8. Il faut que toutes les actions de l’homme soient conformes aux lois d’une morale universellement reçue

Dissertation 8, par Christian Friedrich Warmholz.

p. 154 172 et 175  les citations correctements référencées par rapport à la dissertation n° 8 ont été, par une erreur qui s'est repétée, attribuées à Édouard Lambert. Ces citations, comme elles l'indiquent par le numéro du mémoire (8), reviennent au pasteur Christian Friedrich Warmholz.
 

Reçu le 28 Prairial an XI.
Commissaires :
Le Bureau,
Garran,
Revellière Lepeaux
Dupont de Nemours, lu et distingué
Toulongeon, lu

 

P. 1 Il faut que toutes les actions de l’homme soient conformes aux lois d’une morale universellement reçue. Plus sa raison approche du point de lumières et de force auquel il lui est donné de parvenir, et plus il doit être rare de lui voir produire l’action la plus insignifiante lorsqu’elle n’est pas dans une parfaite harmonie avec la loi morale.

Les Nations les plus éclairées ne sont point encore parvenues à s’accorder entre elles sur la moralité des actions humaines sous tous les rapports.

Un petit nombre de sages est convaincu peut-être de principes fondamentaux, mais il s’en faut que le reste des hommes ait adopté leurs principes. La multitude, poussée par un sentiment aveugle ou frappée par des exemples qui la touchent de près, continue, à cet égard comme à tant d’autres, à marcher au milieu des ténèbres.

Les actions qui résultent de nos rapports avec les bêtes ou qui se rapportent immédiatement aux bêtes sont de ce nombre. Il en est qui méritent le nom de barbares, nom sinistre et de mauvais augure que toutes nos langues se sont accordées à leur donner. […].

En dirigeant sur cet objet qui intéresse l’humanité en général l’attention d’une nation, aujourd’hui la première de l’univers et celle de l’Europe entière, l’Institut National a bien mérité non seulement de la morale universelle mais encore, en particulier, de la morale publique. […].

P. 2/3 Sous ce point de vue, il me paraît nécessaire, avant que de prononcer sur la moralité de ces actions, de présenter tant à ceux qui étudient la nature animée, que surtout à ceux qui ont négligé de s’en instruire, un tableau ou plutôt un esquisse des maux que l’homme, maître et tyran de la création, fait endurer à ses esclaves.

Il importe d’établir avant tout la différence des rapports qui existent entre l’homme et les animaux en divisant ceux-ci en deux classes principales. Tandis qu’avec l’une de ces classes l’homme a comme une espèce de contrat social, il vit avec l’autre dans l’état de nature. Le contrat qui subsiste entre lui et les animaux domestiques porte en substance qu’il leur assurera la nourriture, l’entretien et le couvert à condition qu’ils servent à tous ses besoins. L’autre classe, celle des bêtes sauvages, ne jouit pas du même privilège, l’homme exerce sur elle le droit du plus fort. Il a cependant subdivisé cette classe : il distingue entre le gibier qu’il ménage et les bêtes féroces qu’il détruit.

Malgré l’espèce de contrat qui existe entre l’homme et les animaux domestiques, malgré les prérogatives reconnues dont ils doivent jouir, malgré les lois et les instructions politiques qui veillent à leur éducation et à leur conservation, ils n’en sont pas moins exposés à des actes arbitraires de barbarie de la part de leurs maitres.

Nous commençons par en accuser cette classe d’hommes en qui la raison naissante n’est encore qu’à son premier développement, en un mot l’enfance et la jeunesse.

Parcourons quelques scènes de la ville et de la campagne et nous verrons avec une sensibilité douloureuse, dans leurs jeux, les enfants abandonnés à eux-mêmes, exercer des actes de barbarie sur les animaux qui sont à leur disposition.

Soit une troupe guerrière qui se rassemble à grands cris dans la prairie ; elle est armée d’arcs et de flèches, de longues sarbacanes. Quel est l’ennemi qu’on attend ? Est-ce cette autre troupe qui avance ? Veut-elle disputer le terrain à la première ? Non ; je les vois se réunir en fidèles alliés. Quel est donc le but, l’utilité qu’on se propose ? […] La joie brille dans tous les yeux. Que vois-je ? Un moineau couvert d’un tendre duvet, une souris tremblante, une chauve-souris à ailes étendues, clouées contre un poteau, exhalent lentement leur vie ; tantôt une flèche leur abat une aile, tantôt une balle frappe leur tête, tantôt un clou pénètre dans leur poitrine, ou leur enlève une patte. Ces malheureuses créatures se débattent en vain, elles ne peuvent fuir ni mourir. A la fin un coup de grâce les délivre.

N’ayant pour armes que celles que la cruauté leur fournit, des pierres, des mottes de terre durcie, d’autres enfants les lancent contre une corneille fixée sur une muraille ou contre l’oiseau de la nuit, la malheureuse chouette, ou contre une taupe suspendue dans l’air. Les cris aigus du volatile atteint pénètrent jusqu’aux oreilles des passants, le cœur des enfants n’en est point touché. La taupe souffre et meurt en silence.

P. 7/8 Ni la fidélité du chien, ni sa vigilance, le mettent à couvert des mauvais traitements des enfants. Tantôt on les force à se battre ou contre des chiens qui leur sont supérieurs en force ou contre des animaux d’une autre espèce qui les punissent d’avoir osé les attaquer. Tantôt on les fait aller de gré ou de force à l’eau pour en rapporter des pierres, ou du bois etc… Tantôt les enfants s’en servent en guise de cheval pour les porter, pour trainer des petits chariots, tantôt de siège et de banc. Et s’il se refuse un moment à ces services, il est accablé de coups. Ce n’est pas tout : l’enfant, ingénieux dans sa cruauté, attache à la queue de son chien ou à telle autre partie sensible, des crampons, des charbons vifs, et se livre à des transports de joie en voyant le pauvre animal chassé par la douleur d’un coin vers un autre, sans oublier un instant – quel reproche pour un cœur sensible ! – que c’est leur maitre qui les fait souffrir.

Les animaux malfaisants, ceux que la nature a armé de dents, de griffes, d’aiguillons, de venin pour repousser l’insulte ne sont pas à couvert de celles de enfants. C’est précisément parce qu’on les appelle malfaisants et venimeux qu’on trouve une sorte de mérite à les tourmenter. Les enfants ont en horreur les crapauds, les serpents, les lézards, les fouines, les rats ; mais plus ils les craignent, plus lorsqu’ils peuvent s’en rendre maîtres sans danger, ils les traitent avec une cruauté insultante et comme voulant se venger sur eux de leur propre faiblesse. Une troupe d’enfants armés de bâtons, de pierres, de fourches attaquera bravement un crapaud tranquille, une fouine qui se cache, un serpent qui veut s’échapper, les relancera dans leur trous, les tourmentera à mort sans que personne ne plaigne, ne sauve l’animal, qui passe pour malfaisant parce que, dans sa marche sage autant que profonde, la nature lui a donné des qualités nuisibles à l’homme, ou que l’homme lui prête gratuitement une partie de ces qualités.

P. 8/9 Ce que nous venons de dire des cruautés commises par les enfants peut s’appliquer aux jeunes gens de quatorze à vingt ans et même à des hommes de trente, à l’exception peut-être de ces jeux de la faiblesse, qui répugnent au sentiment de la force dans l’adolescent. Quelques-unes des descriptions qu’on vient de lire sont applicables à des hommes d’un certain âge, surtout quand au lieu d’une ou de deux victimes que l’enfant immole à sa barbarie, ils peuvent exercer la leur sur autant de douzaines.

Dans la plupart des pays, la chasse est un plaisir interdit à la multitude ; à défaut du gibier réservé à la classe privilégiée, il ne reste au peuple, accoutumé dès son enfance à tourmenter les bêtes, qu’à chercher ses victimes parmi les animaux domestiques, ou parmi ceux des forêts où la poursuite est permise à quiconque ose braver le danger.

Les bêtes féroces, celles qui ne sont pas comprises dans la catégorie du gibier qui sert d’ordinaire au plaisir de la chasse, ont beaucoup diminué en Europe, il est des contrées où elles sont extirpées ou du moins extrêmement rares. Peu d’habitants des villes ou des campagnes peuvent se vanter d’en avoir vues ; d’ailleurs, il y a tant de danger à les relancer et à les poursuivre, qu’on ne s’y résout guère que forcément et en masse par nécessité et nullement par plaisir. On payerait cher celui de pousser à bout un renard, un loup, ou telle autre bête carnassière, si l’on se proposait de lui faire souffrir les horreurs d’une mort lente, sans être assuré auparavant qu’elle est hors d’état de nuire.

A l’exception du gibier que le cultivateur, le jardinier, assomme quelques fois en secret dans son champ ou dans son potager pour se venger des dégâts qu’il a causés, et que pour cette raison il tourme quelque fois trop longtemps, on ne peut guère accuser la multitude de barbarie envers les bêtes sauvages.

