Enregistrements d'Epaminondas Remoundakis

Maurice Born a enregistré sur des cassettes le récit d'Epaminondas Remoundakis. En voici deux extraits.

Série d'interviews d'Epaminondas Remoundkis par Maurice Born, Agia Varvara, Athènes, 1971, 1972, 1973.

Extrait 1 – durée 52 sec.

Remoundakis, malade de la lèpre, interné d’abord à Agia Varvara (Athènes), puis à Spinalonga, durant 21 ans.

Enfant, aussitôt que quelqu’un est pris par le mal, […] il devient grave, sévère. Il change, son caractère se transforme. C’est cela qui t’arrive aussitôt. Dès que tu es atteint de la maladie, tu cesses d’être un enfant. La vie, tu l’envisages avec sérieux et sagesse, d’une manière différente des enfants autour de toi, tu entres dans un autre ordre des choses et tu perds ton insouciance…

Extrait 2 – durée 6 min. 07 sec.

1942 - Sans penser que les sonneries de cloche étaient interdites par les Italiens, Remoundakis a fait retentir les cloches de l’église de l’île pour dire aux habitants de la région que quelque chose de grave se préparait...

 Je vois alors les Italiens (les soldats italiens) qui se préparaient à traverser en barque. Et ils avaient mis les baïonnettes au canon de leur fusil. Soudain, je comprends ce qui pouvait arriver. Le pope était à côté de moi, je lui dis : « Entre dans l’église et prépare les litanies à la Vierge. » C’était l’époque. Bon, le pope entre, tout le monde le suit et ils commencent à réciter la litanie. Il y a eu ce jour-là une prière comme rarement sur terre. Tout le monde était en pleurs, les gens paniquaient, car ils ignoraient quelle serait la réaction des Italiens après que nous avions sonné les cloches. Notre but véritable était d’expulser tous les gens sains de l’île, les gens de service, mais aussi les enfants sains. […] Nous voulions, devant le sort qui nous était fait, nous suicider plutôt que de mourir lentement de faim. La litanie terminée, tout le monde est descendu vers la jetée alors que les Italiens débarquaient. Nous leur avons dit que nous voulions vivre à nouveau le sacrifice du monastère d’Arcadie […] On leur a redit qu’on préférait une mort immédiate à la mort lente à laquelle les gens sains nous condamnaient.

Alors, le lieutenant des Italiens, qui parlait grec, nous a demandé d’attendre. Il allait emmener avec lui le pope, ils iraient à Neapoli [voir le commandement régional des forces d’occupation]. Ils nous a demandé de ne rien faire avant leur retour. Nous avons accepté et, effectivement, ils ont emmené le pope et sont revenus après deux jours. Ils avaient vu le despote et les autorités d’occupation pour exposer la situation. Le lendemain, le personnel est arrivé avec la barque service, puis les autorités, les Italiens. […] Le matin, avant leur arrivée, j’ai demandé à ma femme de me faire une boule de la bobota (pâté de farine de maïs que leur avaient précédemment distribué les Italiens) que j’ai mis dans ma poche.

Alors je me suis adressé aux autorités réunies : « Vous, Européens qui vous présentez comme les tenants de la civilisation, comment pouvez-vous nous laisser mourir lentement de faim ? En nous donnant pour seule nourriture ceci ! » En même temps, j’ai sorti la bobota – qui était remplie d’asticots – pour leur faire honte. Mais j’avais parlé en termes vrais, qui ont exprimé la réalité de notre situation. Tous les lépreux pleuraient et j’ai vu que les autorités étaient impressionnées. Le responsable a alors pris la parole et nous a dit : « Tranquillisez-vous, dans deux jours, nous vous apporterons des vivres pour emplir vos estomacs. »