’abord des [38] mesures administratives pour procurer du travail aux pauvres valides et des secours effectifs à ceux qui sont dans l’impatience de travailler ; les lois prohibitives contre le célibat ont toujours été infructueuses, lorsqu’elles n’ont pas été accompagnées de mesures administratives propres à favoriser le mariage et la population (a).</p>
<p>Voici comment l’auteur d’Emile s’est expliqué sur ce point : « Quand Auguste porta des lois contre le célibat, les lois montraient déjà le déclin de l’Empire Romain. Il faut que la bonté du gouvernement porte les citoyens à se marier et non pas que la loi les y contraigne. Il ne faut pas examiner ce qui se fait par force, car la loi qui combat la construction s’élude et devient vaine, mais ce qui se fait par l’influence des mœurs et par la perte naturelle du gouvernement, car ces moyens ont seuls un effet constant. C’était la politique du bon abbé de Saint Pierre, de chercher toujours un petit remède à chaque mal particulier, au lieu de remonter à leur source commune et de voir qu’on ne les pourrait guérir tous à la fois. « Il ne s’agit pas de traiter séparément chaque ulcère qui vient sur le corps d’un malade, mais d’épurer la masse du sang qui les produit tous ». Emile.</p>
<p>Eh bien, il en est de même des traitements barbares exercés sur les animaux indépendamment que l’application des lois pénales serait [39] impraticable ; les lois n’auraient aucun résultat si on ne remontait d’abord à la source du mal. Ces réflexions me conduisent naturellement à chercher quels sont les moyens de prévenir ou de réprimer la cruauté.</p>
<p>La cruauté, dit Montaigne, est toujours « L’effet de la crainte, de la faiblesse ou de la couardise ». Ces vices se trouvent en effet fréquemment réunis. Cependant, lorsqu’ils affectent la majorité d’une Nation, ou peut les considérer les uns et les autres comme les résultats de deux causes principales, l’ignorance et le défaut de liberté : l’ignorance produit communément la superstition, le fanatisme, l’oubli des droits et des devoirs ; les peuples les plus ignorants sont les plus barbares : la servitude qui en est le résultat achève de faire perdre à l’homme ses qualités généreuses, ses vertus sociales et le sentiment de sa propre dignité : autant le peuple libre est courageux, franc, humain et loyal, autant le peuple serf est lâche, perfide, barbare ; il pousse la cruauté à l’excès : les publicistes les plus célèbres n’ont eu qu’une voix sur ce point et l’histoire des peuples a confirmé [40] leur opinion (a).</p>
<p>Ces vérités ont été profanées à un tel point par les exagérés et les niveleurs qui ont désolé la France, qu’il faut un certain courage pour oser les rappeler ; mais j’écris pour des sages qui apprécient les mots et les choses et qui savent distinguer la Liberté qu’il faut établir…</p>
<p>Dissipez donc l’ignorance, projetez la lumière, multipliez les instructions libérales, augmentez le nombre des propriétaires, combinez l’administration publique, de manière que les intérêts individuels soient en harmonie avec l’intérêt général : la lâcheté, l’égoïsme, la cruauté et les autres vices de cette nature disparaitront incessamment et vous verrez bientôt toutes les vertus sociales reprendre leur heureuse influence, faire le bonheur du peuple et la gloire de ses législateurs.</p>
<p>[…] Améliorer n’est pas bouleverser : je ne propose aucun changement dans les bases constructives des gouvernements, car quelles que soient leurs formes, qu’ils soient républicains ou monarchiques, qu’ils se terminent [41] en plateforme, en cône-tronqué ou en pointe, ils sont institués pour faire le bien général ; ils doivent par conséquent répandre les lumières (a),<br />
Je sais que le despotisme suit des règles opposées ; mais le despotisme est-il un gouvernement ?</p>
<p>Multiplier les institutions libérales, diminuer le nombre des prolétaires et faire coïncider l’intérêt des particuliers avec l’intérêt public… Toute législation qui s’éloigne de ce but est vicieuse ; proposer de la redresser n’est donc pas tenter un bouleversement. En second lieu de quoi s’agit-il en effet ? Des moyens de corriger la férocité d’un peuple, c’est-à-dire de réprimer de tout le vice le plus funeste et le plus voisin de la barbarie : les mauvais traitements exercés sur les animaux ne sont qu’un léger inconvénient de cette maladie politique, les autres effets qu’elle produit sont cent fois plus terribles. Or, pour corriger la férocité d’un peuple, il faut changer ses mœurs ; c’est-à-dire qu’il faut substituer des mœurs douces et pures à des mœurs dépravées. […]</p>
<p>[42] Ainsi les ministres du culte pourront participer à la régénération des mœurs, en faisant souvent entendre la voix touchante de la morale et de l’humanité : en faisant disparaitre de nos temples ces peintures effrayantes, ces tableaux hideux de la vengeance céleste où l’on a rassemblé tout ce que l’imagination délirante des fanatiques a pu concevoir de plus atroce. […]</p>
<p>[44] Quant aux mesures administratives, il en est plusieurs qui peuvent aussi être employées avec succès pour adoucir les mœurs : je mets en première ligne de soustraire aux yeux du peuple tout ce qui peut lui causer des impressions trop fortes, altérer sa sensibilité et étouffer le sentiment de la pitié. Ainsi, par exemple, les combats d’animaux doivent être absolument interdits [45] par une administration sage : ces spectacles sanglants où l’on voit des animaux divers, excités par des hommes, non moins féroces qu’eux, s’attaquer, se combattre, se déchirer et couvrir l’arène de lambeaux palpitants, ne doivent plaire qu’à des tigres, les hommes ne peuvent les supporter sans éprouver une altération dans leurs facultés morales. […]</p>
<p>[49] Ainsi pour ramener à la civilisation un peuple devenu féroce et cruel, on peut faire concourir avec les moyens de législation précédemment indiqués quelques mesures d’administration et de police, propres à donner de l’activité aux beaux-arts et au commerce, à faciliter l’établissement des spectacles, à introduire l’usage des fêtes champêtres, de la danse, de la musique, et à favoriser les diverses habitudes qui inspirent la joie, le calme et la sérénité : mais il faut en même temps établir une surveillance sage et mesurée, afin de prévenir les excès qui sont nuisibles en toute chose ; qu’une de ces fêtes champêtres, par exemple, soit consacrée à honorer les citoyens qui se seront signalés par quelques grands traits de dévouement et de générosité envers leurs semblables ; qu’une autre fête soit spécialement destinée à célébrer [50] ceux qui seraient parvenus par des soins assidus, des procèdes économiques et de bons traitements à améliorer les races des animaux utiles, à en multiplier le nombre, à en augmenter la valeur et le produit ; que les noms des uns et des autres soient proclamés par le régulateur de ces fêtes ; qu’ils y remplissent les places d’honneur ; qu’entre autres les premier obtiennent la couronne civique et quelques distinctions temporaires ; que les autres reçoivent une prime ou quelque autre récompense ; ce nouvel aiguillon d’intérêt et de gloire excitera une heureuse émulation et concourra insensiblement à réprimer la rudesse et la férocité des individus. […]</p>
<p>[51] Lorsqu’on sera parvenu par de bonnes institutions, par des lois sages, par une administration paternelle, à adoucir les mœurs du peuple et à substituer aux transports des passions violentes, les tendres affections de l’humanité, on n’aura plus à craindre les traitements barbares sur les animaux, parce qu’il ne saurait y avoir d’effet sans cause. Pourquoi en effet, le paisible laboureur traiterait-il avec barbarie les bœufs qui l’aident à creuser ses sillons ? Qui pourrait le faire sortir de son caractère naturellement doux et tranquille ? Qui pourrait le porter à des actes contraires à ses plus chers intérêts ? Je fais les mêmes questions relativement au voiturier, à l’écuyer, au berger et à tous ceux qui sont dans le cas de faire un fréquent usage des animaux domestiques : l’intérêt qu’ils ont à les bien traiter est un sûr garant de leur modération ; et cet intérêt sera le mobile de leurs actions, le régulateur de leur conduite, toutes les fois qu’ils ne seront pas agités [52] par les fureurs de la cruauté ! Tout se réduit donc à guérir cette maladie de l’âme ; j’ai tâché d’établir que la législation fournît de puissant antidotes et de nombreux remèdes pour opérer cette guérison et il ne me reste plus qu’à répéter, en finissant, cette touchante exhortation qu’Helvétius adressait aux législateurs : « O vous à qui le Ciel confie la puissance législative, que votre administration soit douce, que vos lois soient sages et vous aurez pour sujets des hommes humains vaillant et vertueux ! Mais si vous altérez ou ces lois ou cette sage administration, ces vertueux citoyens mourront sans postérité ! Et vous n’aurez près de vous que des méchants, parce que vos lois les auront rendus tels. L’homme indifférent au mal par sa nature, ne s’y livre pas sans motifs. L’homme heureux est humain, c’est le lion repu ».</p>8. Il faut que toutes les actions de l’homme soient conformes aux lois d’une morale universellement reçueurn:md5:f9b3118fa679bf57dcd0f368a56f27f02016-10-12T15:28:00+02:002016-11-07T17:12:46+01:00anacharsisDissertations<p>Dissertation 8, par Christian <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/Christian-Friedrich-Warmholz">Friedrich Warmholz</a>.</p> <p><em>p. 154 172 et 175 les citations correctements référencées par rapport à la dissertation n° 8 ont été, par une erreur qui s'est repétée, attribuées à Édouard Lambert. Ces citations, comme elles l'indiquent par le numéro du mémoire (8), reviennent au pasteur Christian Friedrich Warmholz.</em><br />
</p>
<pre style="text-align: center;">
Reçu le 28 Prairial an XI.
Commissaires :
Le Bureau,
Garran,
Revellière Lepeaux
Dupont de Nemours, lu et distingué
Toulongeon, lu</pre>
<p> </p>
<p>P. 1 Il faut que toutes les actions de l’homme soient conformes aux lois d’une morale universellement reçue. Plus sa raison approche du point de lumières et de force auquel il lui est donné de parvenir, et plus il doit être rare de lui voir produire l’action la plus insignifiante lorsqu’elle n’est pas dans une parfaite harmonie avec la loi morale.</p>
<p>Les Nations les plus éclairées ne sont point encore parvenues à s’accorder entre elles sur la moralité des actions humaines sous tous les rapports.</p>
<p>Un petit nombre de sages est convaincu peut-être de principes fondamentaux, mais il s’en faut que le reste des hommes ait adopté leurs principes. La multitude, poussée par un sentiment aveugle ou frappée par des exemples qui la touchent de près, continue, à cet égard comme à tant d’autres, à marcher au milieu des ténèbres.</p>
<p>Les actions qui résultent de nos rapports avec les bêtes ou qui se rapportent immédiatement aux bêtes sont de ce nombre. Il en est qui méritent le nom de barbares, nom sinistre et de mauvais augure que toutes nos langues se sont accordées à leur donner. […].</p>
<p>En dirigeant sur cet objet qui intéresse l’humanité en général l’attention d’une nation, aujourd’hui la première de l’univers et celle de l’Europe entière, l’Institut National a bien mérité non seulement de la morale universelle mais encore, en particulier, de la morale publique. […].</p>
<p>P. 2/3 Sous ce point de vue, il me paraît nécessaire, avant que de prononcer sur la moralité de ces actions, de présenter tant à ceux qui étudient la nature animée, que surtout à ceux qui ont négligé de s’en instruire, un tableau ou plutôt un esquisse des maux que l’homme, maître et tyran de la création, fait endurer à ses esclaves.</p>
<p>Il importe d’établir avant tout la différence des rapports qui existent entre l’homme et les animaux en divisant ceux-ci en deux classes principales. Tandis qu’avec l’une de ces classes l’homme a comme une espèce de contrat social, il vit avec l’autre dans l’état de nature. Le contrat qui subsiste entre lui et les animaux domestiques porte en substance qu’il leur assurera la nourriture, l’entretien et le couvert à condition qu’ils servent à tous ses besoins. L’autre classe, celle des bêtes sauvages, ne jouit pas du même privilège, l’homme exerce sur elle le droit du plus fort. Il a cependant subdivisé cette classe : il distingue entre le gibier qu’il ménage et les bêtes féroces qu’il détruit.</p>
<p>Malgré l’espèce de contrat qui existe entre l’homme et les animaux domestiques, malgré les prérogatives reconnues dont ils doivent jouir, malgré les lois et les instructions politiques qui veillent à leur éducation et à leur conservation, ils n’en sont pas moins exposés à des actes arbitraires de barbarie de la part de leurs maitres.</p>
<p>Nous commençons par en accuser cette classe d’hommes en qui la raison naissante n’est encore qu’à son premier développement, en un mot l’enfance et la jeunesse.</p>
<p>Parcourons quelques scènes de la ville et de la campagne et nous verrons avec une sensibilité douloureuse, dans leurs jeux, les enfants abandonnés à eux-mêmes, exercer des actes de barbarie sur les animaux qui sont à leur disposition.</p>
<p>Soit une troupe guerrière qui se rassemble à grands cris dans la prairie ; elle est armée d’arcs et de flèches, de longues sarbacanes. Quel est l’ennemi qu’on attend ? Est-ce cette autre troupe qui avance ? Veut-elle disputer le terrain à la première ? Non ; je les vois se réunir en fidèles alliés. Quel est donc le but, l’utilité qu’on se propose ? […] La joie brille dans tous les yeux. Que vois-je ? Un moineau couvert d’un tendre duvet, une souris tremblante, une chauve-souris à ailes étendues, clouées contre un poteau, exhalent lentement leur vie ; tantôt une flèche leur abat une aile, tantôt une balle frappe leur tête, tantôt un clou pénètre dans leur poitrine, ou leur enlève une patte. Ces malheureuses créatures se débattent en vain, elles ne peuvent fuir ni mourir. A la fin un coup de grâce les délivre.</p>
<p>N’ayant pour armes que celles que la cruauté leur fournit, des pierres, des mottes de terre durcie, d’autres enfants les lancent contre une corneille fixée sur une muraille ou contre l’oiseau de la nuit, la malheureuse chouette, ou contre une taupe suspendue dans l’air. Les cris aigus du volatile atteint pénètrent jusqu’aux oreilles des passants, le cœur des enfants n’en est point touché. La taupe souffre et meurt en silence.</p>
<p>P. 7/8 Ni la fidélité du chien, ni sa vigilance, le mettent à couvert des mauvais traitements des enfants. Tantôt on les force à se battre ou contre des chiens qui leur sont supérieurs en force ou contre des animaux d’une autre espèce qui les punissent d’avoir osé les attaquer. Tantôt on les fait aller de gré ou de force à l’eau pour en rapporter des pierres, ou du bois etc… Tantôt les enfants s’en servent en guise de cheval pour les porter, pour trainer des petits chariots, tantôt de siège et de banc. Et s’il se refuse un moment à ces services, il est accablé de coups. Ce n’est pas tout : l’enfant, ingénieux dans sa cruauté, attache à la queue de son chien ou à telle autre partie sensible, des crampons, des charbons vifs, et se livre à des transports de joie en voyant le pauvre animal chassé par la douleur d’un coin vers un autre, sans oublier un instant – quel reproche pour un cœur sensible ! – que c’est leur maitre qui les fait souffrir.</p>
<p>Les animaux malfaisants, ceux que la nature a armé de dents, de griffes, d’aiguillons, de venin pour repousser l’insulte ne sont pas à couvert de celles de enfants. C’est précisément parce qu’on les appelle malfaisants et venimeux qu’on trouve une sorte de mérite à les tourmenter. Les enfants ont en horreur les crapauds, les serpents, les lézards, les fouines, les rats ; mais plus ils les craignent, plus lorsqu’ils peuvent s’en rendre maîtres sans danger, ils les traitent avec une cruauté insultante et comme voulant se venger sur eux de leur propre faiblesse. Une troupe d’enfants armés de bâtons, de pierres, de fourches attaquera bravement un crapaud tranquille, une fouine qui se cache, un serpent qui veut s’échapper, les relancera dans leur trous, les tourmentera à mort sans que personne ne plaigne, ne sauve l’animal, qui passe pour malfaisant parce que, dans sa marche sage autant que profonde, la nature lui a donné des qualités nuisibles à l’homme, ou que l’homme lui prête gratuitement une partie de ces qualités.</p>
<p>P. 8/9 Ce que nous venons de dire des cruautés commises par les enfants peut s’appliquer aux jeunes gens de quatorze à vingt ans et même à des hommes de trente, à l’exception peut-être de ces jeux de la faiblesse, qui répugnent au sentiment de la force dans l’adolescent. Quelques-unes des descriptions qu’on vient de lire sont applicables à des hommes d’un certain âge, surtout quand au lieu d’une ou de deux victimes que l’enfant immole à sa barbarie, ils peuvent exercer la leur sur autant de douzaines.</p>
<p>Dans la plupart des pays, la chasse est un plaisir interdit à la multitude ; à défaut du gibier réservé à la classe privilégiée, il ne reste au peuple, accoutumé dès son enfance à tourmenter les bêtes, qu’à chercher ses victimes parmi les animaux domestiques, ou parmi ceux des forêts où la poursuite est permise à quiconque ose braver le danger.</p>