Mais ne s’en rend-elle pas coupable envers les animaux domestiques qui l’environnent, qui sont sa propriété, ou celle de ses voisins ? Lors même que ce n’est pas le plaisir cruel de voir, de faire souffrir ces animaux, n’est-ce pas une malheureuse habitude que la plupart des hommes ont contractée de traiter ce qui est à eux, depuis leur chien, leur chat, jusqu’à leur cheval, de manière à mériter le reproche de barbarie.

P. 10/11 Suivons sur la route l’animal qui veille pour la maison. Exclu non seulement du corps de logis, mais des écuries, des étables, le chien de garde passe les nuits d’hiver et d’été dans la cour exposé à l’inclémence, à l’intempérie de l’air et des saisons, couché sur la dure, heureux lorsqu’il peut coucher sur le fumier. Percé jusqu’aux os de neige et de pluie, transi de froid, il se glisse le matin dans l’écurie, dans la maison ; et on ne l’y souffre pas toujours. Cela ne s’appelle-t-il pas dans un commun adage, qu’on ne saurait citer sans faire un cruel reproche à l’humanité, mener une vie de chien[1] ?

Il paraît au premier coup d’œil que les autres animaux domestiques sont moins exposés aux mauvais traitements de leurs maîtres à cause du préjudice même qui peut en résulter pour ceux-ci. Occupons-nous de cette classe d’hommes particulièrement chargés du soin des animaux domestiques et nous y trouverons des exemples nombreux de barbarie.

Le cultivateur ne nous en fournit-il pas dans la manière dont il traite son bœuf, son cheval de labourage ? L’un refuse à ses chevaux la portion de nourriture nécessaire pour restaurer les forces ; celle que l’autre présente aux siens est mauvaise et malsaine. L’un réduit les bœufs à chercher péniblement dans une mauvaise prairie une pâture ingrate ; l’autre oublie de les abreuver, on ou n’offre à leur soif que de l’eau stagnante et corrompue. Et cependant de ces animaux exténués de faim et de fatigue, on exige un travail soutenu : ils traîneront la charrue sur un terrain dur et pierreux, des charges pesantes dans un chemin marécageux, dégradé ; ils avancent sur les montagnes comme dans la plaine ; ils arrêteront seuls les charriots à la descente pour épargner à leur maître la peine d’enrayer. Souvent les forces de l’animal le plus robuste sont insuffisantes ; que sera-ce de celles de l’animal épuisé ? Est-ce au conducteur de s’en débarrasser ? Des coups de fouet, d’éperons […] de pierres lancées contre les flancs de ses bêtes de trait ; voilà ce qui, selon lui, leur donnera des forces qu’elles ne devront jamais qu’à une nourriture abondante et saine. […].

P. 11 - Les rouliers, ainsi que les laboureurs, traitent les chevaux avec la plus grande tyrannie. Sans avoir égard à la mauvaise saison qui va succéder, aux chemins qui se <…>, il arrange un voyage d’hiver comme un voyage d’été, il multiplie, il excède la charge. Le cheval le plus robuste succombe à la fin sous le faix. Rendu de fatigue, un jour de repos lui suffirait pour se remettre, mais quoi ? Un jour de repos ?... Ce n’est pas là le compte du roulier. Il met son fouet en campagne ; il faut bien que l’animal marche et que le reste de ses forces s’épuisent.

[…] Combien de de chevaux à cause de la main de leur impitoyable maître, perdent leur santé, s’exproprient, suivent tristement et couverts de plaies la voiture chargée, pouvant à peine se tenir eux-mêmes. […]

P. 12 C’est surtout en temps de guerre que nos bêtes de somme sont exposées aux plus cruels traitements. Là où, confiées à des goujats, à des mercenaires sans aveu, elles n’appartiennent au fond à personne ; là où des officiers eux-mêmes croient n’avoir aucun intérêt à les conserver ; là où c’est au souverain à remplacer l’animal qui périt, là où il n’y a qu’enlever au paysan son cheval pour le charger du bagage militaire, là où l’homme sensible trouve un motif suffisant pour maudire les guerres lors même qu’il n’en aurait pas mille autres pour détester les filles des furies.

Suivez la marche d’une armée, suivez la file des chariots et des chevaux, calculez les fatigues, les souffrances de ces derniers. Point de repos, point de fourrage, souvent des marches forcées. Ce que les coups de fouet ne font pas avancer, reste en arrière, périt abandonné. Ce n’est pas l’ennemi, ce sont leurs conducteurs qui ont mis ces malheureuses victimes dans cet état déplorable, qui après les avoir blessées, mutilées, croient s’acquitter envers elles en les délaissant. Quelle barbarie, suite inévitable de la guerre, qui en réunit tous les germes et de toutes les espèces ! […].

P. 13/14 Passons à cette classe d’animaux dont les travaux ne nous sont pas utiles mais qui durant leur vie et après leur mort contribuent à nous nourrir, à nous vêtir.

Si la condition des bêtes à laine et à corne est en général préférable à celle des bêtes à somme, parce que l’homme ne les astreint à aucun genre de travail, elle est la même à bien des égards, puisqu’elles partagent avec ces dernières la nourriture malsaine et gâté, les habitations sombres, humides, infectes et délabrées, le manque d’eau pure et abondante, les négligences et les mauvais traitements de ceux qui sont chargés de les nourrir et de les soigner.

En été, même au nord de l’Europe, les troupeaux passent la plus grande partie du jour dans les champs, sous les yeux d’un conducteur grossier. Dès qu’il arrive à l’animal qui cherche la nourriture de s’écarter des autres, de s’approcher d’un champ ensemencé, le conducteur est coupable pour n’avoir pas prévenu la faute, mais il la punit sur l’innocente victime. Les chiens s’élancent sur elle, la ramènent à coups de dents, foulent aux pieds la pauvre brebis, l’ébranlent à demi morte. […].

P. 14/15/16 Je passe à une nouvelle espèce de barbarie, à ces bestiaux qu’on engraisse au lieu où on les enferme. Bœufs, cochons, oies, canards, poulets, comprimés dans d’étroites prisons, sans pouvoir changer d’attitude, sans que jamais l’air y pénètre, de peur que son courant n’emporte quelque particule de graisse, sont condamnés à vivre pour manger, souvent forcés à avaler malgré eux la nourriture dont on les bourre. Quelles dégoûtantes prisons que ces étables à porcs gras, que ces auges où l’on engraisse ces oies. Et quelle barbarie de les y tenir internés ! Ou même […] et tuer le bétail gras. Et comment les transporte-t-on ? On les chasse devant soi, on les entraîne à la corde, on les jette sur un chariot, sur une brouette, on les suspend au cou du cheval ou de l’homme, on les étrangle à moitié en chemin.

De cette manière, dit le boucher, l’animal ne perd rien de la graisse ni de la chair, quelle barbarie froide et raisonnée ! Dans les grandes routes, on rencontre des troupeaux entiers de bêtes qu’on mène à la tuerie et qui, longtemps renfermées ou accoutumées tout au plus à des traites d’une heure, sont forcées tout d’un coup, à des journées de marche. Ici c’est une troupe de dindons conduite à coup de fouet dont on les frappe sans les […] ; là une longue file de porcs, attachés les uns aux autres, dont les plus robustes entraînent les faibles derrière eux ; là, une charrette chargée d’oies dont les ailes fortement liées ne pourraient plus leur servir quand on les remettrait en liberté. Là, toute une charrette de veaux garrottés, couchés les uns sur les autres, les têtes pendantes, les yeux et les narines gonflés de sang. Ici un jeune garçon porte sur chaque épaule plusieurs poules suspendues par les pieds. Les longs aboiements d’un chien de boucher annoncent une scène nouvelle. Deux jeunes veaux qui comptent à peine quinze jours suivis du bourreau qui vient de les acheter s’affaissent sous leur propre poids. Les morsures du chien leur prêtent un […] de forces ; ils avancent de quelques pas pour retomber et succomber à nouveau.

Enfin, ils ont atteint la ville, le marché, la tuerie. Sous la main du boucher habile, ils sont bientôt parvenus au terme de leurs souffrances ; mais souvent ils servent s’exercice à l’apprenti novice et maladroit ; de thème au maitre qui l’instruit ; les douleurs alors se prolongent et les minutes se changent en heures.

La condition des bestiaux qui servent aux besoins des armées est encore plus déplorable.

P. 16/17 Souvent pour que le bétail de réserve ne tombe pas vivant au pouvoir de l’ennemi dans une retraite, on lui coupe les jarrets, on lui fend la tête, on lui fracasse l’épine dorsale, on lui ouvre les veines. Quiconque n’a pas été témoin de cette boucherie entendra avec horreur nos guerriers lui en faire le détail.

Nous terminons ici le tableau des cruautés que les basses classes exercent sur les animaux domestiques, pour passer à celles dont les classes supérieures se rendent coupables.

