Épisode 4 : la Joyeuse Garde

En ce temps-là, dit le conte, la demoiselle messagère que messire Tristan avait dépêchée au royaume de Logre auprès de Lancelot, qu’il aimait d’un amour plus grand que tout autre chevalier du monde, revint en Cornouaille. Et sachez que c’était cette même demoiselle que la reine Iseult avait envoyée au royaume de Logre vers monseigneur Tristan à l’époque où le splendide tournoi se déroulait devant le château des Pucelles (voir l'épisode 4 de la saison 2 : le tournoi).

« Ma demoiselle, soyez la bienvenue. Pour l’amour de Dieu, dites-moi ce que deviennent tous mes compagnons de la Table Ronde. Que fait le roi Arthur, le meilleur prince du monde et le plus puissant ? Que fait Lancelot, le meilleur d’entre les bons et le plus courtois qui soit au monde ?
— Sire, répond la demoiselle, apprenez que je le laissai sain et sauf, gai et désireux de vous voir. Il ne souhaite rien d’autre au monde que de vous retrouver. Et comme il ne peut vous apercevoir, il vous envoie une lettre en réponse à celles que vous lui adressâtes au lieu de sa personne. »

Les lettres de Lancelot disaient ainsi :

Nul chevalier ni loin ni court
Ne fut tant désiré à la cour
N’oubliez pas votre suprême joie
Qui votre coeur tourne en joie.
S’il est possible quoi qu’il advienne
Qu’elle ne reste derrière, qu’elle vienne
Nous aurons joie plénière de vous,
Vous d’elle et nous de vous.

 

L’histoire vraie de monseigneur Tristan dit qu’il passa du royaume de Cornouaille au royaume de Logre. Il avait avec lui la reine Iseult de Cornouaille quand l’aventure l’amena près de la cité de Kamaaloth. Lancelot les accueillet à la Joyeuse Garde, dans un château bien fortifié et splendide. Jamais de toute sa vie messire Tristan n’avait connu un temps si bon, si plaisant, si agréable comme il le connaît à la Joyeuse Garde. Et ma dame Iseult est ravie à chaque fois qu’elle le voit. Ils vivent tous deux dans la joie. Et sachez que personne au royaume de Logre ne savait rien sur monseigneur Tristan, excepté le roi Arthur, la reine Guenièvre et Lancelot.

 

Un jour, dit le conte, alors que messire Tristan se reposait de sa chasse près d’une source, il aperçoit un chevalier tout en arme et très bien monté se diriger vers lui. Et si on me demandait qui était le chevalier, je répondrais que c’était Bréhus sans Pitié. Les deux chevaliers s’étaient à peine saluer quand ils virent venir devant eux une bête glapissante. Après avoir bu, le bête s’en va de l’autre côté comme si la foudre la chassait.

 

« Ah, Seigneur Dieu, fait messire Tristan, comme cette bête est étrange et merveilleuse à voir ! Son apparence est très singulière.
— C’est vrai, approuve Bréhus. Elle est vraiment étrange. »

 

Alors qu’ils parlaient ainsi de la bête glapissante, voici venir vers eux un autre chevalier tout en arme et apprêté comme un chevalier errant. Et si on me demandait qui était ce chevalier, je répondrais qu’il s’appelait Palamède, le bon chevalier, qui avait entrepris de chasser la bête glapissante. Il s’approche d’eux et leur demande :

 

« Seigneurs chevaliers, voulez-vous empiéter sur ma chasse, que j’ai si longuement entreprise ? Apprenez que je ne le supporterai pas. Je vous affronterai afin que vous m’abandonniez ma chasse complètement !
— Comment ! s’étonne Bréhus. Voulez-vous donc combattre ?
— En effet, répond Palamède, je désire vraiment me battre contre vous. Si vous pouvez me montrer que vous êtes meilleur chevalier que moi, je vous laisserai aussitôt la chasse, car ce ne sera pas à mon déshonneur si je l’abandonne à plus fort que moi. Mais si je la laissais à plus faible, ce serait une grande honte. »

 

Quand Bréhus entend ces paroles, il se met à sourire largement et répond tout en riant :

 

« Chevalier, “celui qui veut tout, perd tout”. Je vis cette phrase se réaliser pour un homme plus riche que vous. Le roi Marc de Cornouaille qui ne voulait voir auprès de son épouse aucune compagnie, a perdu, ce me semble, honneur, épouse et terre. Et en plus de tout ce déshonneur, il est emprisonné comme je le crois. Gardez-vous bien d’arriver à une fin semblable pour votre chasse au cours de laquelle vous n’admettez aucune compagnie. »

 

En entendant cette nouvelle, Palamède est stupéfait car il ne savait encore rien du roi Marc et de monseigneur Tristan.

 

« Comment ! dit Palamède. Le roi Marc est-il donc en prison ?
— Oui, répond Bréhus, il a perdu ma dame Iseult. Messire Tristan la possède à présent. Et je crois qu’il est au royaume de Logre avec elle. Comment se fait-il que tu ne saches pas ces nouvelles ? Es-tu un chevalier errant ? Tu cherches bien mal les nouvelles de ce monde, à mon avis, quand tu ignores celles-là.
— Certes, fait Palamède, vous m’avez plongé dans une lutte dont jamais je ne sortirai avant de savoir où ils séjournent. Il est nécessaire que je voie, si c’est possible, la fleur et la beauté du monde, celle qui surpasse en splendeur toutes les dames vivantes. Désormais, je vous laisse la quête de la bête glapissante car j’entreprendrai une autre tâche. »

 

 

 

Lai d’amour de Palamède à Iseult

 

 

 

Toutes mes pensées et mon plaisir
D’aimer me viennent nuit et jour.
Parfois me fait voir et divertit.
Où que j’aille, il me conduit.

 

Amour m’a saisi, Amour m’enlace.
Comme son serf, il me lie et me lace.
Il me semble que je l’embrasse
Quand je peux admirer sa face.

 

Amour me suit, Amour me conduit.
S’il ne me tient, j’entre en folie.
Je n’emprunte ni champ ni voie.
Que Dieu me donne bonheur et joie.

 

 

 

Générique

 

Musique originale : Nicolas Sarris et Nathalie Vinot
Enregistrement et mixage : Bao Falco
Réalisation et montage : Martin Delafosse (wave.audio)
Avec : Nathalie Vinot (narration et chant) et Nicolas Sarris (chant et piano)
Adaptation : Cécile Troussel
Réalisé avec le studio wave.audio
Série réalisée avec le soutien de la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et de l'État – Préfet de la région Occitanie

 

Tristan, tome 3, La Joyeuse Garde, est publié aux éditions Anacharsis. Traduction du moyen français par Isabelle Degage depuis le manuscrit 2537 daté du XVe siècle et conservé à la bibliothèque de Vienne.

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