<p>Les bêtes féroces, celles qui ne sont pas comprises dans la catégorie du gibier qui sert d’ordinaire au plaisir de la chasse, ont beaucoup diminué en Europe, il est des contrées où elles sont extirpées ou du moins extrêmement rares. Peu d’habitants des villes ou des campagnes peuvent se vanter d’en avoir vues ; d’ailleurs, il y a tant de danger à les relancer et à les poursuivre, qu’on ne s’y résout guère que forcément et en masse par nécessité et nullement par plaisir. On payerait cher celui de pousser à bout un renard, un loup, ou telle autre bête carnassière, si l’on se proposait de lui faire souffrir les horreurs d’une mort lente, sans être assuré auparavant qu’elle est hors d’état de nuire.</p>
<p>A l’exception du gibier que le cultivateur, le jardinier, assomme quelques fois en secret dans son champ ou dans son potager pour se venger des dégâts qu’il a causés, et que pour cette raison il tourme quelque fois trop longtemps, on ne peut guère accuser la multitude de barbarie envers les bêtes sauvages.</p>
<p>Mais ne s’en rend-elle pas coupable envers les animaux domestiques qui l’environnent, qui sont sa propriété, ou celle de ses voisins ? Lors même que ce n’est pas le plaisir cruel de voir, de faire souffrir ces animaux, n’est-ce pas une malheureuse habitude que la plupart des hommes ont contractée de traiter ce qui est à eux, depuis leur chien, leur chat, jusqu’à leur cheval, de manière à mériter le reproche de barbarie.</p>
<p>P. 10/11 Suivons sur la route l’animal qui veille pour la maison. Exclu non seulement du corps de logis, mais des écuries, des étables, le chien de garde passe les nuits d’hiver et d’été dans la cour exposé à l’inclémence, à l’intempérie de l’air et des saisons, couché sur la dure, heureux lorsqu’il peut coucher sur le fumier. Percé jusqu’aux os de neige et de pluie, transi de froid, il se glisse le matin dans l’écurie, dans la maison ; et on ne l’y souffre pas toujours. Cela ne s’appelle-t-il pas dans un commun adage, qu’on ne saurait citer sans faire un cruel reproche à l’humanité, mener une vie de chien<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-1" id="rev-pnote-1">1</a>]</sup> ?</p>
<p>Il paraît au premier coup d’œil que les autres animaux domestiques sont moins exposés aux mauvais traitements de leurs maîtres à cause du préjudice même qui peut en résulter pour ceux-ci. Occupons-nous de cette classe d’hommes particulièrement chargés du soin des animaux domestiques et nous y trouverons des exemples nombreux de barbarie.</p>
<p>Le cultivateur ne nous en fournit-il pas dans la manière dont il traite son bœuf, son cheval de labourage ? L’un refuse à ses chevaux la portion de nourriture nécessaire pour restaurer les forces ; celle que l’autre présente aux siens est mauvaise et malsaine. L’un réduit les bœufs à chercher péniblement dans une mauvaise prairie une pâture ingrate ; l’autre oublie de les abreuver, on ou n’offre à leur soif que de l’eau stagnante et corrompue. Et cependant de ces animaux exténués de faim et de fatigue, on exige un travail soutenu : ils traîneront la charrue sur un terrain dur et pierreux, des charges pesantes dans un chemin marécageux, dégradé ; ils avancent sur les montagnes comme dans la plaine ; ils arrêteront seuls les charriots à la descente pour épargner à leur maître la peine d’enrayer. Souvent les forces de l’animal le plus robuste sont insuffisantes ; que sera-ce de celles de l’animal épuisé ? Est-ce au conducteur de s’en débarrasser ? Des coups de fouet, d’éperons […] de pierres lancées contre les flancs de ses bêtes de trait ; voilà ce qui, selon lui, leur donnera des forces qu’elles ne devront jamais qu’à une nourriture abondante et saine. […].</p>
<p>P. 11 - Les rouliers, ainsi que les laboureurs, traitent les chevaux avec la plus grande tyrannie. Sans avoir égard à la mauvaise saison qui va succéder, aux chemins qui se <…>, il arrange un voyage d’hiver comme un voyage d’été, il multiplie, il excède la charge. Le cheval le plus robuste succombe à la fin sous le faix. Rendu de fatigue, un jour de repos lui suffirait pour se remettre, mais quoi ? Un jour de repos ?... Ce n’est pas là le compte du roulier. Il met son fouet en campagne ; il faut bien que l’animal marche et que le reste de ses forces s’épuisent.</p>
<p>[…] Combien de de chevaux à cause de la main de leur impitoyable maître, perdent leur santé, s’exproprient, suivent tristement et couverts de plaies la voiture chargée, pouvant à peine se tenir eux-mêmes. […]</p>
<p>P. 12 C’est surtout en temps de guerre que nos bêtes de somme sont exposées aux plus cruels traitements. Là où, confiées à des goujats, à des mercenaires sans aveu, elles n’appartiennent au fond à personne ; là où des officiers eux-mêmes croient n’avoir aucun intérêt à les conserver ; là où c’est au souverain à remplacer l’animal qui périt, là où il n’y a qu’enlever au paysan son cheval pour le charger du bagage militaire, là où l’homme sensible trouve un motif suffisant pour maudire les guerres lors même qu’il n’en aurait pas mille autres pour détester les filles des furies.</p>
<p>Suivez la marche d’une armée, suivez la file des chariots et des chevaux, calculez les fatigues, les souffrances de ces derniers. Point de repos, point de fourrage, souvent des marches forcées. Ce que les coups de fouet ne font pas avancer, reste en arrière, périt abandonné. Ce n’est pas l’ennemi, ce sont leurs conducteurs qui ont mis ces malheureuses victimes dans cet état déplorable, qui après les avoir blessées, mutilées, croient s’acquitter envers elles en les délaissant. Quelle barbarie, suite inévitable de la guerre, qui en réunit tous les germes et de toutes les espèces ! […].</p>
<p>P. 13/14 Passons à cette classe d’animaux dont les travaux ne nous sont pas utiles mais qui durant leur vie et après leur mort contribuent à nous nourrir, à nous vêtir.</p>
<p>Si la condition des bêtes à laine et à corne est en général préférable à celle des bêtes à somme, parce que l’homme ne les astreint à aucun genre de travail, elle est la même à bien des égards, puisqu’elles partagent avec ces dernières la nourriture malsaine et gâté, les habitations sombres, humides, infectes et délabrées, le manque d’eau pure et abondante, les négligences et les mauvais traitements de ceux qui sont chargés de les nourrir et de les soigner.</p>
<p>En été, même au nord de l’Europe, les troupeaux passent la plus grande partie du jour dans les champs, sous les yeux d’un conducteur grossier. Dès qu’il arrive à l’animal qui cherche la nourriture de s’écarter des autres, de s’approcher d’un champ ensemencé, le conducteur est coupable pour n’avoir pas prévenu la faute, mais il la punit sur l’innocente victime. Les chiens s’élancent sur elle, la ramènent à coups de dents, foulent aux pieds la pauvre brebis, l’ébranlent à demi morte. […].</p>
<p>P. 14/15/16 Je passe à une nouvelle espèce de barbarie, à ces bestiaux qu’on engraisse au lieu où on les enferme. Bœufs, cochons, oies, canards, poulets, comprimés dans d’étroites prisons, sans pouvoir changer d’attitude, sans que jamais l’air y pénètre, de peur que son courant n’emporte quelque particule de graisse, sont condamnés à vivre pour manger, souvent forcés à avaler malgré eux la nourriture dont on les bourre. Quelles dégoûtantes prisons que ces étables à porcs gras, que ces auges où l’on engraisse ces oies. Et quelle barbarie de les y tenir internés ! Ou même […] et tuer le bétail gras. Et comment les transporte-t-on ? On les chasse devant soi, on les entraîne à la corde, on les jette sur un chariot, sur une brouette, on les suspend au cou du cheval ou de l’homme, on les étrangle à moitié en chemin.</p>
<p>De cette manière, dit le boucher, l’animal ne perd rien de la graisse ni de la chair, quelle barbarie froide et raisonnée ! Dans les grandes routes, on rencontre des troupeaux entiers de bêtes qu’on mène à la tuerie et qui, longtemps renfermées ou accoutumées tout au plus à des traites d’une heure, sont forcées tout d’un coup, à des journées de marche. Ici c’est une troupe de dindons conduite à coup de fouet dont on les frappe sans les […] ; là une longue file de porcs, attachés les uns aux autres, dont les plus robustes entraînent les faibles derrière eux ; là, une charrette chargée d’oies dont les ailes fortement liées ne pourraient plus leur servir quand on les remettrait en liberté. Là, toute une charrette de veaux garrottés, couchés les uns sur les autres, les têtes pendantes, les yeux et les narines gonflés de sang. Ici un jeune garçon porte sur chaque épaule plusieurs poules suspendues par les pieds. Les longs aboiements d’un chien de boucher annoncent une scène nouvelle. Deux jeunes veaux qui comptent à peine quinze jours suivis du bourreau qui vient de les acheter s’affaissent sous leur propre poids. Les morsures du chien leur prêtent un […] de forces ; ils avancent de quelques pas pour retomber et succomber à nouveau.</p>
<p>Enfin, ils ont atteint la ville, le marché, la tuerie. Sous la main du boucher habile, ils sont bientôt parvenus au terme de leurs souffrances ; mais souvent ils servent s’exercice à l’apprenti novice et maladroit ; de thème au maitre qui l’instruit ; les douleurs alors se prolongent et les minutes se changent en heures.</p>
<p>La condition des bestiaux qui servent aux besoins des armées est encore plus déplorable.</p>
<p>P. 16/17 Souvent pour que le bétail de réserve ne tombe pas vivant au pouvoir de l’ennemi dans une retraite, on lui coupe les jarrets, on lui fend la tête, on lui fracasse l’épine dorsale, on lui ouvre les veines. Quiconque n’a pas été témoin de cette boucherie entendra avec horreur nos guerriers lui en faire le détail.</p>
<p>Nous terminons ici le tableau des cruautés que les basses classes exercent sur les animaux domestiques, pour passer à celles dont les classes supérieures se rendent coupables.</p>
<p>Les classes moyennes et supérieures du monde civilisé, ayant en général des rapports plus éloignés avec les animaux que les basses classes, il paraît qu’elles sont moins exposées à transgresser à leur égard les lois de la moralité.</p>
<p>Cependant, c’est précisément dans ces classes que se trouvent compris tous ceux qui ont le privilège de la chasse. Dans tous les pays de l’Europe, c’est à la noblesse et à ceux qui l’ont remplacée, qu’il est réservé d’exercer en personne ou à travers des représentants, qu’ils appellent des chasseurs, ce droit exclusif. Or, c’est en l’exerçant que se commettent, sinon de la part de tous, au moins du plus grand nombre, une quantité de cruautés ; car peut-on faire passer pour non barbare trouver du plaisir à faire mourir un animal ?</p>
<p>On aime la chasse ou du moins on prétend l’aimer à cause de l’exercice bienfaisant qu’elle fournit au corps, à cause de l’air pur qu’on respire, à cause du but déterminé qu’elle offre à nos courses champêtres, à cause du supplément important qu’elle fournit à nos tables et parce qu’en même temps elle délivre l’habitant des campagnes de l’ennemi né de ses champs et de ses jardins. Mais qu’on nous permette de peser avec soin, sinon les raisons, du moins la conduite de la plupart de ceux qui les allèguent et nous trouverons que ce n’est pas tant le but raisonnable que le plaisir qu’on trouve à tuer le gibier qui en inspire la passion. On rencontre des chasseurs qui le prouvent en tuant un animal quelconque, un oiseau, une bête domestique, un chien, un chat, plutôt que de revenir à vide. La chasse, qui sous les points de vue de fournir son […] de gibier et de détruire les animaux malfaisants est un acte naturel et légitime, se change en barbarie dès qu’elle dégénère en passion.</p>
<p>P. 17 Les chasseurs, les forestiers, les garde-forêts ont rassemblé une grande quantité de gibier ; le voilà réuni sur un seul point : une multitude de paysans a reçu l’ordre de le garder : tous les amateurs de la chasse sont invités, on entend le hennissement des chevaux, les aboiements des meutes, le son du cor. La chasse commence. Le même cerf est forcé toute une demi-journée, est-il rendu, on lui en substitue un autre. Le chasseur qui le poursuit monte d’heure en heure un cheval frais pour le serrer de plus près, pour pouvoir l’atteindre de son fouet. L’animal infortuné semble avoir des ailes. Il ne court pas, il vole ; mais hélas, les chiens l’ont atteint et environné ; les forces l’abandonnent, son corps est inondé de sueur, la bouche blanchit d’écume, le sang distille de ses narines, les yeux lui sortent de la tête, il la relève pour respirer un moment, des larmes de sang tremblent dans ses paupières : les chiens déchirent ses flancs et le chasseur est satisfait.</p>
<p>Substituons au cerf majestueux l’intéressant chevreuil et nous verrons se renouveler la même scène d’horreur.</p>
<p>Et telles sont les délices de la chasse, de ce divertissement auquel on a osé donner le nom de noble !</p>
<p>Le nom de chasse générale, de chasse à courre ou, comme on l’appelle en Allemagne, de chasse forcée est devenu trop fameux. C’est elle qui nous a fourni les traits du tableau que nous venons d’esquisser. Quelle satisfaction de pouvoir se dire que ces chasses n’existent plus que dans des récits, j’ajoute dans les regrets des vieux chasseurs ; qu’aujourd’hui les princes de l’Europe, les grands propriétaires ont généralement renoncé à ce plaisir barbare, qui les rendait non seulement les bourreaux des cerfs et des chevreuils qu’ils courent mais aussi des chiens, des chevaux et même des hommes qu’ils employaient. Un petit nombre d’exceptions trouble cette satisfaction ; des petits chefs d’Etats faibles, de petits grands, trouvent encore plaisir à forcer les cerfs, à tourmenter le chien et le cheval. Pourquoi faut-il le reprocher à deux ou trois princes d’Allemagne, d’ailleurs si dignes de la vénération publique ? […]</p>
<p>La chasse à l’ours, au loup, au renard, au lynx, au blaireau, était autrefois et, dans les pays où ces animaux son indigènes, continue à être un plaisir d’autant plus que les regardant comme des bêtes féroces, dangereuses et nuisibles à l’homme et au chasseur, on se croit particulièrement autorisé à les tourmenter, lorsqu’après s’en être rendu maître, on n’a plus à les craindre.</p>
<p>P. 22 Parmi les classes supérieures qui se rendent coupables de barbarie à l’égard des chevaux, il en est une qui s’est toujours particulièrement distinguée ; c’est celle qui n’étant pas assez riche pour entretenir une monture et trop fière ou trop commode pour aller à pieds [sic].</p>
<p>Le cheval qu’on monte n’est pas notre propriété, quel motif pour ne le ménager qu’autant que nous en sommes responsables. Peu nous importe qu’il crève, pourvu que ce ne soit pas dans l’intervalle où l’on peut nous condamner à le payer, pourvu que nous l’ayons ramené vivant à son maître. Le même animal qui vient de servir aujourd’hui à l’un, demain à l’autre, et que l’âge et les fatigues ont affaibli, lorsqu’il se refuse à la fin aux volontés de son tyran, en éprouve toutes les rigueurs. Le plus léger accident qui lui arrive devient une faute impardonnable, que l’éperon, le fouet et les mors peuvent seuls expier. Ignore-t-il donc le stupide animal à quel prix il vient d’être loué ? Ignore-t-il l’occupation importante et pressée qui attend au lieu de sa destination celui qui le monte ?</p>
<p>N’est donc rien à ses yeux que d’aller au village ? Au cabaret voisin ? De montrer son adresse à manier un cheval avec dextérité ? On a raison surtout en Allemagne d’accuser les étudiants, les officiers de se livrer avec fureur à ces pratiques barbares, mais qu’on s’épargne du moins la peine de leur en faire des reproches et de s’entendre dire : « Bah ! La vieille […] n’en crèvera pas plutôt pour cela ! ».</p>
<p>Il s’est introduit dans la société, des jeux auxquels toutes les classes qui la composent, prennent part, en s’accordant, sinon à tourmenter les bêtes […] à cette intention, du moins à prendre plaisir aux souffrances qu’on leur fait endurer, à exprimer ce plaisir par de longs applaudissements. Cette approbation, ce plaisir ne prouvent-ils pas qu’avec raison on remplacerait sans scrupule les bourreaux de ces bêtes ?</p>
<p>P. 23 A la tête de ces spectacles barbares, nous plaçons avec raison les combats de taureaux en Espagne. On ne voit pas que le courage et la bravoure des habitants de ce beau royaume qui porte les chaînes de la bigoterie et de la superstition, aient gagné à ces exercices. Au plus quelques hommes audacieux qui se sont soumis dans cette école aux dépens d’une foule d’animaux nobles et utiles, mais en sont devenus les victimes. Lors du double mariage des princes et des princesses d’Espagne et de Naples, à Barcelone, ces combats de taureaux, s’il faut en croire les papiers publiés, furent l’une des principales réjouissances. Quel contraste révoltant entre les animaux égorgés et la douceur de l’hymen ! Les Espagnols on fait passer leur exercice favori dans la Nouvelle Espagne, au Mexique, au Pérou, au Chili. Senierques, le compagnon de voyage de La Condamine fut assassiné à Cuenca, à l’occasion d’un de ces combats.</p>
<p>Sera-t-on surpris de vois les mêmes combats passer au Portugal et y être naturalisé par les voisins des Espagnols ?</p>