Les classes moyennes et supérieures du monde civilisé, ayant en général des rapports plus éloignés avec les animaux que les basses classes, il paraît qu’elles sont moins exposées à transgresser à leur égard les lois de la moralité.

Cependant, c’est précisément dans ces classes que se trouvent compris tous ceux qui ont le privilège de la chasse. Dans tous les pays de l’Europe, c’est à la noblesse et à ceux qui l’ont remplacée, qu’il est réservé d’exercer en personne ou à travers des représentants, qu’ils appellent des chasseurs, ce droit exclusif. Or, c’est en l’exerçant que se commettent, sinon de la part de tous, au moins du plus grand nombre, une quantité de cruautés ; car peut-on faire passer pour non barbare trouver du plaisir à faire mourir un animal ?

On aime la chasse ou du moins on prétend l’aimer à cause de l’exercice bienfaisant qu’elle fournit au corps, à cause de l’air pur qu’on respire, à cause du but déterminé qu’elle offre à nos courses champêtres, à cause du supplément important qu’elle fournit à nos tables et parce qu’en même temps elle délivre l’habitant des campagnes de l’ennemi né de ses champs et de ses jardins. Mais qu’on nous permette de peser avec soin, sinon les raisons, du moins la conduite de la plupart de ceux qui les allèguent et nous trouverons que ce n’est pas tant le but raisonnable que le plaisir qu’on trouve à tuer le gibier qui en inspire la passion. On rencontre des chasseurs qui le prouvent en tuant un animal quelconque, un oiseau, une bête domestique, un chien, un chat, plutôt que de revenir à vide. La chasse, qui sous les points de vue de fournir son […] de gibier et de détruire les animaux malfaisants est un acte naturel et légitime, se change en barbarie dès qu’elle dégénère en passion.

P. 17 Les chasseurs, les forestiers, les garde-forêts ont rassemblé une grande quantité de gibier ; le voilà réuni sur un seul point : une multitude de paysans a reçu l’ordre de le garder : tous les amateurs de la chasse sont invités, on entend le hennissement des chevaux, les aboiements des meutes, le son du cor. La chasse commence. Le même cerf est forcé toute une demi-journée, est-il rendu, on lui en substitue un autre. Le chasseur qui le poursuit monte d’heure en heure un cheval frais pour le serrer de plus près, pour pouvoir l’atteindre de son fouet. L’animal infortuné semble avoir des ailes. Il ne court pas, il vole ; mais hélas, les chiens l’ont atteint et environné ; les forces l’abandonnent, son corps est inondé de sueur, la bouche blanchit d’écume, le sang distille de ses narines, les yeux lui sortent de la tête, il la relève pour respirer un moment, des larmes de sang tremblent dans ses paupières : les chiens déchirent ses flancs et le chasseur est satisfait.

Substituons au cerf majestueux l’intéressant chevreuil et nous verrons se renouveler la même scène d’horreur.

Et telles sont les délices de la chasse, de ce divertissement auquel on a osé donner le nom de noble !

Le nom de chasse générale, de chasse à courre ou, comme on l’appelle en Allemagne, de chasse forcée est devenu trop fameux. C’est elle qui nous a fourni les traits du tableau que nous venons d’esquisser. Quelle satisfaction de pouvoir se dire que ces chasses n’existent plus que dans des récits, j’ajoute dans les regrets des vieux chasseurs ; qu’aujourd’hui les princes de l’Europe, les grands propriétaires ont généralement renoncé à ce plaisir barbare, qui les rendait non seulement les bourreaux des cerfs et des chevreuils qu’ils courent mais aussi des chiens, des chevaux et même des hommes qu’ils employaient. Un petit nombre d’exceptions trouble cette satisfaction ; des petits chefs d’Etats faibles, de petits grands, trouvent encore plaisir à forcer les cerfs, à tourmenter le chien et le cheval. Pourquoi faut-il le reprocher à deux ou trois princes d’Allemagne, d’ailleurs si dignes de la vénération publique ? […]

La chasse à l’ours, au loup, au renard, au lynx, au blaireau, était autrefois et, dans les pays où ces animaux son indigènes, continue à être un plaisir d’autant plus que les regardant comme des bêtes féroces, dangereuses et nuisibles à l’homme et au chasseur, on se croit particulièrement autorisé à les tourmenter, lorsqu’après s’en être rendu maître, on n’a plus à les craindre.

P. 22 Parmi les classes supérieures qui se rendent coupables de barbarie à l’égard des chevaux, il en est une qui s’est toujours particulièrement distinguée ; c’est celle qui n’étant pas assez riche pour entretenir une monture et trop fière ou trop commode pour aller à pieds [sic].

Le cheval qu’on monte n’est pas notre propriété, quel motif pour ne le ménager qu’autant que nous en sommes responsables. Peu nous importe qu’il crève, pourvu que ce ne soit pas dans l’intervalle où l’on peut nous condamner à le payer, pourvu que nous l’ayons ramené vivant à son maître. Le même animal qui vient de servir aujourd’hui à l’un, demain à l’autre, et que l’âge et les fatigues ont affaibli, lorsqu’il se refuse à la fin aux volontés de son tyran, en éprouve toutes les rigueurs. Le plus léger accident qui lui arrive devient une faute impardonnable, que l’éperon, le fouet et les mors peuvent seuls expier. Ignore-t-il donc le stupide animal à quel prix il vient d’être loué ? Ignore-t-il l’occupation importante et pressée qui attend au lieu de sa destination celui qui le monte ?

N’est donc rien à ses yeux que d’aller au village ? Au cabaret voisin ? De montrer son adresse à manier un cheval avec dextérité ? On a raison surtout en Allemagne d’accuser les étudiants, les officiers de se livrer avec fureur à ces pratiques barbares, mais qu’on s’épargne du moins la peine de leur en faire des reproches et de s’entendre dire : « Bah ! La vieille […] n’en crèvera pas plutôt pour cela ! ».

Il s’est introduit dans la société, des jeux auxquels toutes les classes qui la composent, prennent part, en s’accordant, sinon à tourmenter les bêtes […] à cette intention, du moins à prendre plaisir aux souffrances qu’on leur fait endurer, à exprimer ce plaisir par de longs applaudissements. Cette approbation, ce plaisir ne prouvent-ils pas qu’avec raison on remplacerait sans scrupule les bourreaux de ces bêtes ?

P. 23 A la tête de ces spectacles barbares, nous plaçons avec raison les combats de taureaux en Espagne. On ne voit pas que le courage et la bravoure des habitants de ce beau royaume qui porte les chaînes de la bigoterie et de la superstition, aient gagné à ces exercices. Au plus quelques hommes audacieux qui se sont soumis dans cette école aux dépens d’une foule d’animaux nobles et utiles, mais en sont devenus les victimes. Lors du double mariage des princes et des princesses d’Espagne et de Naples, à Barcelone, ces combats de taureaux, s’il faut en croire les papiers publiés, furent l’une des principales réjouissances. Quel contraste révoltant entre les animaux égorgés et la douceur de l’hymen ! Les Espagnols on fait passer leur exercice favori dans la Nouvelle Espagne, au Mexique, au Pérou, au Chili. Senierques, le compagnon de voyage de La Condamine fut assassiné à Cuenca, à l’occasion d’un de ces combats.

Sera-t-on surpris de vois les mêmes combats passer au Portugal et y être naturalisé par les voisins des Espagnols ?

P. 24/25/26 Les courses de chevaux, en Angleterre et en Italie, différent considérablement. Tandis que les premières, sans être exemptées de cruautés, sont plutôt l’effet de la fureur naturelle des Anglais pour les gayeures [sic] et de l’intérêt qu’ils mettent à ennoblir et à perfectionner la race de leurs chevaux, celles qui ont lieu en Italie ne peuvent leur être comparées puisque l’invention barbare[2] qui prend la place du léger jockey[3] est pour le cheval sans conducteur un instrument de supplice bien plus cruel que le fouet et l’éperon.

Il est plus difficile de décider entre l’Italie et l’Angleterre lorsqu’il s’agit d’examiner le degré de barbarie qui règne dans leurs combats de taureaux. Des observateurs éclairés et impartiaux ont trouvé dans les hautes classes comme dans les basses de l’île et de la presqu’île, la même fureur, le même acharnement à jouir de ce spectacle où le fier dogue ou l’audacieux chien corse s’attache à son redoutable adversaire.

On peut comparer avec ce combat ceux qu’à Vienne, on livre aux bêtes féroces. En 1791, on y donna ce divertissement aux grands et au public, puisque c’est de là que date la fameuse anecdote du lion Isaac et du chien de chasse[4]. Les combats de bêtes auxquels l’ancienne Rome condamnait les esclaves coupables et, dans la suite, les chrétiens, ces combats ont donc été renouvelés dans une forme différente dans la capitale des successeurs des empereurs romains ? L’Allemagne a si peu suivi cet exemple cruel qu’à peine à Ratisbonne dans le voisinage de Vienne, il a été imité[5].