<p>P. 24/25/26 Les courses de chevaux, en Angleterre et en Italie, différent considérablement. Tandis que les premières, sans être exemptées de cruautés, sont plutôt l’effet de la fureur naturelle des Anglais pour les gayeures [sic] et de l’intérêt qu’ils mettent à ennoblir et à perfectionner la race de leurs chevaux, celles qui ont lieu en Italie ne peuvent leur être comparées puisque l’invention barbare<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-2" id="rev-pnote-2">2</a>]</sup> qui prend la place du léger jockey<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-3" id="rev-pnote-3">3</a>]</sup> est pour le cheval sans conducteur un instrument de supplice bien plus cruel que le fouet et l’éperon.</p>
<p>Il est plus difficile de décider entre l’Italie et l’Angleterre lorsqu’il s’agit d’examiner le degré de barbarie qui règne dans leurs combats de taureaux. Des observateurs éclairés et impartiaux ont trouvé dans les hautes classes comme dans les basses de l’île et de la presqu’île, la même fureur, le même acharnement à jouir de ce spectacle où le fier dogue ou l’audacieux chien corse s’attache à son redoutable adversaire.</p>
<p>On peut comparer avec ce combat ceux qu’à Vienne, on livre aux bêtes féroces. En 1791, on y donna ce divertissement aux grands et au public, puisque c’est de là que date la fameuse anecdote du lion Isaac et du chien de chasse<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-4" id="rev-pnote-4">4</a>]</sup>. Les combats de bêtes auxquels l’ancienne Rome condamnait les esclaves coupables et, dans la suite, les chrétiens, ces combats ont donc été renouvelés dans une forme différente dans la capitale des successeurs des empereurs romains ? L’Allemagne a si peu suivi cet exemple cruel qu’à peine à Ratisbonne dans le voisinage de Vienne, il a été imité<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-5" id="rev-pnote-5">5</a>]</sup>.</p>
<p>Le lion quitte à regret sa couche chaude. Il avance d’un pas lent, s’étend, se couche. Quatre gros dogues se précipitent sur lui, trois d’entre eux, en approchant l’énorme bête, reculent à sa seule vue et prennent la fuite. Le quatrième ose l’attaquer, mais le lion d’un seul coup de patte, sans daigner se lever, l’abat et le prive de tout sentiment. Il l’attire à lui et se couche sur lui avec ses pattes de devant, de sorte qu’on ne voit du chien qu’une des cuisses. Tout le monde croyait le chien mort ; on attendait que le lion se levât quand, tout à coup, le chien commence à remuer la queue et à se mouvoir. La surprise des spectateurs se change en allégresse lorsqu’on voit le chien se remettre en liberté et chercher à se sauver. A peine a-t-il franchi la moitié de l’arène, que sa fuite réveille l’instinct du lion. Il s’élance, en deux sauts il a rejoint le chien qui hurlait en sautant devant l’entrée, afin qu’on la lui ouvrît. La fuite du chien avait provoqué le courroux du roi des forêts, ses gémissements et ses cris excitent sa pitié ! L’animal magnanime recule quelques pas et attend tranquillement qu’on ouvre l’entrée au prisonnier. Le trait incroyable de générosité, qui rend croyable ce que l’antiquité rapporte de celles des lions, agit puissamment sur la sensibilité de ceux qui l’instant d’avant avaient applaudi à la fureur sanguinaire d’un ours. De toutes les loges, de tous les côtés du théâtre, on en entendit retentir les bravo et le généreux Isaac devint le favori du beau monde ».</p>
<p>A Paris, les combats de bêtes venaient immédiatement à la suite des farces d’Audinot et de Nicolet et servaient de recréation à ceux qui étaient aussi riches en loisirs que pauvres en occupations.</p>
<p>P. 29 […] Pour réveiller s’il est possible la voix du sentiment, afin qu’ici comme partout où il s’agit des actions de l’homme, elle puisse agir sur la volonté, la morale a besoin de développer les motifs qui placent nos devoirs envers les animaux dans la classe de ceux que nous admettons généralement comme évidents et irrésistibles. Pour lever les doutes et repousser les objections et la résistance des idiots et des méchants, si difficiles à vaincre et à persuader, il faut que l’Etat se prononce clairement et avec précision sur l’existence de ces devoirs ; il faut des lois qui, avertissant sérieusement de ne pas les négliger, dénoncent des châtiments positifs à ceux qui les transgressent.</p>
<p>Nous ne pouvons parvenir à notre but qu’après avoir préalablement examiné dans quel rapport se trouvent en général avec la morale, les actions barbares que nous venons de rapporter. Quoique on ait beaucoup écrit sur cette matière, quoiqu’on ait dit là-dessus d’excellentes choses, auxquelles il suffirait peut-être de renvoyer mes lecteurs, nous ne les croyons néanmoins pas assez concluantes pour servir de base à nos raisonnements<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-6" id="rev-pnote-6">6</a>]</sup>. On nous permettra, en conséquence, d’apprécier plus au juste ces cruautés envers les bêtes que nous venons de rapporter et qu’on est généralement d’accord d’appeler des actes de barbarie. De cette appréciation même naîtra la notion exacte qui fait l’objet de notre recherche.</p>
<p>P. 31</p>
<p>Il a accordé à l’homme faible et borné les mêmes droits qu’à soi, même droit de personnalité, de conservation, de propriété, de jouissance. Il ne s’est cru autorisé à les refuser qu’à ceux qui empiétaient sur les siens ; il a cru devoir réprimer la liberté et les droits de ceux qui portaient atteinte aux siens. La justice a toujours pris le parti de l’opprimé contre l’oppresseur. Veillant à sa propriété, elle a dû également veiller à celles des autres.</p>
<p>Sous ce point de vue les animaux, ces êtres éternellement privés du bienfait de la raison et de la parole, ont besoin d’un avocat, d’un patron, dès qu’ils ont des droits à réclamer dont on leur conteste l’usage et la jouissance.<br />
Où se trouve le sentiment, se trouvent aussi l’horreur et l’appétit. L’appétit et l’horreur s’exercent sur des objets qui, en rapport avec l’être sensible, produisent en lui le bien ou le mal. Le mal le menace de la destruction de son être. Le bien lui en promet la conservation et le perfectionnement. C’est la nature qui, en dotant de sentiments tous les êtres vivants, en plaçant autour d’eux les objets de leur horreur et de leur appétit, a déterminé les besoins des êtres sensibles.</p>
<p>Au milieu des êtres sensibles que nous connaissons, la nature a placé l’homme et lui a tracé le cercle de ses besoins, par les qualités dont elle a doté son âme, le premier siège de toute sensation.</p>
<p>C’est de l’usage qu’on fait de ces besoins que dépendent la conservation et la vie de tous les êtres sensibles.</p>
<p>P. 32 La nature réservait à l’homme un nouveau privilège. Il se distingua bientôt de la bête, en substituant à l’instinct aveugle, des motifs de son choix, qu’il sut opposer souvent à ce même instinct qui parlait en lui. Il se sentit susceptible de perfectionnement. La nature qui l’avait doué de cette prérogative voulait sans doute aussi qu’il en fit l’usage pour s’élever d’un degré de perfection à l’autre, elle voulait qu’il se procurât toutes les choses nécessaires pour y parvenir. L’homme se vit donc obligé de faire face à deux espèces de besoins, à ceux de sa conservation et à ceux de son perfectionnement. Les animaux continuèrent à ne connaître que les premiers<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-7" id="rev-pnote-7">7</a>]</sup>.</p>
<p>Si l’homme, avançant dans la perfection, opposant un but de son choix à la seule voix de l’instinct, a dû former des notions d’entendement et les communiquer à ceux qui participaient à sa nature, il le fit entendre à ses semblables et convint avec eux d’appeler leurs droits, les moyens que la nature leur assignait à tous de pourvoir à leurs besoins et de les changer en jouissances.</p>
<p>Si l’homme appelle droits ces moyens qui lui servent, il doit appeler du même nom ceux que la nature fait servir aux besoins des animaux et à leur jouissance.</p>
<p>P. 32/33/34 L’homme est donc appelé, comme il l’est relativement aux enfants en bas-âge et mineurs, à proclamer les droits des animaux, à respecter ces droits, à les maintenir et à les défendre. L’homme est le tuteur né de la création, privée de la raison et du don de la parole. Nous osons, nous devons le dire, sans vider les règles de la langue, que l’animal a le droit de conserver sa vie et d’exercer tous les actes nécessaires à cette conservation. En conséquence de la volonté et des lois de la nature, l’animal a le droit de propager et d’exercer tous les actes qui tendent à ce but.</p>
<p>Certaines espèces d’animaux, comme par exemple le lion et l’aigle, le tigre et le vautour, le renard et le corbeau, l’hirondelle et la chauve-souris, le hay (?) [sic] et le brochet, le crocodile, la grenouille et le lézard ne peuvent vivre qu’aux dépens de la vie d’autres espèces. Or, si ces animaux ont le droit de conserver leur vie, et que la nature les a organisés de manière à ne pouvoir vivre sans se nourrir de chair d’autres animaux, et leur a par conséquent assigné le droit de les tuer et de les manger [sic].</p>
<p>En accordant à certains animaux des armes destructives, la nature a déclaré qu’elle leur permettait d’en faire servir d’autres à leur conservation. Ce n’est pas un attentat contre elle, un renversement de ses lois, c’est un ordre établi par elle-même, d’après lequel la mort d’un animal devient un principe de vie pour un autre.</p>
<p>En tant que l’homme est un être sensible, un animal en un mot, placé par la nature sur ce globe, au milieu des autres animaux, il a communauté de droits avec eux. Il a celui d’exercer tout acte qui tend à la conservation de son être, celui d’exercer tout acte qui tend à la propagation de son espèce. En tant que la nature l’a doué de la faculté de se perfectionner, de s’élever au rang de tuteur et de maître des animaux, elle lui a accordé le droit d’exercer tout acte qui contribue à développer en lui ces dispositions.</p>
<p>La vie de l’homme est souvent attaquée, molestée, mise en danger par d’autres animaux, il a en conséquence le droit de s’opposer à leurs insultes, et celui de les tuer, s’il ne lui reste pas d’autres moyens de rendre sa vie plus commode et de la mettre en sûreté.</p>
<p>La nature a refusé à l’homme ce vêtement naturel qu’elle accorde aux autres animaux. Dans plusieurs climats où elle l’appelle à vivre, le vêtement est devenu pour lui un besoin indispensable. L’homme suivit la loi de l’épargne, dictée par la nature, en s’appropriant la peau de l’animal qu’il venait de tuer pour avoir menacé ses jours ; elle lui servit à se défendre des injures de l’air. L’homme acquit le droit de tuer l’animal pour faire servir sa dépouille à son vêtement et conserver sa vie. L’espoir de l’emporter en forces sur tel animal qu’il avait besoin de dépouiller pour couvrir sa propre nudité lui inspira le courage d’exercer son droit. Lors même qu’il succombait dans le combat, il avait cherché à conserver sa vie aussi longtemps qu’il lui avait été possible. Ce n’est qu’en avançant dans la perfection que l’homme a trouvé que le monde végétal lui offrait des productions dont le tissu varié pouvait le mettre à couvert des rigueurs de la saison.</p>
<p>La nature a organisé le corps de manière à le rendre propre à se nourrir de chair en même temps qu’elle lui donna l’aptitude de se nourrir de végétaux. La nature a transplanté l’homme dans des climats où la végétation ne lui offre aucune espèce de nourriture. Ce double arrangement exprime une loi de la nature, loi par laquelle l’homme est autorisé à tuer les animaux pour se nourrir de leur chair. Il suit une autre loi de la nature, celle de l’épargne, en tuant l’animal qui moleste et attaque sa vie, en se couvrant de sa dépouille, en se nourrissant de sa chair, il a le droit pour atteindre l’un de ces buts de tuer les animaux.</p>
<p>L’homme parvient de la manière la plus prompte et la plus sûre à son perfectionnement en prenant à son service les animaux qui l’environnent, en les chargeant de travaux, de fonctions, qui, s’il voulait les exercer en personne, l’arrêteraient dans la marche que la nature lui trace, dans la perfection à laquelle il doit tendre sans partage. Il y parvient en se servant du lait, de la toison, et du poil des animaux, en les tuant non seulement pour mettre sa sûreté et sa vie à couvert, pour faire servir leurs dépouilles à son vêtement, leur chair à sa nourriture, mais encore pour tirer parti de plusieurs autres parties de leur corps, ou pour les faire servir, vivants et morts, à des recherches anatomiques et physiques, qui étendent la sphère de sa connaissance.</p>
<p>Tels sont les principaux articles sur lesquels se fondent les droits de l’homme par rapport à l’usage qu’il peut faire des animaux.</p>
<p>Chaque fois qu’il tue un animal sans être mû par une de ces raisons, il empiète sur les droits des animaux, il commet une injustice, un meurtre, dans toute la force du terme. Chaque fois qu’il impose à l’animal un travail, un fardeau qu’il lui fait éprouver une douleur qui ne sont point en liaison directe avec les points susmentionnés, il néglige ce qu’il doit aux animaux, il commet un acte d’injustice, de cruauté ; dans les deux cas, il se rend coupable de barbarie.</p>
<p>Nous voilà parvenus à l’idée distincte qu’il faut attacher à ce qu’on appelle le traitement barbare des animaux.</p>
<p>P. 35 Pour offrir l’image d’un être moralement bon, l’homme ne doit se contenter d’être, quoique la justice soit le fond du tableau ; il doit joindre à cette vertu celle de la bonté ! La bonté ne s’informe pas du droit qu’on a des prétentions sur elle ; elle ne mesure pas scrupuleusement ses propres droits. Elle y renonce quelques fois volontairement, elle cède de ses jouissances pour augmenter celles des autres, sans pourtant s’exposer par là au mal-être et à la misère. Tant que cette vertu repose encore dans notre âme, tant qu’elle n’existe que dans nos dispositions et dans nos vœux, on l’appelle bonté, bienveillance désintéressée. Se manifeste-t-elle dans nos actions, surtout en cédant nos biens pour augmenter le bien-être d’autrui, elle porte le nom de libéralité.</p>
<p>P. 38/39 Nous n’attribuons pas aux animaux d’actions libres. Si ces êtres qui suivent le plan de la nature n’agissent point librement et ne peuvent en conséquence avec ni l’intention de nuire à notre bien-être ni celle de l’accroître, l’accroissent cependant de manière ou d’autre, c’est proprement à la nature, qui en les créant ainsi a prouvé son intention de contribuer à notre bien-être, que nous devons témoigner notre reconnaissance. Mais cette nature qui nous environne de tous les côtés est invisible ; comment peut-elle donc recevoir les signes, les expressions de notre reconnaissance, comment pouvons-nous les lui faire parvenir ? Elle est visible dans les animaux, elle a désigné ceux-ci comme dépositaires, entrepôts des émanations, des effets de la reconnaissance que nous lui devons. C’est sous ce point de vue que la reconnaissance nous presse et nous sollicite, et qu’une voix interne nous dit : « Paye aux animaux ce que tu dois à la nature ; fais leur du bien, augmente leur bien-être, diminue leur misère, oppose-toi à tous les tourments, à toutes les douleurs dont une âme ingrate voudrait les accabler ; sauve-les d’une mort inutile ».</p>
<p>P. 39/40 Mais voudrions nous déclarer les animaux absolument dénués de volonté, parce que nous ne pouvons leur attribuer un sentiment distinct de ce qu’ils sont ? Voulons-nous faire passer pour simple instinct, pour mécanisme <…> animal ce que nous voyons si souvent en eux avec admiration, ce que nous prendrions dans l’homme pour le résultat de la raison développée ?</p>
<p>Quand nous les voyons garder notre fortune avec une vigilance et une fidélité que nous <…> rares même dans les hommes les plus honnêtes, témoigner à notre arrivée une joie que nous ne découvrons que dans nos amis, travailler pour nous et retourner au travail avec un zèle que nous ne voyons que dans nos serviteurs les plus affidés, nous avertir du danger et nous en retirer aux dépens de leur vie, ce qu’à peine feraient les hommes les plus généreux et les plus braves ; partager nos douleurs et refuser de prendre des aliments quand ils nous voient souffrir, ce qui ne se trouve chez les hommes que dans les relations les plus tendres du sang et de l’amitié, enfin se coucher et mourir sur notre tombe semblables aux seules victimes de l’amour conjugal : pouvons-nous nous empêcher de voir dans tout ceci l’expression et l’acte de la volonté ?</p>
<p>Il y a tant d’histories touchantes que l’antiquité et les temps modernes rapportent de chiens, de chats, de chameaux, d’éléphants, de singes, de lions* etc… : que ce soit se rendre coupable d’une espèce de crime que de refuser aux animaux la volonté de rendre service à l’homme. Les récits de la fidélité, de l’attachement des bêtes et de leurs bienfaits envers les hommes sont en trop grand nombre, les témoins, les garants qui les rapportent se distinguent trop par leurs lumières, par leur impartialité, pour qu’on puisse traiter ces récits de fables. Pourrons-nous mettre un seul instant en question si nous devons de la reconnaissance à des êtres si portés à nous rendre heureux ?</p>
<p>P. 41 La barbarie des hommes sur les animaux intéresse la morale en tant qu’elle est une des causes principales de la détérioration du caractère moral de l’individu aussi bien que du genre humain. La barbarie, la cruauté exercée sur les bêtes rend bientôt l’homme barbare et cruel envers ces semblables. Cette disposition haineuse qui se glisse dans le cœur de l’homme par tant de sentiers détournés, y entre tout en grand si on lui ouvre cette porte. La cruauté de l’homme envers son semblable est le complément ou l’excès du mépris insultant de tous les droits que notre semblable réclame, de tous les devoirs qui nous lient à lui ; elle est la mère de tous les crimes et de tous les vices par lesquels les hommes se combattent et s’entredétruisent.</p>
<p>La cruauté ne trouve point à se satisfaire dans le pillage des fortune comme la fraude, la cupidité l’intérêt, ni dans la séduction et l’adultère, comme la volupté, ni dans le renversement de l’édifice extérieur de notre félicité, comme l’envie et la vengeance ; elle se fait précéder par tous ces démons de l’enfer dont chacun est obligé de lui apporter son tribut et sa victime.</p>
<p>P. 41/42 Tel est le caractère de la cruauté, tels sont les traits dont elle se peint elle-même dans l’histoire des individus et des nations entières possédés par ce démon de la destruction, soit que le fanatisme religieux ou politique l’ait produit tout d’un coup, soit qu’il se soit formé lentement à l’école du traitement barbare des bêtes. La Saint Barthelemy, les Vêpres siciliennes, la conquête des Indes, de l’Amérique, de plusieurs pays chrétiens, les scènes de la Révolution sont, dans l’histoire du monde, autant de moments de cruauté horribles<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-8" id="rev-pnote-8">8</a>]</sup>.</p>
<p>Il n’y aura personne, pour peu qu’il ait étudié la nature de l’homme et la manière dont les vices s’emparent par degrés de son cœur, qui puisse douter un moment que la cruauté envers les animaux, dès que nous la regardons comme indifférente et pouvant être exercée sans scrupule, n’influe puissamment sur notre caractère et ne nous rende cruels envers nos semblables.</p>
<p>P. 42 On peut définir la cruauté, d’où découlent les traitements barbares des animaux, un penchant à détruire joint à la joie que produit le coup d’œil de la destruction.</p>
<p>P. 43 L’auteur de la Philosophie de la Nature* peint avec autant de force que de vérité les progrès successifs de la cupidité, passant des plus petites choses aux plus grandes pour se satisfaire. Il n’a fait qu’une faute ; c’est de placer le germe de la cruauté dans un homme naturellement endurci, dans la tête d’un despote. Il est évident que, placé dans des certaines inconstances, tout homme peut contracter l’habitude de la cruauté.</p>
<p>P. 45 L’histoire de France nous offre dans la vie du roi Charles IX, une observation du même genre. Qui ne sait que la cruauté de ce prince s’est montrée dans toute son atrocité à l’occasion de la trop fameuse Saint Barthélemy<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-9" id="rev-pnote-9">9</a>]</sup> ? Mais qui s’étonnera de le voir tirer sur ses sujets et prononcer ces mots horribles à la vue du cadavre de Coligny : « le corps mort d’un ennemi sent toujours bon ! », quand on saura qu’il se plaisait, étant jeune, à blesser, à tuer, à tourmenter les animaux et à se préparer de cette manière à ces horribles boucheries ? Le mulet de son favori Lansac devait un jour devenir la victime de sa barbarie, sous prétexte de lui fournir l’occasion de déployer son adresse ; lorsque Lansac le retint et lui dit : « Eh Sire, quelle querelle est donc survenue entre Votre Majesté et ma mule<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-10" id="rev-pnote-10">10</a>]</sup> ? »</p>
<p>P. 46/47/48 L’histoire des Indiens de l’Amérique septentrionale, depuis la baie de Hudson jusqu’à l’embouchure du Mississipi, qui pour le physique, les usages, les mœurs se ressemblent parfaitement, sert à prouver la vérité de l’assertion qui nous a engagés à rapporter l’anecdote qu’on vient de lire. Peut-on se faire une idée des cruautés horribles, inouïes, dont en Europe on ne conçoit pas la possibilité, et qu’ils exercent sur ceux de leurs ennemis qui sont tombés dans leur pouvoir. A-t-on une idée des tourments raffinés, des tortures ingénieuses dans leur cruauté qu’ils font souffrir aux prisonniers qu’ils n’admettent pas dans la classe des vainqueurs ? Peut-on se rappeler sans horreur les expressions dont leur fureur, paire de leur barbarie se sert pour désigner leurs ennemis, en se préparant à la guerre, ou les chants et les danses par lesquels ils s’excitent au combat ? Que de fois leur haine, leur vengeance terrible, au lieu de frapper les Européens qui les avaient provoquées, se sont appesanties sur des innocents colons. L’histoire du genre humain offre-t-elle quelque chose de plus atroce, de plus affreux que les explosions de leur fureur, ou les effets froids, lents et calculés de leur inhumanité à l’égard des étrangers et entre eux-mêmes<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-11" id="rev-pnote-11">11</a>]</sup> ? Raynal, Robertson, l’auteur de l’ouvrage intitulé An Account of the European Settlements in America, celui de l’histoire universelle des pays et des peuples de l’Amérique, Lafiteau, Adair, Carver, le comte Carli et tant d’autres historiens et voyageurs anciens et modernes qui nous ont fait part de leurs observations sur le nouveau monde s’accordent tous en parlant des cruautés que les habitants de ce pays exercent sur leurs prisonniers, sur leurs ennemis sans défense, sur des femmes, des enfants, des vieillards, et ne laissent à cet égard aucune ombre de doute, ne permettent aucun soupçon de partialité.</p>
<p>Après avoir étudié l’histoire toute entière de ces peuples, l’observateur de l’homme et de l’âme de l’homme ne regardera plus comme un problème insoluble, d’un côté l’extrême cruauté qu’ils manifestent et de l’autre l’inconcevable fermeté qu’ils opposent aux tourments les plus terribles.</p>
<p>Jetés par la nature dans des forêts impénétrables et immenses qui souvent ne leur offrent que les racines et les bayes nécessaires pour apaiser leur faim, environnés d’insectes malfaisants, de reptiles et d’amphibies venimeux, de bêtes féroces et carnassières, les ancêtres des Indiens d’aujourd’hui devaient s’endurcir aux maux, aux douleurs, aux dangers et opposer l’indifférence, le calme et le courage à ces différentes classes d’ennemis. Leurs combats continuels avec les animaux pour s’en emparer ou pour s’en défendre, joints à l’indifférence pour la mort, suite naturelle d’une vie qui leur offrait si peu d’attraits, doivent leur inspirer le mépris de la vie des autres, l’indifférence et l’insensibilité, en leur donnant la mort. Ils tuaient leur ennemi, leur compagnon, celui dont ils voulaient posséder les vêtements, l’aliment ou les armes. Endurcis aux maux qu’ils enduraient eux-mêmes, comment auraient-ils pu être sensibles aux maux d’autrui, soit qu’ils en fussent les témoins ou les auteurs. A ces considérations pouvait se joindre aisément celle que la mort qu’ils donnaient aux animaux n’était accompagnée par ceux-ci d’aucune espèce de tourment ni de douleur, puisqu’ils les voyaient périr sans en exprimer, sans en manifester le sentiment ou du moins sans le manifester assez distinctement pour parler à l’âme du sauvage.<br />
Ajoutons à tout ce que nous venons de dire que, dès son enfance, le sauvage accoutumé à voir des tourments, déchirer, tuer les bêtes [sic], dressé dès sa jeunesse à cette occupation uniquement, n’ayant jamais reçu de ses parents ni ordre ni défense relative à la marche de sa volonté rude, indomptable et destructive, ne voyant pas dans la pitié d’autrui un modèle d’imitation, une loi d’être pitoyable lui-même et n’ayant pour suivre les mouvements de sa haine et de sa vengeance d’autre guide, d’autre législateur que la nécessité ; et nous pourrons nous expliquer naturellement la cruauté des indiens.</p>
<p>P. 48/49 Cette cruauté indifférente qu’ils exerçaient d’abord sur des animaux malfaisants ou utiles a dû passer sur les hommes qui gênaient ou empêchaient leur chasse. Il fallait venir aux mains avec une tribu voisine toutes les fois qu’il s’agissait de décider à qui appartenait un district de chasse, toutes les fois qu’on faisait mine d’empiéter sur celui des autres. Le vaincu éprouvait alors de la part du vainqueur le traitement auquel le gibier était accoutumé. La chasse et la guerre devinrent des idées, des occupations synonymes pour l’indien. La chasse et la guerre se partagèrent son existence. La chasse et la guerre <…> son unique occupation, alors même qu’il pouvait s’en faire d’autres, alors même que d’autres travaux lui auraient pu procurer sa nourriture.</p>
<p>P. 50 Les peuples devenus plus tôt frugivores, par le bienfait de la nature qui les a environnés de forêts et gratifiés d’un sol plus fertile, ont toujours été exempts de ces cruautés à l’égard de leurs semblables ou en ont bientôt perdu l’habitude.</p>
<p>P. 51/52/53/54/55 De toutes les nations policées qui ont paru sur la scène du monde ; il n’en est peut être aucune qui se distingue autant que la Romaine par cruauté systématique et raisonnée à l’égard des hommes. Nous pouvions dire peut-être que les premiers fondateurs de Rome ont été des chasseurs, des voleurs de grands chemins, sauvages sans lois, sans culture, vivant de rapines et de sang, des vagabonds expulsés du reste de l’Italie pour leurs crimes et apportant leur cruauté et leurs vices dans leur nouvelle patrie. Mais l’histoire ne nous rapporte, après la fondation de cet empire devenu si puissant, aucun trait remarquable de la cruauté, auquel la nation toute entière ait pris part ; au contraire, nous trouvons mille faits d’humanité que la nation a exercés par le ministère de ses représentants. Ce n’est qu’après que Rome fut parvenue au sommet de la grandeur et de la gloire, ce n’est qu’après que ses citoyens, riches des dépouilles des nations les plus éloignées, n’avaient plus besoin de s’occuper et, regardant le travail comme la vile occupation des esclaves, ne s’abaissaient point à se rendre utiles ou, si besoin les pressait, avaient pour les satisfaire (il manque un mot) <…> et les rapines, ce n’est qu’alors que la cruauté commença dans Rome à lever la tête, à prendre de rapides accroissements avec ceux de l’empire.<br />
Le peuple affamé demandait du pain et le peuple oisif des jeux*. Des spectacles de tout genre et de toute espèce occupaient la grande nation. Les généraux retournant de leurs victoires devaient rapporter à Rome de nouveaux objets de curiosité, des chefs d’œuvres de l’art, des échantillons des modes des nations étrangères, des animaux, des hommes inconnus et nouveaux. Les triomphes qui se suivaient rapidement ne pouvaient pas apporter une assez grande variété dans les scènes qu’ils offraient ; et cependant ils étaient trop rares au gré de ce peuple curieux et impatient. Les animaux qu’on avait d’abord produits comme des objets rares et précieux, servirent dans la suite de spectacle, lorsqu’on put s’en procurer d’avantage. On voulut les voir combattre leurs ennemis naturels et mesurer leurs forces. L’émulation des premiers magistrats de Rome et leur désir de se conserver dans les bonnes grâces d’un peuple aussi mobile que celui du Champ de Mars, introduisirent une grande variété dans les jeux qu’ils donnaient à grands frais, et les portèrent surtout à mettre sous les yeux des braves vétérans, de leurs anciens compagnons d’armes, ce qui pouvait le plus leur rappeler les camps, les armes et l’image de leurs exploits passés. On ne se borna plus à faire combattre deux à deux des bêtes féroces ; on en rassembla un grand nombre à la fois dans un amphithéâtre, on varia, on multiplia ces combats ; le sang qui coulait, retraçait aux guerriers le tableau d’une mêlée et familiarisait avec le sang humain ceux qui n’avaient point encore assisté aux batailles. Le jeune garçon, le jeune homme s’habituaient, s’endurcissaient à la vue des plaies, à la voix et au cri de la douleur, à l’agonie des mourants. Avant encore que Rome l’appelât à s’armer pour combattre l’ennemi de la patrie, coupable ou innocent. Les personnes mêmes que la nature n’avait point destinées à porter les armes, à être témoins des horreurs du champ de bataille, à entendre les gémissements des blessés expirants, voyaient ici l’être vivant se débattre dans les griffes de son vainqueur et perdre sa vie avec son sang.</p>
<p>Pour que ces jeux continuassent à être intéressants, il fallut bientôt y ajouter un supplément. Quelle variété piquante, si l’on mêlait des hommes à ces animaux ? Quel plaisir pour le peuple rassemblé, si le lion, la panthère ne combattaient pas entre eux mais avec des hommes. La compassion nomma d’abord des malfaiteurs et les dévoua à cette nouveauté ; ils avaient violé des lois, ils avaient mérité la mort, on pouvait les livrer aux bêtes. Bientôt les captifs, les prisonniers de guerre, surtout ceux qui par leur résistance avaient retardé les triomphes des Romains et provoqué leur vengeance, suppléèrent à la disette de malfaiteurs et de criminels. Destinés à la prison ou à la mort, on ne faisait que changer leur supplice. N’était-ce pas même user d’une économie louable que de faire servir leur mort aux plaisirs de la multitude ? En satisfaisant aux ordres de la politique et de la vindicte nationale, en égorgeant ces victimes, on flattait en même temps l’orgueil, on alimentait la cruauté du peuple par le genre du supplice.</p>
<p>Le manque de prisonniers de guerre fut remplacé depuis par des esclaves fugitifs ou qui avaient encouru le courroux de leurs maîtres, et plus tard par les chrétiens, à qui l’on faisait un crime de leur religion.</p>
<p>C’est ainsi qu’on peut s’expliquer le goût, la fureur des Romains et même des Romaines pour ces jeux sanglants où des hommes combattaient contre des bêtes féroces, où sans témoigner la moindre pitié, on voyait des gladiateurs se livrer des combats à mort et convertir en art le carnage et la destruction. C’est ainsi que l’on conçoit la possibilité d’avoir regardé comme un spectacle sublime des centaines d’esclaves s’immolant sur les tombeaux de leurs maîtres, d’avoir attaché du prix, des éloges, des applaudissements à la manière élégante et pittoresque dont le gladiateur tombait en expirant, de n’avoir vu dans l’esclave méprisable et vil que la pâture des poissons qu’on voulait engraisser. On s’explique aisément par là le grand nombre de tyrans et de monstres que Rome a produit, et qui sont devenus les fléaux de cette capitale et du monde. Toutes ces cruautés ont pris leur source dans le traitement barbare des animaux.</p>
<p>La nation anglaise, à tant d’égards l’institutrice et le modèle des nations, n’est point encore parvenue à effacer une tache qui souille et défigure son caractère : je veux dire sa cruauté à l’égard des animaux. Tant de lois de ce grand empire relatives au traitement des bêtes qui recommandent la douceur, qui punissent la dureté, tant d’ouvrages des hommes les plus estimables en faveur des animaux prouvent la nécessité de ces lois et de ces ouvrages, prouvent que le mal existait avant le remède, en Angleterre plus que dans les autres contrées d’Europe. En citant quelques spectacles de la nation, nous avons vu que l’Angleterre incline plus que beaucoup d’autres Etats à ces fêtes sanglantes, on y voit le jeu du coq, les combats de coqs, de taureaux, les courses de chevaux. Denys Rolle se vit engagé par les combats de taureaux qui se multipliaient trop dans sa province de se déclarer avec force contre ce spectacle et de déclamer contre cette cruauté*. Le mot seul d’angliser ne renouvelle-t-il pas l’idée et le reproche de cruauté envers les chevaux ; ne l’a-t-il pas fait passer avec l’usage et la mode qu’il désigne dans toutes les contrées de l’Europe ? Addison, dans son Guardian**, se plaint amèrement du penchant de ses compatriotes à tourmenter les bêtes, et Wendeborn dans le dernier quart de siècle passé s’en plaint tout aussi amèrement*** dans le passage suivant : « Je doute que pour peu que l’on connaisse l’Angleterre, on soit du sentiment de ceux qui attribuent aux Anglais la générosité envers les bêtes. Il ne faut que connaître la triste destinée des chevaux attelés devant les charrettes, les fiacres, les coches, ou employés dans les courses ou en voyage ; il ne faut qu’avoir été témoins des chasses, des combats de coqs, des combats de taureaux etc… pour cesser d’être le panégyriste de la générosité anglaise envers les animaux.</p>
<p>Dans le cours de la guerre de la révolution l’Angleterre a envoyé un certain nombre de ses jeunes gens en Allemagne pour y acquérir, avec la langue du pays la connaissance du commerce, en un mot pour y achever leur éducation et leurs études. Partout où ces gens n’étaient pas isolés mais réunis on les a vu satisfaire un goût national, et les voisins de celui qui surveillait leur instruction et leurs mœurs les ont vu souvent exciter au combat des animaux de toute espèce et s’amuser à tuer à coups de fusil des animaux domestiques, des poules, des canards, des oies etc… Ce penchant décidé à la cruauté envers les animaux dont les Anglais auront beaucoup de peine à se disculper sert à expliquer parfaitement l’observation qu’ont faite dans la dernière guerre les habitants de la Basse-Saxe et de la Westphalie. Dans tous les lieux où les soldats anglais paraissaient comme amis, comme auxiliaires, soit pour y séjourner quelques temps soit en passant, les bourgeois aussi bien que les paysans, se sont plaint amèrement de leur rudesse, de leur grossièreté, de leur cruauté pendant qu’ils se louaient en comparaison des procédés des troupes républicaines ennemies, quoique celles-ci dans le délire de leur nouvelle liberté se permirent des excès et des injustices de plus d’un ordre.</p>