Le lion quitte à regret sa couche chaude. Il avance d’un pas lent, s’étend, se couche. Quatre gros dogues se précipitent sur lui, trois d’entre eux, en approchant l’énorme bête, reculent à sa seule vue et prennent la fuite. Le quatrième ose l’attaquer, mais le lion d’un seul coup de patte, sans daigner se lever, l’abat et le prive de tout sentiment. Il l’attire à lui et se couche sur lui avec ses pattes de devant, de sorte qu’on ne voit du chien qu’une des cuisses. Tout le monde croyait le chien mort ; on attendait que le lion se levât quand, tout à coup, le chien commence à remuer la queue et à se mouvoir. La surprise des spectateurs se change en allégresse lorsqu’on voit le chien se remettre en liberté et chercher à se sauver. A peine a-t-il franchi la moitié de l’arène, que sa fuite réveille l’instinct du lion. Il s’élance, en deux sauts il a rejoint le chien qui hurlait en sautant devant l’entrée, afin qu’on la lui ouvrît. La fuite du chien avait provoqué le courroux du roi des forêts, ses gémissements et ses cris excitent sa pitié ! L’animal magnanime recule quelques pas et attend tranquillement qu’on ouvre l’entrée au prisonnier. Le trait incroyable de générosité, qui rend croyable ce que l’antiquité rapporte de celles des lions, agit puissamment sur la sensibilité de ceux qui l’instant d’avant avaient applaudi à la fureur sanguinaire d’un ours. De toutes les loges, de tous les côtés du théâtre, on en entendit retentir les bravo et le généreux Isaac devint le favori du beau monde ».

A Paris, les combats de bêtes venaient immédiatement à la suite des farces d’Audinot et de Nicolet et servaient de recréation à ceux qui étaient aussi riches en loisirs que pauvres en occupations.

P. 29 […] Pour réveiller s’il est possible la voix du sentiment, afin qu’ici comme partout où il s’agit des actions de l’homme, elle puisse agir sur la volonté, la morale a besoin de développer les motifs qui placent nos devoirs envers les animaux dans la classe de ceux que nous admettons généralement comme évidents et irrésistibles. Pour lever les doutes et repousser les objections et la résistance des idiots et des méchants, si difficiles à vaincre et à persuader, il faut que l’Etat se prononce clairement et avec précision sur l’existence de ces devoirs ; il faut des lois qui, avertissant sérieusement de ne pas les négliger, dénoncent des châtiments positifs à ceux qui les transgressent.

Nous ne pouvons parvenir à notre but qu’après avoir préalablement examiné dans quel rapport se trouvent en général avec la morale, les actions barbares que nous venons de rapporter. Quoique on ait beaucoup écrit sur cette matière, quoiqu’on ait dit là-dessus d’excellentes choses, auxquelles il suffirait peut-être de renvoyer mes lecteurs, nous ne les croyons néanmoins pas assez concluantes pour servir de base à nos raisonnements[6]. On nous permettra, en conséquence, d’apprécier plus au juste ces cruautés envers les bêtes que nous venons de rapporter et qu’on est généralement d’accord d’appeler des actes de barbarie. De cette appréciation même naîtra la notion exacte qui fait l’objet de notre recherche.

P. 31

Il a accordé à l’homme faible et borné les mêmes droits qu’à soi, même droit de personnalité, de conservation, de propriété, de jouissance. Il ne s’est cru autorisé à les refuser qu’à ceux qui empiétaient sur les siens ; il a cru devoir réprimer la liberté et les droits de ceux qui portaient atteinte aux siens. La justice a toujours pris le parti de l’opprimé contre l’oppresseur. Veillant à sa propriété, elle a dû également veiller à celles des autres.

Sous ce point de vue les animaux, ces êtres éternellement privés du bienfait de la raison et de la parole, ont besoin d’un avocat, d’un patron, dès qu’ils ont des droits à réclamer dont on leur conteste l’usage et la jouissance.
Où se trouve le sentiment, se trouvent aussi l’horreur et l’appétit. L’appétit et l’horreur s’exercent sur des objets qui, en rapport avec l’être sensible, produisent en lui le bien ou le mal. Le mal le menace de la destruction de son être. Le bien lui en promet la conservation et le perfectionnement. C’est la nature qui, en dotant de sentiments tous les êtres vivants, en plaçant autour d’eux les objets de leur horreur et de leur appétit, a déterminé les besoins des êtres sensibles.

Au milieu des êtres sensibles que nous connaissons, la nature a placé l’homme et lui a tracé le cercle de ses besoins, par les qualités dont elle a doté son âme, le premier siège de toute sensation.

C’est de l’usage qu’on fait de ces besoins que dépendent la conservation et la vie de tous les êtres sensibles.

P. 32 La nature réservait à l’homme un nouveau privilège. Il se distingua bientôt de la bête, en substituant à l’instinct aveugle, des motifs de son choix, qu’il sut opposer souvent à ce même instinct qui parlait en lui. Il se sentit susceptible de perfectionnement. La nature qui l’avait doué de cette prérogative voulait sans doute aussi qu’il en fit l’usage pour s’élever d’un degré de perfection à l’autre, elle voulait qu’il se procurât toutes les choses nécessaires pour y parvenir. L’homme se vit donc obligé de faire face à deux espèces de besoins, à ceux de sa conservation et à ceux de son perfectionnement. Les animaux continuèrent à ne connaître que les premiers[7].

Si l’homme, avançant dans la perfection, opposant un but de son choix à la seule voix de l’instinct, a dû former des notions d’entendement et les communiquer à ceux qui participaient à sa nature, il le fit entendre à ses semblables et convint avec eux d’appeler leurs droits, les moyens que la nature leur assignait à tous de pourvoir à leurs besoins et de les changer en jouissances.

Si l’homme appelle droits ces moyens qui lui servent, il doit appeler du même nom ceux que la nature fait servir aux besoins des animaux et à leur jouissance.

P. 32/33/34 L’homme est donc appelé, comme il l’est relativement aux enfants en bas-âge et mineurs, à proclamer les droits des animaux, à respecter ces droits, à les maintenir et à les défendre. L’homme est le tuteur né de la création, privée de la raison et du don de la parole. Nous osons, nous devons le dire, sans vider les règles de la langue, que l’animal a le droit de conserver sa vie et d’exercer tous les actes nécessaires à cette conservation. En conséquence de la volonté et des lois de la nature, l’animal a le droit de propager et d’exercer tous les actes qui tendent à ce but.

Certaines espèces d’animaux, comme par exemple le lion et l’aigle, le tigre et le vautour, le renard et le corbeau, l’hirondelle et la chauve-souris, le hay (?) [sic] et le brochet, le crocodile, la grenouille et le lézard ne peuvent vivre qu’aux dépens de la vie d’autres espèces. Or, si ces animaux ont le droit de conserver leur vie, et que la nature les a organisés de manière à ne pouvoir vivre sans se nourrir de chair d’autres animaux, et leur a par conséquent assigné le droit de les tuer et de les manger [sic].

En accordant à certains animaux des armes destructives, la nature a déclaré qu’elle leur permettait d’en faire servir d’autres à leur conservation. Ce n’est pas un attentat contre elle, un renversement de ses lois, c’est un ordre établi par elle-même, d’après lequel la mort d’un animal devient un principe de vie pour un autre.

En tant que l’homme est un être sensible, un animal en un mot, placé par la nature sur ce globe, au milieu des autres animaux, il a communauté de droits avec eux. Il a celui d’exercer tout acte qui tend à la conservation de son être, celui d’exercer tout acte qui tend à la propagation de son espèce. En tant que la nature l’a doué de la faculté de se perfectionner, de s’élever au rang de tuteur et de maître des animaux, elle lui a accordé le droit d’exercer tout acte qui contribue à développer en lui ces dispositions.

La vie de l’homme est souvent attaquée, molestée, mise en danger par d’autres animaux, il a en conséquence le droit de s’opposer à leurs insultes, et celui de les tuer, s’il ne lui reste pas d’autres moyens de rendre sa vie plus commode et de la mettre en sûreté.

La nature a refusé à l’homme ce vêtement naturel qu’elle accorde aux autres animaux. Dans plusieurs climats où elle l’appelle à vivre, le vêtement est devenu pour lui un besoin indispensable. L’homme suivit la loi de l’épargne, dictée par la nature, en s’appropriant la peau de l’animal qu’il venait de tuer pour avoir menacé ses jours ; elle lui servit à se défendre des injures de l’air. L’homme acquit le droit de tuer l’animal pour faire servir sa dépouille à son vêtement et conserver sa vie. L’espoir de l’emporter en forces sur tel animal qu’il avait besoin de dépouiller pour couvrir sa propre nudité lui inspira le courage d’exercer son droit. Lors même qu’il succombait dans le combat, il avait cherché à conserver sa vie aussi longtemps qu’il lui avait été possible. Ce n’est qu’en avançant dans la perfection que l’homme a trouvé que le monde végétal lui offrait des productions dont le tissu varié pouvait le mettre à couvert des rigueurs de la saison.