<p>La cruauté avec laquelle les Anglais ont traité le Bengale et leurs autres possessions des Indes Orientales remplit d’horreur ceux qui en lisent les détails et qui connaissent l’extrême douceur des Indiens. Qui ne voit que c’est en partie à ce penchant national aux combats des bêtes que les Anglais doivent cette cruauté révoltante, qu’ils doivent en partie à leur cupidité et à un horrible intérêt. Avec quelle chaleur l’esprit de commerce n’insista-t-il point (sic) dans les discussions parlementaires sur le maintien invariable de la traite des nègres, tandis que les hommes les plus généreux et les plus sensibles en demandaient l’abolition graduelle et progressive ! En convenant que la prompte cessation de l’esclavage des nègres serait injustice et folie, il faut convenir aussi que cette réforme lente et salutaire serait le fruit de la sagesse et de l’humanité. Les auteurs anglais eux-mêmes avouent que les Anglais traitent leurs esclaves avec plus de cruauté que toutes les autres nations. C’est ainsi que la cruauté à l’égard des bêtes rend des nations entières cruelles à l’égard des hommes, et devient une des causes principales de la dureté avec laquelle elles traitent les peuples et les pays qui leur sont assujettis.</p>
<p>Nous avançons et nous découvrons un nouveau rapport où la cruauté à l’égard des bêtes se trouve avec l’homme et sa morale.</p>
<p>Les traitements barbares des bêtes doivent encore être soumis à la morale parce que ce sont des actes de folie qui nuisent à ceux qui les exercent, en même temps que des actes d’injustice qui font du tort à ceux dont les animaux en sont attaqués.</p>
<p>P. 55 Nous aurions tort d’appeler besoin ce caprice du superflu qui nous met en rapport avec certaines classes d’animaux que nous entretenons pour nos plaisirs, tels sont les perroquets, les singes, quelques fois les chiens, etc... Le besoin est celui de nous amuser. Ces animaux deviennent souvent les favoris, les maîtres de leurs maîtres, leurs maladies, leur mort, sont des sujets de douleur plus grands que la perte d’un parent, d’un homme utile et justement célèbre, d’une fortune considérable. Cependant le caprice d’un moment ne laisse pas toujours de traiter quelques fois ces favoris, ces idoles en jouets, en esclaves. Le droit du plus fort est un droit qu’on ne renie jamais entièrement et qui ne cède que par intervalles à la passion. Le caprice du maître, de la maîtresse se réveille, l’animal est tourmenté. S’il succombe au mauvais traitement, c’est une folie qui en punit une autre et la morale n’a plus rien à dire.</p>
<p>P. 56/57 Le laboureur est doublement victime de la cruauté contre les animaux. Lorsqu’il excède son cheval, son bœuf de labourage, il se prive lui-même de son compagnon de travail, d’une récolte plus abondante que lui aurait offert son champ mieux cultivé, il perd l’engrais qui avait fertilisé son champ et finit par le voir stérile et couvert de […] et d’ivraie. Est-ce un bœuf qui a succombé au mauvais traitement, c’est une nouvelle perte pour le maître, après quelques années de travail, il aurait pu le vendre et s’engraisser. Faut-il s’étonner de voir tant de chaumières, de paysans, porter l’empreinte de la pauvreté et de la misère ? De voir le toit à moitié découvert, la grange sans porte et vide, les habitants en lambeaux, maigres et défaits ? De voir à la fin, le magistrat s’emparer de la possession, en chasser le propriétaire ruiné et la vendre au plus offrant pour dédommager les créanciers ?</p>
<p>Combien de cultivateurs ne trouveraient pas la première cause de leur ruine dans les traitements barbares de leurs bêtes de somme ? J’ajoute de leurs bêtes à laine, à lait, de leurs bêtes grasses, etc…</p>
<p>P. 62/63 Supposons que la morale, cédant au sophisme, permette à chacun d’élever en maxime de ses actions, qu’on peut maltraiter les animaux comme on veut, quel ordre de choses en résultera-t-il sur la terre ?</p>
<p>Il est indifférent de faire commencer les mauvais traitements par les bêtes domestiques ou par les bêtes sauvages ; les premières sont plus sous la main de l’homme, les autres lui sont moins utiles.</p>
<p>Supposons que la morale, cédant au sophisme, permette à chacun d’élever en maxime de ses actions, qu’on peut maltraiter les animaux comme on veut, quel ordre de choses en résultera-t-il sur la terre ?</p>
<p>Il est indifférent de faire commencer les mauvais traitements par les bêtes domestiques ou par les bêtes sauvages ; les premières sont plus sous la main de l’homme, les autres lui sont moins utiles.</p>
<p>Supposons qu’il commence par sévir contre les animaux domestiques, que par une chaîne de cruautés, il parvienne à en détruire peu-à-peu des espèces entières. Quelle misère, quelle destruction menace la sienne ! Privez les peuples qui vivent de la culture des bestiaux [de] leur bétail, et vous les dévouez à la mort, eux et leurs familles.</p>
<p>Egorgez les bêtes à cornes du Suisse, du Frison, du Jutlandais et de l’habitant du Holstein et le berger hospitalier des Alpes n’accompagnera plus le voyageur curieux après lui avoir fait prendre dans son chalet un ample déjeuner et des nouvelles forces pour escalader les cieux. Les prairies grasses et fertiles seront changées en marécages infects, dont les exhalations pestilentielles tueront le peu d’habitants qui les avoisinent encore. Extirpez l’espèce des chameaux et les sables de l’Arabie ne seront plus perméables aux bédouins. La Haute Asie se changera en vaste désert dès que vous aurez privé le Kalmouk nomade de ses troupeaux errants de chevaux.</p>
<p>L’agriculture, les manufactures, les fabriques qu’elle alimente, le commerce qu’elle crée, fournissent à la plupart des hommes une source de subsistance. Elle ne tient donc pas à la conservation de ces animaux dont il paraît qu’elle peut se passer. La nature végétale conservera l’homme à défaut des bêtes.</p>
<p>P. 63/64 Enlevez à l’Angleterre, à l’Allemagne, à la Prusse et à la Hongrie, à l’Italie, à la France et à l’Espagne, enlevez à la plus grande partie de l’Europe ses chevaux, ses bœufs de labourage ; et voyez si leurs champs pourront continuer à fournir aux besoins de tant de millions, ce blé, objet de nécessité primaire qui les nourrit, les matières premières qui, transformées de mille manières entre les mains de l’artisan et de l’artiste, contribuent aux besoins, à l’usage, à l’agrément de la vie et mettent celui qui les travaille en mesure d’échanger contre sa main d’œuvre le blé qui doit le nourrir, et de mettre à contribution ce champ qu’il ne connaît point. Enlevez à ces pays, leurs bœufs, leurs chevaux de travail et l’agriculture cessera ; avec elle, tous les métiers, tous les arts qu’elle alimente, d’autant plus que les pays qui cultivent le bétail, privés pour la même raison de l’objet de leur culture, ne fourniraient (sic) plus à l’artisan, au manufacturier, tant de matières premières pour les mettre en usage. Où le marchand prendra-t-il de quoi exporter à l’étranger dès que son pays lui fournit aussi peu que l’artisan et l’artiste, de quoi échanger les productions des autres pays. Comment transporter même le peu d’objets qu’il pourrait rassembler puisqu’il manque de bêtes de trait et de somme ?</p>
<p>La cessation de la culture du bétail amène la cessation de l’agriculture ; celle-ci entraîne la chute des métiers, des manufactures, le commerce expire et plusieurs milliers d’hommes en Europe périssent ou sont obligés d’émigrer. L’Europe n’enverra plus ses flottes dans toutes les mers du globe, elle perdra les riches productions de l’Inde et l’Amérique aura besoin d’être découverte une seconde fois. Les plantations des îles seraient désertes, les factoreries du Bengale inactives. La Chine conservera son thé, le Pérou son or, l’Arabie son café. Des millions d’hommes périront de faim dans toutes ces contrées qui aujourd’hui fournissent à l’Europe cultivée et peuplée, une partie de ses besoins.</p>
<p>Mais ces peuples éloignés sont soumis à la morale universelle et à leurs penchants sensuels. Le tourment des bêtes deviendra chez eux, comme chez nous, une maxime générale et ce que nous avons vu en être le résultat en Europe par rapport au bétail et à l’agriculture, aura également lieu en Asie, Afrique et Amérique.</p>
<p>L’agriculture pousse partout des mains laborieuses ; elle propulse en retour des contributions qu’elle paie pour la conservation de la vie animale, les déchets des animaux, afin de les faire servir de nouveau à la vie animale.<br />
L’observation montre que c’est en se renouvelant, en se fertilisant par les déchets des animaux et à cette condition seule que les plantes se produisent et multiplient pour notre usage et que seule, elle a pu faire parvenir de nos jours l’agriculture au sommet de la perfection.</p>
<p>P. 64/65 Une nouvelle question s’élève ici : après l’extirpation des animaux, ces contrées dont la végétation est si riche et si facile, conserveraient-elles cet avantage au même degré ; et la fertilité qui les distingue n’irait-elle en diminuant ?</p>
<p>Une partie du règne animal vit aux dépens du règne végétal. Qui a fait de la nature une étude assez suivie et assez profonde pour être bien sûr qu’elle n’ait pas assigné au règne végétal de se refaire sur le règne animal des pertes que celui-ci lui fait subir ? Pour être sûr que la végétation ne se régénère pas sans cesse en aspirant par ces racines, ses feuilles et autrement les émanations subtiles et grossières des animaux ? Qu’elle ne se recrute [sic] et ne se renouvelle pas sans cesse dans le règne animal qui vit et périt à côté d’elle ? Comment ces contre-prétentions de la plante pourraient-elles être satisfaites si la création animale avait disparu de dessus la terre ? Comment pourraient-elles l’être même dans les climats les plus chauds ? La migration des peuples y trouverait sans contredit la faim et la mort.</p>
<p>Ainsi la vie de ces millions d’hommes qui environnent le globe est étroitement liée à la vie, à la conservation soignée de ces millions d’animaux qui se trouvent à côté d’eux ; et quiconque regarde comme indifférente la vie de ces derniers, prononce une sentence de mort sur ces millions d’hommes. On veut les ramener à la vie triste et dure des bois et à la condition des sauvages, dont le genre humain ne s’est tiré qu’à force de peines et d’efforts soutenus.</p>
<p>P. 66 Dans la Virginie, on extirpa les corneilles, dont on s’apercevait qu’elles détournaient et mangeaient les pois des champs. Il en coûta de grosses sommes pour parvenir à ce but. Mais quand les corneilles furent extirpées, il parut à leur place un escarbot (bruchus pisi linn.) qui se multiplia prodigieusement de sorte que la récolte des pois fut très mauvaise pendant des années. On rechercha la raison pourquoi depuis que le grand ennemi des pois n’existait plus, leurs petits ennemis étaient si forts en augmentant, et l’on trouva que la corneille au lieu de déterrer les pois en général pour s’en nourrir, s’était particulièrement bornée à ceux dans lesquels se trouvaient ces petits insectes, lesquels n’ayant plus leur ennemi né, avaient pu se multiplier à ce point.</p>
<p>La poursuite, l’extirpation du corbeau (corvus corax), de la frayonne (corvus frugilegus), de la corneille (corvus cornix), de la pie (corvus pica) et de plusieurs autres oiseaux de cette espèce contre lesquelles les gouvernements ont souvent pris des mesures générales, a produit dans plusieurs pays de l’Europe, qui vivent principalement de l’agriculture, la multiplication des souris, des hannetons des taupes, des grillons, des limaçons et de quantité d’autres insectes et reptiles qui, principalement depuis quelques années, ont causé un dommage infini aux blés et jeté les premières fondements de cette disette qui a désolé tant de contrées.</p>
<p>P. 72 Nous voyons par là quels services multiples nous pouvons attendre de nos animaux domestiques lorsque nous les traitons avec bonté. En faisant disparaître la crainte que seule la dureté inspire, en usant avec eux de cette patience que doit inspirer à nous-mêmes l’avantage que nous nous en promettons, nous parviendrons sans faute à leur enseigner mille choses utiles.</p>
<p>P. 72/73 Roman, qui a montré ses oiseaux dressés à Paris, à Londres et dans toutes les grandes villes de l’Europe, François Mikely, son émule ou plutôt son vainqueur, natif de Lempi, en Sardaigne, ne sont-ils pas des exemples à citer ? Le dernier, jeune garçon de dix ans, pour gagner du pain à sa mère et à ses frères et sœurs, avait dressé une quantité d’oiseaux de chant à obéir au moindre signe, à sortir de leurs cages, à se poser sur sa main, sur son épaule, à jouer avec un chat dont il avait également su enchaîner l’instinct sanguinaire. Il avait dressé dix perdrix à faire des évolutions militaires, à tirer des canons, à les décharger, à imiter les cris des vaincus, des vainqueurs, à imiter la posture des blessés etc… Nosoletta, une de ses perdrix, lui servait même à garder les autres oiseaux et quelque fois à lui ramener des fuyards.</p>
<p>P. 75/76 Comment l’homme qui retrouve et reconnaît sa famille dans tous les êtres vivants peut espérer de voir naître pour lui cette belle saison où le perfectionnement des animaux contribuera à la sienne et à son bonheur, tant que ces fous raisonnables qui s’appellent les rois de la création s’entredéchirent eux-mêmes comme des bêtes féroces ?</p>
<p>Le monde a rempli la tâche en tant qu’elle parle, si j’ose m’exprimer ainsi, d’homme à homme, sans admettre entre les hommes d’autre bien que celui de la nature.</p>
<p>Mais nous vivons avec d’autres hommes dans une société qui compose avec nous le même Etat, la même famille, je dirais presque le même individu qui, par conséquent, doit avoir avec nous le même but, le même point de vue des rapports environnants et des droits et des devoirs qui en dérivent, si le but de la société et les prétentions de la morale doivent être remplis</p>
<p>La morale passe donc d’une tâche à l’autre, elle reprend ses fonctions, elle commence […] ces efforts pour le bien de l’humanité. Elle devient l’institutrice, la législatrice, la surveillante de l’Etat dans tout ce qui concerne les rapports d’un membre de cet Etat avec l’autre, comme dans tous les rapports d’un de ses membres avec les animaux privés de raison. Les devoirs qui résultent de cette union sociale et politique, elle les enseigne ; où des droits découlent de ces devoirs, elle les fait respecter ; elle autorise les sages, les gouvernants, les représentants de l’Etat à expliquer ces droits et ces devoirs et à les sanctionner par les lois</p>
<p>P. 77 L’Etat doit se contenter, en conservant aux lois morales un certain respect extérieur, de préparer cet attachement et ce respect intérieurs qui doivent se former dans le cœur de chacun des membres qui le composent<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-12" id="rev-pnote-12">12</a>]</sup>.</p>
<p>P. 78 Pour une suite de l’instruction défectueuse de la jeunesse, de l’éducation presque entièrement négligée de l’enfance et de l’instruction à tant d’égards nulle du peuple, il n’y a que trop de personnes qui ont entièrement ou presque entièrement manqué d’instruction et surtout d’éducation, il y en a d’autres qui, quoique ayant joui de l’une et de l’autre ont renoncé au respect dû aux lois et les regardent comme des inventions du caprice de leurs maîtres ou comme l’épouvantail du peuple. Il faut donc que l’Etat, par des lois précises, déclare sa volonté et son intention, afin que chaque membre de l’Etat que la légèreté, l’impudence, la séduction et d’autres défauts de l’esprit et du cœur, aurait conduit à dédaigner et à violer les lois de la morale universelle, sache au juste et précisément ce que l’Etat où il cherche sa subsistance pense à cet égard, et exige en conséquence de chacun de ses membres.</p>
<p>La publication d’une loi de l’Etat ne suffira pas toujours pour empêcher le mauvais citoyen de faire le mal, pour l’exciter à faire le bien. La punition des transgressions de la loi a toujours été le poids qui a remis le mauvais citoyen dans l’équilibre. Il faut donc que l’Etat décerne des châtiments arbitraires, quoique, autant que possible, liés à la nature même du délit, pour obtenir l’obéissance.</p>
<p>P. 79/80/81 L’Etat doit donc avant toute chose avoir l’œil à ce que ses membres soient instruits de leurs rapports avec les animaux, instruits en général qu’ils ont des devoirs à remplir à leur égard, instruits que les animaux ont des droits relativement aux hommes.</p>
<p>L’instituteur de la jeunesse doit leur enseigner dès l’enfance cette loi morale avec les autres ; l’éducation doit les exercer de bonne heure à la pratiquer.</p>
<p>Dans les traités de morale et de droit on doit insérer un chapitre particulier qui serve de fil à ceux qui enseignent ces deux sciences pour bien développer et prouver les devoirs et les droits qui résultent de notre rapport avec les animaux, tant pour les hommes que pour les bêtes.</p>
<p>Jusqu’ici ce chapitre a manqué dans tous les livres de morale et surtout de droit naturel, ou s’il était parlé des devoirs envers les animaux et de leurs droits, c’était en passant, souvent obscurément. Il y a quelques moralistes, quelques instituteurs de la jeunesse qui ont fait ici une exception louable, en consacrant un paragraphe à cette matière qui, bien que court, suffisait cependant à empêcher les enfants à se livrer aux cruautés que nous avons révélées au commencement de ce mémoire.</p>
<p>A côté du développement de nos devoirs envers Dieu, notre prochain et nous-mêmes il faut placer celui de nos devoirs envers les animaux<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-13" id="rev-pnote-13">13</a>]</sup>, et après la déclaration des droits de l’homme doit suivre celle des droits des bêtes.</p>
<p>Aussi longtemps que ceux qui enseignent la religion au peuple resteront seuls en possession du droit de lui enseigner la morale, ils seront tenus de lui développer ce point de la morale avec le même soin qu’ils mettent au reste de leurs instructions. L’Etat doit en faire une obligation.</p>
<p>Jusqu’ici l’Etat travaille médiatement contre les traitements barbares des animaux ; il le fait encore immédiatement par des lois.</p>
<p>Il doit publier son opinion et sa volonté sur le traitement des animaux : il doit interdire tous les mauvais traitements et imposer des châtiments partout où la déclaration expresse de la loi a été violée. Soit comme toute autre injustice prouvée, exercée sur les hommes, est punie par l’Etat, de même c’est à lui de punir toute injustice commise contre les animaux.</p>
<p>P. 82/83/84/85 Nous osons tracer ici l’esquisse d’un code de lois tendant à protéger les animaux, à les défendre de la cruauté des hommes et à les mettre en possession de leurs véritables droits.</p>
<p>L’Etat fait la déclaration suivante : Tout homme a des devoirs envers les animaux. Tout animal a des droits dans ses rapports avec l’homme. Tout citoyen doit voir dans ce principe l’opinion, la conviction de l’Etat.</p>
<p>Quiconque enseigne la morale et le droit doit adopter ce principe dans son cours, le développer, le rendre évident aux yeux de ses auditeurs, l’imprimer dans l’âme de chacun, non seulement comme un axiome de morale universelle mais comme un axiome de morale publique.</p>
<p>La mort et la douleur de tout animal, causées sans aucun but, et sans raison sont défendues. Chaque traitement doux et humain de l’animal, ainsi que sa conservation, lorsque nous pouvons y contribuer sans violer aucun devoir envers les hommes, est ordonné.</p>
<p>Tout jeu inconsidéré ou méchant avec les animaux qui a pour suite la douleur ou la mort est défendu aux enfants et aux hommes de tout état et de toute condition. Tout usage d’une bête pour des fêtes publiques et nationales, qui tend à les tourmenter, est également interdit.</p>
<p>Toute espèce de chasse qui a pour but de divertir le chasseur aux dépens des tourments, des alarmes, des fatigues, de la mort lente de la bête chassée et à côté de laquelle se trouvent des moyens plus expéditifs de s’emparer de la bête, est déclarée inadmissible.</p>
<p>Ceux qui sont appelés un jour à vivre avec les animaux, seront instruits d’avance de la nature et des affections des bêtes avec lesquelles ils se trouveront appelés à vivre ; on les dirigera sur la manière dont ils doivent les traiter.</p>
<p>Les enfants et, en général, les personnes qui ne savent pas traiter les bêtes, qui ne connaissent point leurs affections ou qui ne sont pas assez riches pour pouvoir les entretenir sans les gêner, n’auront pas la permission d’en nourrir pour leur amusement.</p>
<p>Il n’est permis qu’aux scrutateurs de la nature et à leurs disciples au bout d’un temps considérable et sous les yeux de leurs maîtres d’acheter, de tuer, de disséquer des bêtes sauvages, le tout pour leur instruction et conformément à un but raisonnable.</p>
<p>L’Etat fera dresser et publiera un catalogue systématique et exact de tous les animaux généralement nuisibles, malfaisants et incommodes qu’il est permis à chacun de tuer à condition que leur mort soit toujours la plus prompte qu’il sera possible.</p>
<p>Il ne sera permis de tuer le bétail de boucherie qu’à ceux qui en auront appris le métier chez les maîtres de l’art. Même pour tuer la volaille et le menu bétail, ce qui se fait souvent par des femmes, des servantes, des enfants, il faudra auparavant avoir reçu une instruction précise et déterminée sur la manière la moins douloureuse de s’en acquitter.</p>
<p>Les physiologues et les bouchers praticiens détermineront la manière la plus douce et la plus facile de tuer l’animal.</p>
<p>Toute espèce de mutilation d’animaux qu’on ne pourra faire sans de grandes douleurs de leur part et qui n’auront d’autre avantage pour nous que le plaisir ou la vanité, sera défendue.</p>
<p>Tous les instruments qui servent à nos bêtes de travail et que nous pourrons remplacer par d’autres plus commodes et meilleurs, seront abolis. Quiconque en inventera le premier de cette dernière espèce obtiendra des encouragements et des récompenses.</p>
<p>On ordonnera de réparer les grands chemins et le pavé des rues et des cours et on veillera à l’exécution de l’ordonnance.</p>
<p>Il sera indiqué [sic] une mesure déterminée de chemin ou de travail, un poids déterminé du fardeau pour chaque espèce de bête de trait et de somme, qui se règlera à la qualité du terrain et aux forces des animaux qui l’habitent, et au-delà desquels il ne sera pas permis de grever l’animal.</p>
<p>On déterminera d’après la mesure du travail, celle du fourrage, pour chaque espèce particulière d’animaux, soit de travail et d’utilité, soit d’agrément.</p>
<p>On recommandera avec soin la culture des herbes et espèces de blé convenables à nos animaux domestiques. En égard aux circonstances locales de chaque contrée, on indiquera les méthodes les plus propres à établir cette culture.<br />
Il faudra consulter les lumières des agricoles, médecins vétérinaires, cultivateurs et routiers les plus experts, ainsi que des propriétaires et seigneurs terriens.</p>
<p>Il sera déterminé quelle forme il faudra donner aux étables et aux écuries, en égard à la santé, à la clarté, à la commodité et à l’économie.</p>
<p>On établira des médecins vétérinaires qui emploieront, pendant les maladies des bêtes, les remèdes connus les plus prompts et les plus salutaires pour leur rendre la santé. Les forains et les charlatans seront expulsés.</p>
<p>Le gouvernement fournira une liste des actions qui contribuent à augmenter la somme du bien-être des animaux, sans nuire aux hommes et tendant, au contraire, à leur utilité, mais qui, n’étant pas de nature à être soumises aux ordonnances de la loi, seront encouragées per des récompenses et des éloges.</p>
<p>Le gouvernement établira partout des personnes qui auront l’œil à l’observation des lois relatives aux animaux, qui observeront tout traitement barbare, en instruiront les juges et deviendront par là les avocats de l’animal, privé du don de la parole, en les protégeant contre l’insulte et l’oppression des hommes.</p>
<p>Si quelqu’un de ces inspecteurs néglige ses fonctions, si après avoir découvert un traitement tyrannique, il ne le dénonce pas au juge, si le juge apprend d’ailleurs ce qui s’est passé, l’inspecteur payera le double de l’amende à infliger au tyran des bêtes. Si trois fois de suite, il a fait sans la prouver et par haine contre quelqu’un une dénonciation fausse, il subira un châtiment particulier.</p>
<p>Chaque membre de l’Etat est obligé par la loi à dénoncer tout traitement barbare des animaux dont il aura été témoin, faute de quoi il sera tenu avoir pris plaisir à ce traitement et subira la moitié du châtiment de celui qui s’en est rendu coupable.</p>
<p>Il faudra éviter autant qu’il se pourra des amendes pécuniaires, comme étant un châtiment trop doux pour les riches, trop fort pour les pauvres et par conséquent peu proportionné au délit. Il est triste que des raisons de finance leur soient favorables.</p>
<p>Une législation sage trouvera assez de moyens pour récompenser ceux qui se distinguent par un traitement humain envers les animaux sans augmenter par là considérablement les dépenses de l’Etat.</p>
<p>Nous n’avons pas besoin de prouver longuement que ces différents projets de lois, soumis et adaptés aux localités qui les rendent susceptibles de modifications et d’additions à l’infini, seraient d’une grande utilité, ne fût-ce aussi qu’en partie pour nos Etats et pour chacun des individus qu’ils contiennent, après avoir vu les suites funestes qui résultent à cause de la cruauté habituelle envers les animaux, auxquels ils obvient. Après avoir vu à quel point cette cruauté détériore le caractère de l’homme, le rend dur et cruel envers ses semblables, les porte même souvent à se nuire et à se ruiner, lui ou son voisin, sa famille, en un mot son prochain, en tuant sans raison des animaux utiles et l’empêche, en rendant les animaux capables d’un nouveau degré de perfectionnement, d’en tirer de nouveaux services et d’étendre par là son domaine sur eux. Toutes ces cruautés disparaitront avec ces lois, dès qu’on les administrera sérieusement, et l’Etat entier jouira des avantages qu’aujourd’hui le chef de famille paresseux et mauvais envie à son voisin doux, humain, compatissant, reconnaissant envers les animaux ; les citoyens qui le composent pratiqueront sans contredit envers leurs compatriotes, ces vertus d’habitude qu’il auront commencé par exercer sur des créatures d’une moindre qualité, du moins tant que la liaison naturelle des vertus entre elles ne cessera pas d’avoir lieu.</p>
<p>P. 85/86 L’essentiel de toute bonne législation est que l’Etat exerce la justice, que ses lois soient fondées sur les décisions d’une morale universelle qui les adapte à ceux qui le composent et qu’il les approprie à leur degré de culture. La fermeté, la persévérance conduiront infailliblement à bout ce que la justice et la volonté pure d’avancer, le bien être de l’humanité et le bonheur des Etats a commencé ; témoin : l’exemple de Bonaparte, qui a su rendre praticable aux yeux de l’Europe ce qui devant lui paraissait impossible.</p>
<p>L’histoire n’est pas entièrement dépourvue d’exemples qui prouvent que la législation n’a pas toujours regardé comme au-dessous d’elle, d’exprimer sa volonté relativement à la manière dont nous devons traiter les animaux.<br />
Les Egyptiens, que l’histoire nous représente comme le peuple dont la culture est la plus ancienne, ont donné à toutes les nations policées qui les ont suivis, l’exemple de traiter avec douceur non seulement les animaux domestiques et privés, mais encore ceux qui n’étaient pas immédiatement placés sous la main de l’homme et recommandés à ses soins.</p>
<p>P. 88/89 Nous trouvons chez les nations qui habitent l’Europe quelques vestiges du soin qu’ont pris leurs législateurs de recommander le devoir de la justice à l’égard des animaux.</p>
<p>L’Angleterre compte parmi ses lois, celle qui condamne le coupable accusé et convaincu de barbarie à l’égard des bêtes à une amende de 5 à 10 schellings ou, selon les circonstances et la décision des juges, à un châtiment plus grave<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-14" id="rev-pnote-14">14</a>]</sup>.</p>
<p>La Suède a une ordonnance des fosses qui peut servir de modèle à tous les autres pays. Elle est de 1734 et protège les chevaux contre les mauvais traitements des voyageurs et des postillons. Voici ce qu’elle statue : « On ne pourra charger sur un traineau ou chariot à un cheval que le poids de 300 livres pesant, pour deux chevaux le double etc… La valise que le cheval porte ne pèsera pas au-delà de 30 livres. On prendra un cheval pour deux personnes, deux chevaux pour trois personnes. Chaque voyageur n’aura qu’une petite malle avec soi<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-15" id="rev-pnote-15">15</a>]</sup>.</p>
<p>La loi du Danemark qui ne permet aux voituriers et aux routiers qu’une charge déterminée par chariot et charrette paraît avoir principalement pour but de ménager les chaussées et les grands chemins.</p>
<p>Une ordonnance d’Angleterre appelée le bill noir décerne la peine de mort contre celui qui endommagera les bêtes destinées à l’agriculture, mais sous la seule condition qu’on puisse lui prouver de l’avoir fait par haine contre leur propriétaire. Cette loi ne protège les animaux qu’indirectement<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-16" id="rev-pnote-16">16</a>]</sup>.</p>
<p>L’ordonnance saxonne qui décerne la peine du feu contre celui qui empoisonnera les prairies dans le cas où il en résulte du mal et celle du fouet s’il n’en résulte point, n’est qu’en rapport indirect avec les animaux et semble avoir pour but principal de punir celui qui a voulu nuire aux hommes<sup>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#pnote-17" id="rev-pnote-17">17</a>]</sup>.</p>
<p>Le gouvernement Hessois, à Cassel, a publié en date du 21 mars 1798, une ordonnance, renouvelée le 28 septembre 1802, par laquelle il est défendu sous peine de 10 écus d’amende, de prendre et de tuer des oiseaux qui se nourrissent d’insectes et de chenilles. Le supplément à cette ordonnance défend de tuer aucune espèce d’oiseaux à l’exception des moineaux et d’enlever leurs œufs, pour empêcher par là le dommage qui en résulterait pour les champs et les forêts.</p>
<p>En 1801, la chambre ducale de Meiningen publia une ordonnance qui protège plusieurs bêtes vivipares et oiseaux regardés jusqu’alors comme animaux de proie, en accordant aux chasseurs des dédommagements proportionnés à la perte qui en résultait pour eux. Cette ordonnance ne devait être regardée comme loi fondamentale du pays que pendant un certain espace de temps. En même temps, la même chambre fit un second règlement relatif aux quadrupèdes et oiseaux de proie pour la raison que l’ancien règlement était dans le cas d’être changé, attendu qu’une suite d’observations et d’expériences confirmait que de cette manière l’équilibre entre les différentes espèces d’animaux était détruit. Par cette ordonnance, plusieurs animaux poursuivis jusqu’alors par les chasseurs et par les hommes en général, sont mis sous la protection de la loi.</p>
<p>P. 90/91 Puisse la morale publique embrasser entièrement et juger digne de toute son attention un objet que la morale universelle et la partie saine et choisie de ceux qui l’enseignent, regardent comme une section essentielle à ajouter à leur système, et qui trop longtemps avait été abandonnée avec tant d’autres points de morale et de moralité aux ergoteries de l’arène théologique. Puissent les gouvernants des Etats dans les mains desquels repose la détermination, la direction des statuts de la morale publique fixer leur attention sur les moyens de bannir pour toujours du sein de la société, les actes de barbarie contre les animaux, en ne se laissant pas entraîner par les torrents des rixes politiques, chercher et trouver sur cette route une augmentation de leur pouvoir.</p>
<p>La couronne de la sagesse accordée à celui qui fait de nouvelles découvertes, de nouvelles conquêtes dans l’empire de la science est bien plus glorieuse que celle du guerrier dont les victoires subjuguent des peuples ; le trésor de celui qui fertilise et anoblit par ses travaux et ses sueurs le bien qu’il possède est plus sûr de se grossir que celui de l’homme avide qui cherche à y verser les fruits de ses rapines et de ses exactions.</p>
<p>Quoi de plus salutaire pour l’univers que l’obéissance à la morale, à cette législatrice commune des hommes et des empires ! Quoi de plus salutaire que l’obéissance à chacun de ses commandements, qu’une obéissance pure, volontaire et entière ! Quelle bénédiction se répandrait sur la terre si les Etats eux-mêmes exigeaient cette obéissance de leurs citoyens et leurs membres !</p>
<p>La législation qui parle et s’intéresse en faveur des animaux se rapproche considérablement de l’idéal de la sagesse qui ne néglige rien de ce qui contribue au bien de l’ensemble, aux yeux de laquelle rien n’est petit ni de peu d’importance, et dont les soins s’étendent à tout.</p>
<p>La sagesse humaine, celle des Etats qui professent des sentiments d’humanité, ne regardera pas comme insignifiant ni au-dessous d’elle ce que le sage de Nazareth, dont le nom est celui dont s’honorent la plupart des Nations de l’Europe, déclare être l’objet des soins de la providence divine, quand il dit : « Il ne périt pas un oiseau sans la volonté de cet Etre suprême, de ce modèle de perfection que tout homme doit se proposer de suivre et d’imiter ».</p>
<p>Fin</p>
<p><br />
P. 92/93/94/95<br />
Aperçu des matières<br />
<br />
Introduction… 1<br />
<br />
Tableau des traitements barbares des animaux… 2<br />
Cruautés qu’exerce la jeunesse… “<br />
En public… 3<br />
Dans les maisons… 5<br />
Cruautés qu’on exerce dans l’âge mûr… 8<br />
Dans les basses classes du peuple… “<br />
Contre les chiens et les chats en général… 9<br />
Des cultivateurs et routiers à l’égard de leurs bêtes de trait et de somme …10<br />
Cruautés au temps de guerre… 12<br />
Coup d’œil jeté sur les étables et sur les écuries… “<br />
Cruautés à l’égard des bêtes à laine, à lait, des bêtes grasses… 13<br />
Tableau de la manière dont on conduit le bétail à la ville, à la boucherie… 14<br />
Tueries… 15<br />
Mauvais traitement du bétail en temps de guerre… “<br />
Origine de la mortalité des bestiaux. Remède… “<br />
Cruautés des classes moyennes, des hautes classes… 16<br />
La chasse… ”<br />
Cruautés à l’égard du gibier… 17<br />
Chasseurs de profession, amateurs de la chasse… ”<br />
Chasses artificielles… ”<br />
Chasses royales, grandes chasses… 18<br />
Chasses de bêtes féroces… ”<br />
Chasse au renard, chasse à l’ours… ”<br />