La nature a organisé le corps de manière à le rendre propre à se nourrir de chair en même temps qu’elle lui donna l’aptitude de se nourrir de végétaux. La nature a transplanté l’homme dans des climats où la végétation ne lui offre aucune espèce de nourriture. Ce double arrangement exprime une loi de la nature, loi par laquelle l’homme est autorisé à tuer les animaux pour se nourrir de leur chair. Il suit une autre loi de la nature, celle de l’épargne, en tuant l’animal qui moleste et attaque sa vie, en se couvrant de sa dépouille, en se nourrissant de sa chair, il a le droit pour atteindre l’un de ces buts de tuer les animaux.

L’homme parvient de la manière la plus prompte et la plus sûre à son perfectionnement en prenant à son service les animaux qui l’environnent, en les chargeant de travaux, de fonctions, qui, s’il voulait les exercer en personne, l’arrêteraient dans la marche que la nature lui trace, dans la perfection à laquelle il doit tendre sans partage. Il y parvient en se servant du lait, de la toison, et du poil des animaux, en les tuant non seulement pour mettre sa sûreté et sa vie à couvert, pour faire servir leurs dépouilles à son vêtement, leur chair à sa nourriture, mais encore pour tirer parti de plusieurs autres parties de leur corps, ou pour les faire servir, vivants et morts, à des recherches anatomiques et physiques, qui étendent la sphère de sa connaissance.

Tels sont les principaux articles sur lesquels se fondent les droits de l’homme par rapport à l’usage qu’il peut faire des animaux.

Chaque fois qu’il tue un animal sans être mû par une de ces raisons, il empiète sur les droits des animaux, il commet une injustice, un meurtre, dans toute la force du terme. Chaque fois qu’il impose à l’animal un travail, un fardeau qu’il lui fait éprouver une douleur qui ne sont point en liaison directe avec les points susmentionnés, il néglige ce qu’il doit aux animaux, il commet un acte d’injustice, de cruauté ; dans les deux cas, il se rend coupable de barbarie.

Nous voilà parvenus à l’idée distincte qu’il faut attacher à ce qu’on appelle le traitement barbare des animaux.

P. 35 Pour offrir l’image d’un être moralement bon, l’homme ne doit se contenter d’être, quoique la justice soit le fond du tableau ; il doit joindre à cette vertu celle de la bonté ! La bonté ne s’informe pas du droit qu’on a des prétentions sur elle ; elle ne mesure pas scrupuleusement ses propres droits. Elle y renonce quelques fois volontairement, elle cède de ses jouissances pour augmenter celles des autres, sans pourtant s’exposer par là au mal-être et à la misère. Tant que cette vertu repose encore dans notre âme, tant qu’elle n’existe que dans nos dispositions et dans nos vœux, on l’appelle bonté, bienveillance désintéressée. Se manifeste-t-elle dans nos actions, surtout en cédant nos biens pour augmenter le bien-être d’autrui, elle porte le nom de libéralité.

P. 38/39 Nous n’attribuons pas aux animaux d’actions libres. Si ces êtres qui suivent le plan de la nature n’agissent point librement et ne peuvent en conséquence avec ni l’intention de nuire à notre bien-être ni celle de l’accroître, l’accroissent cependant de manière ou d’autre, c’est proprement à la nature, qui en les créant ainsi a prouvé son intention de contribuer à notre bien-être, que nous devons témoigner notre reconnaissance. Mais cette nature qui nous environne de tous les côtés est invisible ; comment peut-elle donc recevoir les signes, les expressions de notre reconnaissance, comment pouvons-nous les lui faire parvenir ? Elle est visible dans les animaux, elle a désigné ceux-ci comme dépositaires, entrepôts des émanations, des effets de la reconnaissance que nous lui devons. C’est sous ce point de vue que la reconnaissance nous presse et nous sollicite, et qu’une voix interne nous dit : « Paye aux animaux ce que tu dois à la nature ; fais leur du bien, augmente leur bien-être, diminue leur misère, oppose-toi à tous les tourments, à toutes les douleurs dont une âme ingrate voudrait les accabler ; sauve-les d’une mort inutile ».

P. 39/40 Mais voudrions nous déclarer les animaux absolument dénués de volonté, parce que nous ne pouvons leur attribuer un sentiment distinct de ce qu’ils sont ? Voulons-nous faire passer pour simple instinct, pour mécanisme <…> animal ce que nous voyons si souvent en eux avec admiration, ce que nous prendrions dans l’homme pour le résultat de la raison développée ?

Quand nous les voyons garder notre fortune avec une vigilance et une fidélité que nous <…> rares même dans les hommes les plus honnêtes, témoigner à notre arrivée une joie que nous ne découvrons que dans nos amis, travailler pour nous et retourner au travail avec un zèle que nous ne voyons que dans nos serviteurs les plus affidés, nous avertir du danger et nous en retirer aux dépens de leur vie, ce qu’à peine feraient les hommes les plus généreux et les plus braves ; partager nos douleurs et refuser de prendre des aliments quand ils nous voient souffrir, ce qui ne se trouve chez les hommes que dans les relations les plus tendres du sang et de l’amitié, enfin se coucher et mourir sur notre tombe semblables aux seules victimes de l’amour conjugal : pouvons-nous nous empêcher de voir dans tout ceci l’expression et l’acte de la volonté ?

Il y a tant d’histories touchantes que l’antiquité et les temps modernes rapportent de chiens, de chats, de chameaux, d’éléphants, de singes, de lions* etc… : que ce soit se rendre coupable d’une espèce de crime que de refuser aux animaux la volonté de rendre service à l’homme. Les récits de la fidélité, de l’attachement des bêtes et de leurs bienfaits envers les hommes sont en trop grand nombre, les témoins, les garants qui les rapportent se distinguent trop par leurs lumières, par leur impartialité, pour qu’on puisse traiter ces récits de fables. Pourrons-nous mettre un seul instant en question si nous devons de la reconnaissance à des êtres si portés à nous rendre heureux ?

P. 41 La barbarie des hommes sur les animaux intéresse la morale en tant qu’elle est une des causes principales de la détérioration du caractère moral de l’individu aussi bien que du genre humain. La barbarie, la cruauté exercée sur les bêtes rend bientôt l’homme barbare et cruel envers ces semblables. Cette disposition haineuse qui se glisse dans le cœur de l’homme par tant de sentiers détournés, y entre tout en grand si on lui ouvre cette porte. La cruauté de l’homme envers son semblable est le complément ou l’excès du mépris insultant de tous les droits que notre semblable réclame, de tous les devoirs qui nous lient à lui ; elle est la mère de tous les crimes et de tous les vices par lesquels les hommes se combattent et s’entredétruisent.

La cruauté ne trouve point à se satisfaire dans le pillage des fortune comme la fraude, la cupidité l’intérêt, ni dans la séduction et l’adultère, comme la volupté, ni dans le renversement de l’édifice extérieur de notre félicité, comme l’envie et la vengeance ; elle se fait précéder par tous ces démons de l’enfer dont chacun est obligé de lui apporter son tribut et sa victime.

P. 41/42 Tel est le caractère de la cruauté, tels sont les traits dont elle se peint elle-même dans l’histoire des individus et des nations entières possédés par ce démon de la destruction, soit que le fanatisme religieux ou politique l’ait produit tout d’un coup, soit qu’il se soit formé lentement à l’école du traitement barbare des bêtes. La Saint Barthelemy, les Vêpres siciliennes, la conquête des Indes, de l’Amérique, de plusieurs pays chrétiens, les scènes de la Révolution sont, dans l’histoire du monde, autant de moments de cruauté horribles[8].

Il n’y aura personne, pour peu qu’il ait étudié la nature de l’homme et la manière dont les vices s’emparent par degrés de son cœur, qui puisse douter un moment que la cruauté envers les animaux, dès que nous la regardons comme indifférente et pouvant être exercée sans scrupule, n’influe puissamment sur notre caractère et ne nous rende cruels envers nos semblables.

P. 42 On peut définir la cruauté, d’où découlent les traitements barbares des animaux, un penchant à détruire joint à la joie que produit le coup d’œil de la destruction.

P. 43 L’auteur de la Philosophie de la Nature* peint avec autant de force que de vérité les progrès successifs de la cupidité, passant des plus petites choses aux plus grandes pour se satisfaire. Il n’a fait qu’une faute ; c’est de placer le germe de la cruauté dans un homme naturellement endurci, dans la tête d’un despote. Il est évident que, placé dans des certaines inconstances, tout homme peut contracter l’habitude de la cruauté.