Tourments des chevaux et des chiens de chasse… 19<br />
Des chevaux pendant la guerre… ”<br />
Des chiens, des singes, et chevaux en d’autres occasions… 20<br />
Voyages des rois… 21<br />
Sort des chevaux à louage… 22<br />
Cruautés qu’on exerce sur les animaux dans les jeux et les fêtes nationales… ”<br />
Combats des taureaux en Espagne, Italie et France… 23<br />
Courses de chevaux en Angleterre et en Italie… 24<br />
Combats de bêtes en Allemagne et en France… 24<br />
Anecdote du lion Isaac… 25<br />
Combats des coqs en Angleterre…28<br />
Jeux publics et cruels des basses classes… ”<br />
Cocagne d’Italie, jeu de l’oie en Batavie… ”<br />
Jeux des pêcheurs en Allemagne… ”<br />
Jeu du chat à Aix en France… 27<br />
Jeu du coq en Angleterre et en Allemagne… ”<br />
Effet que produisent ces cruautés sur l’homme non corrompu… 28<br />
Que dit la raison humaine de ces cruautés ?... 29<br />
Appartiennent-elles au tribunal de la morale ?...”<br />
La morale les défend<br />
1. par des raisons désintéressées<br />
a) la justice reconnaît les droits des autres, et les protège… 30<br />
Fondement des droits… 31<br />
Besoins des hommes et des animaux mis en parallèle…”<br />
Les animaux ont des droits… 32<br />
Détermination des bornes jusqu’où l’homme peut se servir des animaux…33<br />
Notion exacte de la cruauté…34<br />
b) La bonté ou la bienveillance universelle exige qu’on traite bien les autres créatures…35<br />
Notion de la bonté, la libéralité, la compassion… ”<br />
Impressions que font ces vertus… 36<br />
Comment la bonté et la pitié agissent-elles sur les animaux ?....”<br />
Xenocrate et le moineau…37<br />
L’ânier d’Alexandre…”<br />
Le sultan Murad à Constantinople… ”<br />
c) La reconnaissance exige du retour et de la rémunération pour les services que d’autres <br />
êtres bienfaisants nous ont rendus… ”<br />
Notion de gratitude… ”<br />
Qui mérite de recueillir les fruits de la gratitude…38<br />
Différence entre les êtres libres et ceux qui n’agissent que par instinct…”<br />
Pouvons-nous contester aux animaux la volonté de nous faire du bien ? … ”<br />
Indication d’exemples d’animaux bienfaisants ?<br />
Transition aux raisons de la morale prises… 46<br />
2. De l’utilité de l’homme… ”<br />
a) La cruauté à l’égard des animaux rend l’homme cruel envers l’homme… 41<br />
Nature de la cruauté… ”<br />
Ses accroissements… 42<br />
Jugement de Locke sur la cruauté des enfants… 43<br />
Jugement des pédagogues modernes… ”<br />
Des aréopagites d’Athènes…”<br />
Du magistrat d’Albo en Finlande…”<br />
Condamnation du boucher Elys en Angleterre… 44<br />
Loi d’Angleterre, Sentence de la faculté de droit à Leipzig…”<br />
Reproche fait à l’histoire qu’a négligé de remonter aux premières causes qui ont rendu certains hommes cruels… de Nemrod, à […] à Commode, exemples de cruauté envers les animaux et les hommes…”<br />
Charles IX, roi de France… 45<br />
Anecdote de ce prince et du mulet de Lansac… ”<br />
La chasse inspire la cruauté à l’égard des hommes… 46<br />
Le gentilhomme de Galice et le juif coucou… ”<br />
Recherches sur l’origine de la cruauté inouïe des Indiens de l’Amérique septentrionale..”<br />
Influence de la nourriture végétale sur l’adoucissement des mœurs… 50<br />
Sacrifices humains, leurs origines…”<br />
Recherches sur les causes de la cruauté des Romains… 57<br />
Esclaves, Chrétiens… 52<br />
Examen de l’influence des combats d’animaux en Angleterre sur le caractère de la<br />
nation anglaise… 53<br />
b) Les traitements barbares des animaux nuisent à l’homme en diminuant ses ressources.<br />
Bill Noir d’Angleterre…88<br />
Loi Saxonne… 89<br />
Ordonnance de Hesse – Cassel…”<br />
Ordonnance de Saxe Meiningen… ”<br />
Difficultés à observer de nos jours les lois publiques… 90<br />
Conclusions…. ”</p>
<div class="footnotes">
<h4>Notes:</h4>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-1" id="pnote-1">1</a>] Pour exprimer le mauvais traitement qu’on fait à quelqu’un on dit en allemand qu’on le traite comme un chien. Les Anglais ont un proverbe pareil cité par Le Guardian <…> L. 1 : Le chat – disent-ils – a neuf vies, pour résister aux tourments.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-2" id="pnote-2">2</a>] Les chevaux de course du Corso à Rome sont dressés à courir seuls et sans être montés. Après qu’un nombre suffisant a été rassemblé dans la carrière, on les place tous ensemble ou par bandes sur la même ligne. Le signal leur est donné, un coup de fouet les met en train à la fois. Des courroies auxquelles sont attachés des boules et des crochets de fer leur pendent des deux côtés et leur frappent les cuisses, les flancs et le ventre en courant.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-3" id="pnote-3">3</a>] On pèse les Jockeys en Angleterre.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-4" id="pnote-4">4</a>] Zeitung für die Elegante Welt. Leipzig. Année 1802. C’est elle qui parle [sic] : « Le 1er janvier 1791 on a donné dans l’amphithéâtre des bêtes, le spectacle du lion Isaac. Le roi de Naples était alors à Vienne.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-5" id="pnote-5">5</a>] Soloyer, Correspondance […].</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-6" id="pnote-6">6</a>] Il paraît que les principaux sages de l’Europe sont convenus entre eux d’admettre comme une vérité fondamentale que la différence de religion n’amène pas pour l’homme une différence des droits à l’exception de ceux que des conventions particulières ont introduit dans les empires. La disposition où l’on est d’abolir insensiblement la traite des Nègres et la servitude et même la mesure précipitée qu’on avait prise, il y a quelques temps à ce premier égard, prouve que la majorité des habitants éclairés de l’Europe est d’avis que la différence de nation et de race ne doit pas porter préjudice à l’égalité des droits.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-7" id="pnote-7">7</a>] Notre but n’étant pas de développer la nature des bêtes, mais simplement de poser en fondement à ce qui est généralement admis et non hypothétique, on n’exigera pas sans doute de nous que nous nous rangions de l’avis de ceux qui prétendent que l’animal est susceptible de se perfectionner dans le même sens que l’homme.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-8" id="pnote-8">8</a>] Consultez les ouvrages qui traitent de la conquête du nouveau monde par les Espagnols, des Indes Orientales par les Portugais, les Hollandais, les Anglais, de la Livonie par les Allemands, des massacres de la St. Barthelemy, des dragonnades chez les Français, des Vêpres chez les Italiens, des horreurs de la guerre de Trente Ans en Allemagne et du tableau de la Révolution française.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-9" id="pnote-9">9</a>] V. J. J. Rousseau, Emile, T. II. - La chasse endurcit le cœur aussi bien que le corps ; elle accoutume au sang, à la cruauté. Les œuvres du Philosophe de Sans Souci : Ceux qui font profession de la chasse… sont quelquefois très grossiers et il est à craindre qu’ils ne deviennent aussi inhumains envers les hommes qu’ils le sont à l’égard des bêtes, ou que du moins la cruelle coutume de faire souffrir avec indifférence ne les rende moins compatissants aux malheurs de leurs semblables.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-10" id="pnote-10">10</a>] V. Brücke über Galizien, 1788.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-11" id="pnote-11">11</a>] Raynal, Histoire philosophique des établissements Européens, Robertson, History of America, L. IV, Lafiteau, Mœurs des sauvages américaines [sic], Carver, Travels through the interior countries of North America, Adair, History of American Indians of the Mississipi, Carli, Lettres domestiques.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-12" id="pnote-12">12</a>] Les spectateurs de l’Eudémonie en fait de Philosophie morale, ne se regardent pas comme vaincus par les partisans de la morale pure de Kant et continuent à défendre leur système, il ne nous appartient pas ici, où nous n’offrons que des principes généralement reconnus à l’appui de notre thèse, de suivre l’opinion des uns ni des autres.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-13" id="pnote-13">13</a>] Le respectable prévôt Teller à Berlin a donné un exemple bien digne d’imitation dans son ouvrage intitulé : Anleitung zur Religion. Voyez surtout le deuxième volume de cet excellent petit traité. Chap. 3. « Il y a bien des personnes qui doutent encore s’il y a des devoirs envers les animaux et qui regardent l’expression – les droits des bêtes – comme une faute de langage. Darjen même a voulu prouver que les animaux n’ont aucun droit.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-14" id="pnote-14">14</a>] V. Arohenholz Annalen der brittischen Geschichte, 1790.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-15" id="pnote-15">15</a>] V. Georg Biurmann Wegweiser</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-16" id="pnote-16">16</a>] V. Arohenholz Annalen der brittischen Geschichte, 1790, où il rapporte l’histoire de Shpeherd.</p>
<p>[<a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que#rev-pnote-17" id="pnote-17">17</a>] V. La Constitution de la Saxe.</p>
</div>9. Je suis un animal, je pense que rien de ce qui concerne les animaux ne m’est étrangerurn:md5:ba11a42938390cc0d1653f7bbf8b23902016-10-12T15:04:00+02:002016-10-12T15:16:36+02:00anacharsisDissertations<p>Dissertation 9, par <a class="ref-post" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/Dieudonn%C3%A9-Malherbe">Dieudonné Malherbe</a>.</p> <div class="citation">
<blockquote>
<h4>Animal sum, animalium nihil a me alienum puto</h4>
</blockquote>
</div>
<pre style="text-align: center;">
Reçu le 8 messidor
Commissaires :
Le Bureau : Garran, La Révellière-Lépeaux, Dupont (Denemours),
Toulongeon, Silvestre de Sacy.</pre>
<figure style="{figureStyle}"><a class="media-link" href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/dissertations/dissert9-noirw.jpg"><img alt="Dissertation 9, 1re page" class="media" src="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/public/dissertations/.dissert9-noirw_m.jpg" /></a>
<figcaption>Dissertation 9, 1re page</figcaption>
</figure>
<p>Il est certain, il est incontestable, que plus un homme est humain ou dur envers les animaux, plus il est humain ou dur envers ses semblables. Il est donc clair que la solution de l’importante question que j’aborde et qui honorera à jamais l’Institut National qui l’a proposée pour sujet d’un prix de morale, la République française et le commencement du dix-neuvième siècle, se compose de toutes les conséquences de ce principe, non moins évident que fécond. Oui, l’expérience nous convainc et la raison nous persuade que celui qui souffre en voyant souffrir un animal est toujours, et ne saurait manquer d’être, compatissant envers les malheureux, et qu’au contraire celui qui est sans pitié pour les bêtes n’en a pas aussi et n’en saurait avoir pour les hommes, parce qu’il est impossible que notre cœur soit tout à la fois ou alternativement de chair et d’airain. Qui ne devinera donc la réponse que j’ai à faire à la question qui est l’objet de ce discours, ou plutôt qui ne lira dans le principe lumineux sur lequel je l’appuie, que les traitements barbares exercés sur les animaux sont les coups les plus dangereux que l’on puisse porter à la morale publique et que, par conséquent, on ne saurait faire trop tôt de bonnes lois pour les réprimer et pour faire cesser un abus aussi funeste à tous les êtres vivants et sensibles ?...Voilà donc un des plus intéressants, des plus utiles et malheureusement un des plus neufs problèmes de la morale. Résolu en peu de mots, et il me reste bien moins à prouver qu’à expliquer et à développer les deux dernières évitées qui ne sont que de justes et immédiates conséquences d’un principe qui ne pourrait être contesté que par des bouchers et des écorcheurs aussi stupides que sanguinaires.</p>
<h1>Première partie</h1>
<p>Le fameux apôtre de la Métempsycose et le Père de la philosophie moderne se sont trompé tous deux sur l’âme des bêtes, mais si l’erreur de Pythagore peut exciter un léger sourire dans les traits du visage [2], celle de Descartes ne peut qu’affliger la sensibilité d’un bon cœur. Les cris d’un animal qu’on frappe ou qu’on tue, semblables suivant son système aux sons d’une barre de fer que l’on forge sur une enclume, ne satisfaisaient-ils donc jamais que dans les anfractuosités de ses oreilles ?... Quelle erreur fut jamais plus contraire à l’humanité ! Et quelle erreur néanmoins a compté plus de partisans ! Mais il m’est doux de penser, d’après le cri de compassion que jeta l’aimable auteur de la Pluralité des Mondes, en voyant lancer un violent coup de pied à une chienne qui était près de mettre bas ses petits, il m’est, dis-je, consolant de croire, de dire et d’écrire que ce célèbre cartésien et que la plupart des disciples de l’immortel auteur des tourbillons, n’ont été ni convaincus, ni persuadés de cette trop fameuse opinion de leur maître et que l’esprit de système, peut-être plus pardonnable alors qu’aujourd’hui, il leur a fermé les yeux sur les dangereuses conséquences du système des automates. […]</p>
<p>[3] Ce n’est qu’en examinant les animaux de très près, qu’en vivant avec eux en ami et non pas en maître, et qu’en les étudiant avec un esprit idolâtre de la vérité, qu’on peut soulever un coin du voile épais qui cache le principal mystère de leurs opérations et ce n’est que par ces moyens que l’on peut se convaincre que la distance qu’il y a entre leur instinct et notre raison n’est point incommensurable. Aussi ne suis-je pas du tout surpris que l’éloquent Buffon n’ait vu aussi en eux que des horloges naturelles, un peu plus ingénieuses que nos horloges artificielles ; car ses plus grandes admirateurs, du nombre desquels je me serai toujours glorifié d’être, sont obligés de convenir qu’il n’observait la Nature que de toute la hauteur de son génie et par conséquent de beaucoup trop loin. D’ailleurs, outre que les preuves dont il étaye son sentiment ne doivent l’apparence de la solidité qu’à la magie de son style, et qu’il eût été incapable de répondre à cent objections qu’il ne s’est pas faites et qu’il était si facile de lui faire ; la persuasion qu’il en avait lui-même était si faible, qu’il pouvait être d’un sentiment contraire dans cent endroits de son Histoire Naturelle. Il me serait bien doux de pouvoir ici entretenir mes juges de mes souvenirs les plus chers et de leur raconter la vie d’un petit chien auquel l’une de mes sœurs et moi, nous devons plus des trois quarts de la nôtre, mais ils ne seraient pas obligés de me croire et son histoire fidèle et exacte jusqu’au scrupule [4] ne pourrait leur paraître qu’une fable ou qu’un roman. Au reste, quoi que l’on ait dit et quoi qu’on puisse dire encore, qu’il est plus aisé de faire voir ce que l’instinct des bêtes n’est pas ce qu’il est effectivement, sans vouloir décider de cette mystérieuse question, je n’hésite point à soutenir que la décision de Descartes est inadmissible, parce que tout nous prouve, et qu’il est hors de tout doute, qu’elles sont comme nous, plus ou moins sensibles. Or, il suffit que nous sachions avec certitude qu’elles sont sujettes à la douleur, sans l’avoir mieux motivée que nous, et il suffirait même que nous en eussions quelque probabilité, pour que nous nous fassions une loi de les traiter avec bonté et de leur faire le moins de mal qu’il est possible.</p>
<p>La reine de toutes les vertus sociales, la sainte humanité, embrasse tous les êtres sensibles. Ô vous, qui que vous soyez, qui ne compatissez aux peines d’un de vos semblables que parce que vous réfléchissez que le même malheur peut vous arriver, vous vous trompez si vous prenez votre compassion pour de l’humanité et si vous la prenez pour autre chose qu’un véritable égoïsme, puisque dans votre semblable souffrant, vous ne voyez que vous-même menacé de souffrir un jour comme lui. Mais frémissez-vous à la vue d’un bœuf attaché à la porte ou aux fenêtres d’une boucherie ? L’idée de l’affreux sort qu’il est prêt à subir est-elle pour vous un tourment ? Vous poursuit-elle longtemps et vous oblige-t-elle à déclamer contre les imperfections de notre malheureux monde ? Ne pouvez-vous vous trouver à côté d’une charrette trop chargée qu’un infortuné cheval tache en vain, quoiqu’avec les plus grands efforts, de faire avancer vers un lieu élevé, sans appliquer aussitôt vos bras aux voies de la roue que vous côtoyez, et sans ajouter toutes vos forces à celles de ce cheval épuisé de fatigue ? Ne pouvez-vous vous trouver auprès d’un homme dur, qui frappe rudement et mal-à-propos une bête de somme, un chien ou quelque autre bête sans lui faire de vifs reproches ? Ne pouvez-vous vous déterminer à donner la mort à une taupe, à un rat ? Ne pouvez-vous écraser un insecte nuisible qu’avec un effort pénible et un sentiment amer ? Alors vous pouvez vous flatter de posséder le plus précieux de tous les trésors, alors vous pouvez écrire que la mère de toutes les vertus sociales fait sa résidence dans votre cœur. La Panzoophilie est la seule matrice où puisse naitre la vraie philanthropie et celui qui se dit philanthrope sans être panzoophile ne peut être qu’un égoïste hypocrite. À la vérité, la plupart des choses perdent en profondeur ce qu’elles gagnent [5] en étendue, mais l’humanité devient plus profonde, plus active et plus brûlante, à mesure qu’elle embrasse plus de créatures sensibles. La raison qui seule élève l’homme au-dessus des animaux, mais qui lui défend d’en être le tyran, cette raison qui nous rend si fiers et si dédaigneux à leur égard lorsque nous fermons les yeux à sa bienfaisante lumière, ne nous fera-t-elle pas dire, si nous l’interrogeons à la vue d’un agneau sous le couteau du boucher, ô trois fois malheureuse créature ! Pourquoi ne suis-je pas à ta place ? Pourquoi n’es-tu pas à la mienne ? […]</p>
<p>Si la lumière de la raison en plein midi nous fait voir clairement que la pitié est la vertu à la conservation et à l’accroissement de laquelle la société doit s’intéresser le plus, puisqu’elle engendre la bienveillance, le désintéressement, la bienfaisance et toutes les vertus sociales, puisqu’elle voudrait voir tous les hommes heureux et que la seule pensée de la souffrance la fait souffrir, la même lumière renforcée de celle du grand flambeau de l’expérience, nous fait voir aussi que nous ne saurions devenir impitoyables envers les animaux sans le devenir en même temps envers nos semblables, que l’impitié (sic) dégénère bientôt en cruauté et que la cruauté est nécessairement amie de l’immoralité. Ceux qui ont étudié les passions sont convaincus que le combat de deux coqs ne saurait amuser un mauvais cœur sans lui inspirer en même temps le désir de voir le combat plus sanglant d’une bête féroce contre une autre bête féroce et ceux qui ont médité l’histoire sont persuadés que le combat d’un lion contre un taureau ne tarde pas de conduire les romains à celui d’un lion ou d’un taureau contre un gladiateur et que ce dernier spectacle les a conduits, le lendemain à celui d’un gladiateur contre un autre gladiateur. Ne nous étonnons donc plus que dans le dernier siècle de la République, on ait vu des riches pousser le goût de la cruauté jusqu’à se donner pendant leur repas cette dernière sorte de spectacles ; ne nous étonnons plus des vaisseaux de sang romain qui ont coulé dans les proscriptions de Sylla, d’Octave, etc. ; ne nous étonnons plus de la coupe remplie du même sang que Catilina but et fit boire à tous ses conjurés ; ne nous étonnons plus enfin que le Peuple Roi, qui ne l’était devenu que par ses mœurs pures et par ses vertus, soit devenu par sa cruauté et son immoralité, un peuple de vils esclaves.</p>
<p>[6] Rien n’a surpassé la manie des anciens Romains pour les spectacles de gladiateurs que la fureur des Espagnols pour les combats de taureaux : dans les bourgs et dans les villages, elle est la même que dans les villes, aussi ne peut-on lire sans frémir, le récit des cruautés que les Espagnols ont exercées dans le Nouveau-Monde sur les malheureux Indiens, et je ne peux m’empêcher d’émettre cette autre conclusion : aussi la redoutable Inquisition a-t-elle déployé chez eux une rigueur beaucoup plus terrible que dans tous les autres pays où elle s’est malheureusement introduite. Oui, je crois avoir signalé la vraie cause de ces deux grands malheurs ; car tout se tient dans le mal comme dans le bien et l’humanité ne peut être le premier mobile de celui-ci sans que le vice contraire à cette vertu soit le premier mobile de celui-là.</p>
<p>[…] [8] Tous les cœurs accessibles à la pitié sentiront qu’il ne m’a fallu rien moins qu’une ardente philanthropie pour dérouler un tableau aussi repoussant et qu’elle seule a pu me donner le courage de descendre dans tous ces détails, dont l’exposition très circonstanciée était malheureusement aussi nécessaire pour gagner ma cause qu’elle a été pénible pour ma plume ; ils sentiront que je n’ai trainé mon imagination et celle de mes lecteurs sur une foule d’objets ensanglantés que pour leur démontrer avec la plus lumineuse évidence, combien ces horribles coutumes sont funestes aux mœurs, et pour faire passer dans leur âme toute l’horreur et toute l’indignation que mérite le plus immoral de tous les abus. Il n’appartiendrait pas à un Liégeois de se charger de la tâche plus dégoutante que difficile de dresser une liste de tous les Liégeois qu’il a vus ne pas rougir d’applaudir au régime de la Terreur ; je pourrais faire voir bien aisément…</p>
<div class="citation">
<blockquote>
<h4>Infondum sed triste nimis renovare dolorem</h4>
</blockquote>
</div>
<p>À Dieu ne plaise que je veuille réveiller dans aucun Français les douloureux souvenirs d’une époque qui a vomi tant de maux sur la terre, mais le moins qu’on puisse m’accorder, c’est d’apostropher le barbare inconnu qui a inventé un dernier jeu de bourreaux, par les paroles vengeresses que le prince des poètes latins a mises dans la bouche de l’aimable reine de Carthage contre l’ingrat ennemi :</p>
<div class="citation">
<blockquote>
<h4>… duris genuit te cautius horrens caucasus, Hycandque admorant ubera tygres</h4>
</blockquote>
</div>
<p> </p>
<h1>[9] Seconde partie</h1>
<p>Quel est celui de mes juges, quel est celui de mes lecteurs philanthropes qui, ayant eu le courage de lire jusqu’à la dernière ligne de la première partie de ce discours pourra trouver mauvais que je commence la seconde par m’écrier avec le même poète, et pourra même ne pas répéter après moi :</p>
<div class="citation">
<blockquote>
<h4>Quod genus hoc hominum ? Quaeve hunc tam barbara morem permittit patria ?</h4>
</blockquote>
</div>
<p>Lequel d’entre eux n’appellera avec moi la justice au secours de l’humanité ? Lequel d’entre eux n’apercevra pas un grand vide dans les deux codes, conventionnel et criminel, et ne souhaitera ardemment que ces deux lacunes soient bientôt remplies, lequel d’entre eux en un mot ne conclura que le gouvernement français ne saurait trop tôt tourner son attention et sa sagesse vers les moyens de réprimer ces dangereux désordres et faire peser sur eux des lois assez sévères pour les noyer dans le cloaque de sang où ils vivent et où ils se multiplient.</p>
<p>La plupart des législateurs anciens, parmi lesquels je peux citer celui que le grand Bofsant appelle le plus anciens des historiens, le plus sublime des philosophes et le plus sage des législateurs, n’ont pas dédaigné de faire des lois en faveur des animaux, mais après les philosophes de l’Inde qui, dès les temps les plus reculés, ont couru dans cette carrière, mais qui ont dépassé le but en voulant l’atteindre c’est chez le peuple le plus éclairé de l’antiquité, c’est chez les Grecs qu’ont été conçues, méditées et promulguées les lois les plus sages en faveur des animaux. Plusieurs auteurs modernes ont pris plaisir à citer et à louer cette loi des Thessaliens qui prononçait la peine de mort contre quiconque oserait tuer une cigogne. Et le judicieux et éloquent auteur de l’Esprit des Lois semble avoir approuvé et même admiré les deux sentences de mort que l’Aréopage d’Athènes porta contre deux monstres à figure humaine, dont l’un avait tué un moineau qui s’était réfugié dans son sein pour éviter les serres d’un épervier qui [10] le poursuivait et dont l’autre avait crevé les yeux à son oiseau : « On est étonné, dit ce grand homme, de la punition de cet aréopagite, lequel avait tué un moineau poursuivi par un épervier et refugié dans son sein, on est surpris que l’aréopage ait fait mourir un enfant qui avait crevé les yeux à son oiseau, qu’on fasse réflexion qu’il ne s’agit point là d’une condamnation pour crime, mais d’un jugement de mœurs dans une République fondée sur les mœurs » (Esprit des Lois).</p>
<p>Je n’ignore pas ce qu’a dit là-dessus, le plus célèbre écrivain du dix-huitième siècle : « Non, je ne suis point surpris, dit-il dans son commentaire sur l’Esprit des Lois, de ces deux jugements atroces, car je n’en crois rien, et un homme comme Montesquieu devait n’en rien croire, quoiqu’on reproche aux Athéniens beaucoup d’inconséquences, de légèretés cruelles, de très mauvaises actions et une plus mauvaise conduite, je ne pense point qu’ils aient eu l’absurdité aussi ridicule que barbare de tuer des hommes et des enfants pour des moineaux. C’est un jugement de mœurs, dit Montesquieu : quelles mœurs ? Quoi donc ! N’y a-t-il pas une dureté des mœurs plus horribles à tuer votre compatriote qu’à tordre le cou à un moineau ou à lui crever l’œil ? ». […]</p>
<p>[11] Qu’on n’aille pas croire au reste que je me prépare à prêcher l’abstinence des Indous et des Pythagoriciens à laquelle néanmoins je ne puis m’empêcher d’applaudir et à laquelle je n’hésiterais pas un instant à me soumettre, si ce sacrifice non sanglant fait à la pitié et à l’amélioration de notre caractère et de nos mœurs pouvait mettre fin à tous les sacrifices sanglants que nous faisons à notre gourmandise pour ne point tenter l’impossible, je me contenterai de dire avec un grand poète :</p>
<div class="citation">
<blockquote>
<h4>Dès longtemps l’habitude a vaincu la nature ;<br />
Mais elle n’en a pas étouffé le murmure.<br />
Soyez donc leurs tombeaux, vivez de leurs trépas,<br />
Mais d’un tourment sans fruit ne les accablez pas :<br />
L’Eternel le défend, la pitié protectrice<br />
Permet leur esclavage et non pas leur supplice.</h4>
</blockquote>
</div>
<p>En admettant donc que le Créateur a créé les animaux pour notre utilité et pour nos plaisirs et qu’il a accordé à l’homme la permission de se nourrir de leur chair et de leur ôter la vie quand cela lui est ou lui pouvait être véritablement utile, il n’en sera pas moins vrai de dire que le bon sens et la justice autant que l’humanité veulent qu’en leur donnant la mort, on les fasse souffrir le moins qu’on le peut ; car ou notre raison n’est qu’un être de raison, ou après l’avoir interrogée dix mille fois sur ce cas nous devons croire sans doute à ses dix mille réponses qui affirmeront toutes également que la douleur crie vengeance contre celui qui la cause en vain, et qu’elle le rend par conséquent criminel aux yeux de Dieu et des hommes.</p>
<p>[12] De ce dernier principe de morale non moins évident, non moins incontestable que les autres que j’ai fait servir de base à mon discours, il s’ensuit que tout gouvernement juste doit ordonner aux bouchers, sous des peines sévères, de donner aux animaux qu’ils tuent, la mort la moins dangereuse. Or, comme l’amputation de la tête faite d’un seul coup parait malheureusement être la moins douloureuse de toutes les morts violentes que l’on connaisse, il est visible que dans cette supposition, la guillotine est le seul instrument de mort qui puisse être toléré dans les boucheries.</p>
<p>Il ne s’ensuit pas moins évidement de tout ce que j’ai dit que tout gouvernement, ami des mœurs, et par conséquent que tout gouvernement républicain qui, selon Montesquieu, doit faire des mœurs son principal ressort, doit réduire les bouchers au plus petit nombre possible, doit appeler sur eux tous les yeux de la police, et doit soustraire à ceux du public l’intérieur des boucheries et jusqu’à la plus petite effusion de sang.</p>
<p>Que la gloire dont le dix-neuvième siècle peut se couvrir par cette réforme à jamais mémorable serait bien capable de faire pâlir la grande gloire dont le dix-huitième brille à nos regards ! Tout ce que j’ai dit donne la mesure de ce que je dirais si nos mœurs actuelles étaient beaucoup moins mauvaises, et si elles étaient en pleine marche vers la perfection dont elles sont susceptibles ; mais ce qui dans un temps plus heureux ne paraitrait que facile et agréable dans l’exécution, pourrait paraître aujourd’hui, trop austère, reboutant et même impraticable. D’ailleurs, le tableau des conséquences de mon principe fondamental se déroulera de lui-même à mesure que les mœurs s’améliorent, et montre même déjà dans sa partie dévoilée la totalité de la seule route sûre en politique qui conduit à l’abolition de la peine de mort. J’ose ajouter que l’heureux jour où toutes ces conséquences, sans excepter les plus éloignées, seront converties en autant de lois, méritera à très juste titre d’être appelé le premier jour de l’âge d’or.</p>
<p>Poètes, orateurs, philosophes, ne cessez de plaider la cause de la pitié et de l’humanité dans tous vos écrits ; rois, princes, magistrats, faites-les respecter et pratiquer en les respectant et en les pratiquant vous-mêmes ; pères et mères, prêchez-les souvent à vos enfants par vos discours et par vos exemples. […]</p>
<p>[14] Quels plus beaux exemples de courage et de civisme pourrait-on trouver dans les cent-mille infolios de l’histoire, que ceux que nous ont donnés plusieurs partisans de la métempsycose ? Qui ne sait que Pythagore, après ses longs voyages, se condamna à vivre loin de sa patrie pour ne pas courber son col sous le joug de Polycrate qui en avait usurpé le gouvernement pour la gouverner en despote ? Qui ne sait que plusieurs républiques de la Grèce lui demandèrent des règlements et des lois ? Qui ne sait qu’Apollonius de Tyne après avoir visité comme lui les Brahmanes des Indes, les Mages de Perse et les Gymnosophistes d’Egypte voulut ainsi voir Rome quoiqu’au péril de sa vie, pour connaître, disait-il, quel animal c’était qu’un tyran ? Qui ne sait avec quelle intrépidité, il déclama contre la tyrannie, se laissa conduire de sa prison au redoutable tribunal de Domitien qui voulait le juger et condamner à mort avec quelque apparence de justice, et avec quelle présence d’esprit et quelle fierté, il répondit à toutes les questions de ce monstre sanguinaire. Trouvera-t-on dans Caton d’Utique et dans Brutus un plus profond mépris et une plus forte haine du [15] despotisme que dans le sage de Samos et dans celui de Tyne ? Et reconnaitra-t-on, dans aucune des actions d’Alexandre le grand, plus d’héroïsme que dans celle du philosophe indien Calamus montant avec un visage serein sur un bucher qu’il ordonne d’allumer pour mettre fin à une vie qu’il ne pouvait plus rendre utile à ses semblables ? Les Espagnols et les Anglais, pour être moins humains, moins accessibles à la pitié que les Français, sont-ils meilleurs soldats que ces derniers ? Il n’y a sans doute que le délire qui pourrait rendre excusables ceux qui soutiendraient l’affirmative. Sont-ce donc les combats de taureaux qui ont fait remporter six cent victoires aux armées invincibles de la République française ? Non, non, c’est la haine de la tyrannie, c’est l’amour de la liberté qui ne sont nulle part si actifs et si brulants que dans un cœur où brûle le feu céleste de la pitié et de l’humanité. Loin donc de tous les rois, loin de tous les magistrats, loin de tous les législateurs. Enfin la fausse et funeste opinion qu’il faille brider la pitié, et si la trop fière Albion a rendu un grand service à la France, à l’Europe et même aux deux hémisphères de notre globe, en leur offrant l’inestimable présent de la vaccine, puisse la République française rendre bientôt à l’Angleterre et aux quatre parties du monde, un beaucoup plus grand service encore, en injectant dans tous les cœurs la pitié envers les animaux et en ajoutant un nouveau traité essentiel à la morale universelle.</p>
<p>Fin</p>Bourguignonurn:md5:fb640da05d95328309d4e0b025848fd62016-10-12T15:00:00+02:002016-10-12T15:00:00+02:00anacharsisAuteurs<p>Auteur de la <a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/05/7.-Coeur-barbare">dissertation 7</a>.</p> <p>Bourguignon (1760-1829), bien connu des juristes français, fut « juge au tribunal criminel du département de la Seine, membre de l’Académie de législation et de la société des Sciences et Arts de Grenoble », et membre du conseil d’administration des Droits réunis. Son nom complet est Bourguignon-Dumolard, nom sous lequel il concourt à un autre prix de l’Institut sur « l’institution du jury » en l’an X. Juriste reconnu, il rédige une série de recueils juridiques, dont le Manuel d’instruction criminelle, chez Patris, en 1810, continuée après 1840 par Dalloz. Il joue un rôle non négligeable durant la Révolution, devenant secrétaire général du Comité de sûreté générale après le 9 thermidor, puis devient chef de division au ministère de l’Intérieur avant de redevenir secrétaire général, cette fois du ministère de la Justice. Nommé par le directeur Gohier ministre de la Police générale durant l’été de l’an VII (signe d’un républicanisme certain), il ne le demeura que vingt-sept jours avant d’être remplacé par Fouché. Il devient sous l’Empire magistrat du parquet de la Haute Cour, juge en la cour criminelle de Paris. Voir « Claude Sébastien Bourguignon », dans Robert et Cougny, <em>Dictionnaire des parlementaires français</em>, 1889.</p>Christian Friedrich Warmholzurn:md5:4fe91f99109ddb924d57b45f965437d72016-10-12T14:59:00+02:002016-10-12T14:38:36+02:00anacharsisAuteurs<p>Auteur de la <a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/8.-Il-faut-que">dissertation 8</a>.</p> <p>Christian Friedrich Warmholz se déclare « ancien précepteur des princes de von Hessen-Philippsthal, candidat des Predigtamts, zu Barofeld bei Salzungen an der Wessa in fraenkischen Kreise ».</p>Dieudonné Malherbeurn:md5:e21e7ba6ce605e372bd3a5d3fd31e80a2016-10-12T14:58:00+02:002016-10-12T14:54:20+02:00anacharsisAuteurs<p>Auteur de la <a href="https://blogs.editions-anacharsis.com/animal/index.php?post/2016/10/12/9.-Je-suis-un-animal">dissertation 9</a>.</p> <p>Dieudonné Malherbe est citoyen de Liège, « auteur du discours ayant pour épigraphe : animal sum, animalium nihil a me alienum puto. Il demeure dans le quartier d’Outre-Meuse, près du pont de la Victoire, no 1401, à Liège ».</p>