P. 45 L’histoire de France nous offre dans la vie du roi Charles IX, une observation du même genre. Qui ne sait que la cruauté de ce prince s’est montrée dans toute son atrocité à l’occasion de la trop fameuse Saint Barthélemy[9] ? Mais qui s’étonnera de le voir tirer sur ses sujets et prononcer ces mots horribles à la vue du cadavre de Coligny : « le corps mort d’un ennemi sent toujours bon ! », quand on saura qu’il se plaisait, étant jeune, à blesser, à tuer, à tourmenter les animaux et à se préparer de cette manière à ces horribles boucheries ? Le mulet de son favori Lansac devait un jour devenir la victime de sa barbarie, sous prétexte de lui fournir l’occasion de déployer son adresse ; lorsque Lansac le retint et lui dit : « Eh Sire, quelle querelle est donc survenue entre Votre Majesté et ma mule[10] ? »

P. 46/47/48 L’histoire des Indiens de l’Amérique septentrionale, depuis la baie de Hudson jusqu’à l’embouchure du Mississipi, qui pour le physique, les usages, les mœurs se ressemblent parfaitement, sert à prouver la vérité de l’assertion qui nous a engagés à rapporter l’anecdote qu’on vient de lire. Peut-on se faire une idée des cruautés horribles, inouïes, dont en Europe on ne conçoit pas la possibilité, et qu’ils exercent sur ceux de leurs ennemis qui sont tombés dans leur pouvoir. A-t-on une idée des tourments raffinés, des tortures ingénieuses dans leur cruauté qu’ils font souffrir aux prisonniers qu’ils n’admettent pas dans la classe des vainqueurs ? Peut-on se rappeler sans horreur les expressions dont leur fureur, paire de leur barbarie se sert pour désigner leurs ennemis, en se préparant à la guerre, ou les chants et les danses par lesquels ils s’excitent au combat ? Que de fois leur haine, leur vengeance terrible, au lieu de frapper les Européens qui les avaient provoquées, se sont appesanties sur des innocents colons. L’histoire du genre humain offre-t-elle quelque chose de plus atroce, de plus affreux que les explosions de leur fureur, ou les effets froids, lents et calculés de leur inhumanité à l’égard des étrangers et entre eux-mêmes[11] ? Raynal, Robertson, l’auteur de l’ouvrage intitulé An Account of the European Settlements in America, celui de l’histoire universelle des pays et des peuples de l’Amérique, Lafiteau, Adair, Carver, le comte Carli et tant d’autres historiens et voyageurs anciens et modernes qui nous ont fait part de leurs observations sur le nouveau monde s’accordent tous en parlant des cruautés que les habitants de ce pays exercent sur leurs prisonniers, sur leurs ennemis sans défense, sur des femmes, des enfants, des vieillards, et ne laissent à cet égard aucune ombre de doute, ne permettent aucun soupçon de partialité.

Après avoir étudié l’histoire toute entière de ces peuples, l’observateur de l’homme et de l’âme de l’homme ne regardera plus comme un problème insoluble, d’un côté l’extrême cruauté qu’ils manifestent et de l’autre l’inconcevable fermeté qu’ils opposent aux tourments les plus terribles.

Jetés par la nature dans des forêts impénétrables et immenses qui souvent ne leur offrent que les racines et les bayes nécessaires pour apaiser leur faim, environnés d’insectes malfaisants, de reptiles et d’amphibies venimeux, de bêtes féroces et carnassières, les ancêtres des Indiens d’aujourd’hui devaient s’endurcir aux maux, aux douleurs, aux dangers et opposer l’indifférence, le calme et le courage à ces différentes classes d’ennemis. Leurs combats continuels avec les animaux pour s’en emparer ou pour s’en défendre, joints à l’indifférence pour la mort, suite naturelle d’une vie qui leur offrait si peu d’attraits, doivent leur inspirer le mépris de la vie des autres, l’indifférence et l’insensibilité, en leur donnant la mort. Ils tuaient leur ennemi, leur compagnon, celui dont ils voulaient posséder les vêtements, l’aliment ou les armes. Endurcis aux maux qu’ils enduraient eux-mêmes, comment auraient-ils pu être sensibles aux maux d’autrui, soit qu’ils en fussent les témoins ou les auteurs. A ces considérations pouvait se joindre aisément celle que la mort qu’ils donnaient aux animaux n’était accompagnée par ceux-ci d’aucune espèce de tourment ni de douleur, puisqu’ils les voyaient périr sans en exprimer, sans en manifester le sentiment ou du moins sans le manifester assez distinctement pour parler à l’âme du sauvage.
Ajoutons à tout ce que nous venons de dire que, dès son enfance, le sauvage accoutumé à voir des tourments, déchirer, tuer les bêtes [sic], dressé dès sa jeunesse à cette occupation uniquement, n’ayant jamais reçu de ses parents ni ordre ni défense relative à la marche de sa volonté rude, indomptable et destructive, ne voyant pas dans la pitié d’autrui un modèle d’imitation, une loi d’être pitoyable lui-même et n’ayant pour suivre les mouvements de sa haine et de sa vengeance d’autre guide, d’autre législateur que la nécessité ; et nous pourrons nous expliquer naturellement la cruauté des indiens.

P. 48/49 Cette cruauté indifférente qu’ils exerçaient d’abord sur des animaux malfaisants ou utiles a dû passer sur les hommes qui gênaient ou empêchaient leur chasse. Il fallait venir aux mains avec une tribu voisine toutes les fois qu’il s’agissait de décider à qui appartenait un district de chasse, toutes les fois qu’on faisait mine d’empiéter sur celui des autres. Le vaincu éprouvait alors de la part du vainqueur le traitement auquel le gibier était accoutumé. La chasse et la guerre devinrent des idées, des occupations synonymes pour l’indien. La chasse et la guerre se partagèrent son existence. La chasse et la guerre <…> son unique occupation, alors même qu’il pouvait s’en faire d’autres, alors même que d’autres travaux lui auraient pu procurer sa nourriture.

P. 50 Les peuples devenus plus tôt frugivores, par le bienfait de la nature qui les a environnés de forêts et gratifiés d’un sol plus fertile, ont toujours été exempts de ces cruautés à l’égard de leurs semblables ou en ont bientôt perdu l’habitude.

P. 51/52/53/54/55 De toutes les nations policées qui ont paru sur la scène du monde ; il n’en est peut être aucune qui se distingue autant que la Romaine par cruauté systématique et raisonnée à l’égard des hommes. Nous pouvions dire peut-être que les premiers fondateurs de Rome ont été des chasseurs, des voleurs de grands chemins, sauvages sans lois, sans culture, vivant de rapines et de sang, des vagabonds expulsés du reste de l’Italie pour leurs crimes et apportant leur cruauté et leurs vices dans leur nouvelle patrie. Mais l’histoire ne nous rapporte, après la fondation de cet empire devenu si puissant, aucun trait remarquable de la cruauté, auquel la nation toute entière ait pris part ; au contraire, nous trouvons mille faits d’humanité que la nation a exercés par le ministère de ses représentants. Ce n’est qu’après que Rome fut parvenue au sommet de la grandeur et de la gloire, ce n’est qu’après que ses citoyens, riches des dépouilles des nations les plus éloignées, n’avaient plus besoin de s’occuper et, regardant le travail comme la vile occupation des esclaves, ne s’abaissaient point à se rendre utiles ou, si besoin les pressait, avaient pour les satisfaire (il manque un mot) <…> et les rapines, ce n’est qu’alors que la cruauté commença dans Rome à lever la tête, à prendre de rapides accroissements avec ceux de l’empire.
Le peuple affamé demandait du pain et le peuple oisif des jeux*. Des spectacles de tout genre et de toute espèce occupaient la grande nation. Les généraux retournant de leurs victoires devaient rapporter à Rome de nouveaux objets de curiosité, des chefs d’œuvres de l’art, des échantillons des modes des nations étrangères, des animaux, des hommes inconnus et nouveaux. Les triomphes qui se suivaient rapidement ne pouvaient pas apporter une assez grande variété dans les scènes qu’ils offraient ; et cependant ils étaient trop rares au gré de ce peuple curieux et impatient. Les animaux qu’on avait d’abord produits comme des objets rares et précieux, servirent dans la suite de spectacle, lorsqu’on put s’en procurer d’avantage. On voulut les voir combattre leurs ennemis naturels et mesurer leurs forces. L’émulation des premiers magistrats de Rome et leur désir de se conserver dans les bonnes grâces d’un peuple aussi mobile que celui du Champ de Mars, introduisirent une grande variété dans les jeux qu’ils donnaient à grands frais, et les portèrent surtout à mettre sous les yeux des braves vétérans, de leurs anciens compagnons d’armes, ce qui pouvait le plus leur rappeler les camps, les armes et l’image de leurs exploits passés. On ne se borna plus à faire combattre deux à deux des bêtes féroces ; on en rassembla un grand nombre à la fois dans un amphithéâtre, on varia, on multiplia ces combats ; le sang qui coulait, retraçait aux guerriers le tableau d’une mêlée et familiarisait avec le sang humain ceux qui n’avaient point encore assisté aux batailles. Le jeune garçon, le jeune homme s’habituaient, s’endurcissaient à la vue des plaies, à la voix et au cri de la douleur, à l’agonie des mourants. Avant encore que Rome l’appelât à s’armer pour combattre l’ennemi de la patrie, coupable ou innocent. Les personnes mêmes que la nature n’avait point destinées à porter les armes, à être témoins des horreurs du champ de bataille, à entendre les gémissements des blessés expirants, voyaient ici l’être vivant se débattre dans les griffes de son vainqueur et perdre sa vie avec son sang.

Pour que ces jeux continuassent à être intéressants, il fallut bientôt y ajouter un supplément. Quelle variété piquante, si l’on mêlait des hommes à ces animaux ? Quel plaisir pour le peuple rassemblé, si le lion, la panthère ne combattaient pas entre eux mais avec des hommes. La compassion nomma d’abord des malfaiteurs et les dévoua à cette nouveauté ; ils avaient violé des lois, ils avaient mérité la mort, on pouvait les livrer aux bêtes. Bientôt les captifs, les prisonniers de guerre, surtout ceux qui par leur résistance avaient retardé les triomphes des Romains et provoqué leur vengeance, suppléèrent à la disette de malfaiteurs et de criminels. Destinés à la prison ou à la mort, on ne faisait que changer leur supplice. N’était-ce pas même user d’une économie louable que de faire servir leur mort aux plaisirs de la multitude ? En satisfaisant aux ordres de la politique et de la vindicte nationale, en égorgeant ces victimes, on flattait en même temps l’orgueil, on alimentait la cruauté du peuple par le genre du supplice.

Le manque de prisonniers de guerre fut remplacé depuis par des esclaves fugitifs ou qui avaient encouru le courroux de leurs maîtres, et plus tard par les chrétiens, à qui l’on faisait un crime de leur religion.

C’est ainsi qu’on peut s’expliquer le goût, la fureur des Romains et même des Romaines pour ces jeux sanglants où des hommes combattaient contre des bêtes féroces, où sans témoigner la moindre pitié, on voyait des gladiateurs se livrer des combats à mort et convertir en art le carnage et la destruction. C’est ainsi que l’on conçoit la possibilité d’avoir regardé comme un spectacle sublime des centaines d’esclaves s’immolant sur les tombeaux de leurs maîtres, d’avoir attaché du prix, des éloges, des applaudissements à la manière élégante et pittoresque dont le gladiateur tombait en expirant, de n’avoir vu dans l’esclave méprisable et vil que la pâture des poissons qu’on voulait engraisser. On s’explique aisément par là le grand nombre de tyrans et de monstres que Rome a produit, et qui sont devenus les fléaux de cette capitale et du monde. Toutes ces cruautés ont pris leur source dans le traitement barbare des animaux.

La nation anglaise, à tant d’égards l’institutrice et le modèle des nations, n’est point encore parvenue à effacer une tache qui souille et défigure son caractère : je veux dire sa cruauté à l’égard des animaux. Tant de lois de ce grand empire relatives au traitement des bêtes qui recommandent la douceur, qui punissent la dureté, tant d’ouvrages des hommes les plus estimables en faveur des animaux prouvent la nécessité de ces lois et de ces ouvrages, prouvent que le mal existait avant le remède, en Angleterre plus que dans les autres contrées d’Europe. En citant quelques spectacles de la nation, nous avons vu que l’Angleterre incline plus que beaucoup d’autres Etats à ces fêtes sanglantes, on y voit le jeu du coq, les combats de coqs, de taureaux, les courses de chevaux. Denys Rolle se vit engagé par les combats de taureaux qui se multipliaient trop dans sa province de se déclarer avec force contre ce spectacle et de déclamer contre cette cruauté*. Le mot seul d’angliser ne renouvelle-t-il pas l’idée et le reproche de cruauté envers les chevaux ; ne l’a-t-il pas fait passer avec l’usage et la mode qu’il désigne dans toutes les contrées de l’Europe ? Addison, dans son Guardian**, se plaint amèrement du penchant de ses compatriotes à tourmenter les bêtes, et Wendeborn dans le dernier quart de siècle passé s’en plaint tout aussi amèrement*** dans le passage suivant : « Je doute que pour peu que l’on connaisse l’Angleterre, on soit du sentiment de ceux qui attribuent aux Anglais la générosité envers les bêtes. Il ne faut que connaître la triste destinée des chevaux attelés devant les charrettes, les fiacres, les coches, ou employés dans les courses ou en voyage ; il ne faut qu’avoir été témoins des chasses, des combats de coqs, des combats de taureaux etc… pour cesser d’être le panégyriste de la générosité anglaise envers les animaux.

Dans le cours de la guerre de la révolution l’Angleterre a envoyé un certain nombre de ses jeunes gens en Allemagne pour y acquérir, avec la langue du pays la connaissance du commerce, en un mot pour y achever leur éducation et leurs études. Partout où ces gens n’étaient pas isolés mais réunis on les a vu satisfaire un goût national, et les voisins de celui qui surveillait leur instruction et leurs mœurs les ont vu souvent exciter au combat des animaux de toute espèce et s’amuser à tuer à coups de fusil des animaux domestiques, des poules, des canards, des oies etc… Ce penchant décidé à la cruauté envers les animaux dont les Anglais auront beaucoup de peine à se disculper sert à expliquer parfaitement l’observation qu’ont faite dans la dernière guerre les habitants de la Basse-Saxe et de la Westphalie. Dans tous les lieux où les soldats anglais paraissaient comme amis, comme auxiliaires, soit pour y séjourner quelques temps soit en passant, les bourgeois aussi bien que les paysans, se sont plaint amèrement de leur rudesse, de leur grossièreté, de leur cruauté pendant qu’ils se louaient en comparaison des procédés des troupes républicaines ennemies, quoique celles-ci dans le délire de leur nouvelle liberté se permirent des excès et des injustices de plus d’un ordre.

La cruauté avec laquelle les Anglais ont traité le Bengale et leurs autres possessions des Indes Orientales remplit d’horreur ceux qui en lisent les détails et qui connaissent l’extrême douceur des Indiens. Qui ne voit que c’est en partie à ce penchant national aux combats des bêtes que les Anglais doivent cette cruauté révoltante, qu’ils doivent en partie à leur cupidité et à un horrible intérêt. Avec quelle chaleur l’esprit de commerce n’insista-t-il point (sic) dans les discussions parlementaires sur le maintien invariable de la traite des nègres, tandis que les hommes les plus généreux et les plus sensibles en demandaient l’abolition graduelle et progressive ! En convenant que la prompte cessation de l’esclavage des nègres serait injustice et folie, il faut convenir aussi que cette réforme lente et salutaire serait le fruit de la sagesse et de l’humanité. Les auteurs anglais eux-mêmes avouent que les Anglais traitent leurs esclaves avec plus de cruauté que toutes les autres nations. C’est ainsi que la cruauté à l’égard des bêtes rend des nations entières cruelles à l’égard des hommes, et devient une des causes principales de la dureté avec laquelle elles traitent les peuples et les pays qui leur sont assujettis.

Nous avançons et nous découvrons un nouveau rapport où la cruauté à l’égard des bêtes se trouve avec l’homme et sa morale.

Les traitements barbares des bêtes doivent encore être soumis à la morale parce que ce sont des actes de folie qui nuisent à ceux qui les exercent, en même temps que des actes d’injustice qui font du tort à ceux dont les animaux en sont attaqués.

P. 55 Nous aurions tort d’appeler besoin ce caprice du superflu qui nous met en rapport avec certaines classes d’animaux que nous entretenons pour nos plaisirs, tels sont les perroquets, les singes, quelques fois les chiens, etc... Le besoin est celui de nous amuser. Ces animaux deviennent souvent les favoris, les maîtres de leurs maîtres, leurs maladies, leur mort, sont des sujets de douleur plus grands que la perte d’un parent, d’un homme utile et justement célèbre, d’une fortune considérable. Cependant le caprice d’un moment ne laisse pas toujours de traiter quelques fois ces favoris, ces idoles en jouets, en esclaves. Le droit du plus fort est un droit qu’on ne renie jamais entièrement et qui ne cède que par intervalles à la passion. Le caprice du maître, de la maîtresse se réveille, l’animal est tourmenté. S’il succombe au mauvais traitement, c’est une folie qui en punit une autre et la morale n’a plus rien à dire.

P. 56/57 Le laboureur est doublement victime de la cruauté contre les animaux. Lorsqu’il excède son cheval, son bœuf de labourage, il se prive lui-même de son compagnon de travail, d’une récolte plus abondante que lui aurait offert son champ mieux cultivé, il perd l’engrais qui avait fertilisé son champ et finit par le voir stérile et couvert de […] et d’ivraie. Est-ce un bœuf qui a succombé au mauvais traitement, c’est une nouvelle perte pour le maître, après quelques années de travail, il aurait pu le vendre et s’engraisser. Faut-il s’étonner de voir tant de chaumières, de paysans, porter l’empreinte de la pauvreté et de la misère ? De voir le toit à moitié découvert, la grange sans porte et vide, les habitants en lambeaux, maigres et défaits ? De voir à la fin, le magistrat s’emparer de la possession, en chasser le propriétaire ruiné et la vendre au plus offrant pour dédommager les créanciers ?

Combien de cultivateurs ne trouveraient pas la première cause de leur ruine dans les traitements barbares de leurs bêtes de somme ? J’ajoute de leurs bêtes à laine, à lait, de leurs bêtes grasses, etc…

P. 62/63 Supposons que la morale, cédant au sophisme, permette à chacun d’élever en maxime de ses actions, qu’on peut maltraiter les animaux comme on veut, quel ordre de choses en résultera-t-il sur la terre ?

Il est indifférent de faire commencer les mauvais traitements par les bêtes domestiques ou par les bêtes sauvages ; les premières sont plus sous la main de l’homme, les autres lui sont moins utiles.

Supposons que la morale, cédant au sophisme, permette à chacun d’élever en maxime de ses actions, qu’on peut maltraiter les animaux comme on veut, quel ordre de choses en résultera-t-il sur la terre ?

Il est indifférent de faire commencer les mauvais traitements par les bêtes domestiques ou par les bêtes sauvages ; les premières sont plus sous la main de l’homme, les autres lui sont moins utiles.

Supposons qu’il commence par sévir contre les animaux domestiques, que par une chaîne de cruautés, il parvienne à en détruire peu-à-peu des espèces entières. Quelle misère, quelle destruction menace la sienne ! Privez les peuples qui vivent de la culture des bestiaux [de] leur bétail, et vous les dévouez à la mort, eux et leurs familles.

Egorgez les bêtes à cornes du Suisse, du Frison, du Jutlandais et de l’habitant du Holstein et le berger hospitalier des Alpes n’accompagnera plus le voyageur curieux après lui avoir fait prendre dans son chalet un ample déjeuner et des nouvelles forces pour escalader les cieux. Les prairies grasses et fertiles seront changées en marécages infects, dont les exhalations pestilentielles tueront le peu d’habitants qui les avoisinent encore. Extirpez l’espèce des chameaux et les sables de l’Arabie ne seront plus perméables aux bédouins. La Haute Asie se changera en vaste désert dès que vous aurez privé le Kalmouk nomade de ses troupeaux errants de chevaux.

L’agriculture, les manufactures, les fabriques qu’elle alimente, le commerce qu’elle crée, fournissent à la plupart des hommes une source de subsistance. Elle ne tient donc pas à la conservation de ces animaux dont il paraît qu’elle peut se passer. La nature végétale conservera l’homme à défaut des bêtes.

P. 63/64 Enlevez à l’Angleterre, à l’Allemagne, à la Prusse et à la Hongrie, à l’Italie, à la France et à l’Espagne, enlevez à la plus grande partie de l’Europe ses chevaux, ses bœufs de labourage ; et voyez si leurs champs pourront continuer à fournir aux besoins de tant de millions, ce blé, objet de nécessité primaire qui les nourrit, les matières premières qui, transformées de mille manières entre les mains de l’artisan et de l’artiste, contribuent aux besoins, à l’usage, à l’agrément de la vie et mettent celui qui les travaille en mesure d’échanger contre sa main d’œuvre le blé qui doit le nourrir, et de mettre à contribution ce champ qu’il ne connaît point. Enlevez à ces pays, leurs bœufs, leurs chevaux de travail et l’agriculture cessera ; avec elle, tous les métiers, tous les arts qu’elle alimente, d’autant plus que les pays qui cultivent le bétail, privés pour la même raison de l’objet de leur culture, ne fourniraient (sic) plus à l’artisan, au manufacturier, tant de matières premières pour les mettre en usage. Où le marchand prendra-t-il de quoi exporter à l’étranger dès que son pays lui fournit aussi peu que l’artisan et l’artiste, de quoi échanger les productions des autres pays. Comment transporter même le peu d’objets qu’il pourrait rassembler puisqu’il manque de bêtes de trait et de somme ?

La cessation de la culture du bétail amène la cessation de l’agriculture ; celle-ci entraîne la chute des métiers, des manufactures, le commerce expire et plusieurs milliers d’hommes en Europe périssent ou sont obligés d’émigrer. L’Europe n’enverra plus ses flottes dans toutes les mers du globe, elle perdra les riches productions de l’Inde et l’Amérique aura besoin d’être découverte une seconde fois. Les plantations des îles seraient désertes, les factoreries du Bengale inactives. La Chine conservera son thé, le Pérou son or, l’Arabie son café. Des millions d’hommes périront de faim dans toutes ces contrées qui aujourd’hui fournissent à l’Europe cultivée et peuplée, une partie de ses besoins.

Mais ces peuples éloignés sont soumis à la morale universelle et à leurs penchants sensuels. Le tourment des bêtes deviendra chez eux, comme chez nous, une maxime générale et ce que nous avons vu en être le résultat en Europe par rapport au bétail et à l’agriculture, aura également lieu en Asie, Afrique et Amérique.

L’agriculture pousse partout des mains laborieuses ; elle propulse en retour des contributions qu’elle paie pour la conservation de la vie animale, les déchets des animaux, afin de les faire servir de nouveau à la vie animale.
L’observation montre que c’est en se renouvelant, en se fertilisant par les déchets des animaux et à cette condition seule que les plantes se produisent et multiplient pour notre usage et que seule, elle a pu faire parvenir de nos jours l’agriculture au sommet de la perfection.

P. 64/65 Une nouvelle question s’élève ici : après l’extirpation des animaux, ces contrées dont la végétation est si riche et si facile, conserveraient-elles cet avantage au même degré ; et la fertilité qui les distingue n’irait-elle en diminuant ?

Une partie du règne animal vit aux dépens du règne végétal. Qui a fait de la nature une étude assez suivie et assez profonde pour être bien sûr qu’elle n’ait pas assigné au règne végétal de se refaire sur le règne animal des pertes que celui-ci lui fait subir ? Pour être sûr que la végétation ne se régénère pas sans cesse en aspirant par ces racines, ses feuilles et autrement les émanations subtiles et grossières des animaux ? Qu’elle ne se recrute [sic] et ne se renouvelle pas sans cesse dans le règne animal qui vit et périt à côté d’elle ? Comment ces contre-prétentions de la plante pourraient-elles être satisfaites si la création animale avait disparu de dessus la terre ? Comment pourraient-elles l’être même dans les climats les plus chauds ? La migration des peuples y trouverait sans contredit la faim et la mort.

Ainsi la vie de ces millions d’hommes qui environnent le globe est étroitement liée à la vie, à la conservation soignée de ces millions d’animaux qui se trouvent à côté d’eux ; et quiconque regarde comme indifférente la vie de ces derniers, prononce une sentence de mort sur ces millions d’hommes. On veut les ramener à la vie triste et dure des bois et à la condition des sauvages, dont le genre humain ne s’est tiré qu’à force de peines et d’efforts soutenus.

P. 66 Dans la Virginie, on extirpa les corneilles, dont on s’apercevait qu’elles détournaient et mangeaient les pois des champs. Il en coûta de grosses sommes pour parvenir à ce but. Mais quand les corneilles furent extirpées, il parut à leur place un escarbot (bruchus pisi linn.) qui se multiplia prodigieusement de sorte que la récolte des pois fut très mauvaise pendant des années. On rechercha la raison pourquoi depuis que le grand ennemi des pois n’existait plus, leurs petits ennemis étaient si forts en augmentant, et l’on trouva que la corneille au lieu de déterrer les pois en général pour s’en nourrir, s’était particulièrement bornée à ceux dans lesquels se trouvaient ces petits insectes, lesquels n’ayant plus leur ennemi né, avaient pu se multiplier à ce point.

La poursuite, l’extirpation du corbeau (corvus corax), de la frayonne (corvus frugilegus), de la corneille (corvus cornix), de la pie (corvus pica) et de plusieurs autres oiseaux de cette espèce contre lesquelles les gouvernements ont souvent pris des mesures générales, a produit dans plusieurs pays de l’Europe, qui vivent principalement de l’agriculture, la multiplication des souris, des hannetons des taupes, des grillons, des limaçons et de quantité d’autres insectes et reptiles qui, principalement depuis quelques années, ont causé un dommage infini aux blés et jeté les premières fondements de cette disette qui a désolé tant de contrées.

P. 72 Nous voyons par là quels services multiples nous pouvons attendre de nos animaux domestiques lorsque nous les traitons avec bonté. En faisant disparaître la crainte que seule la dureté inspire, en usant avec eux de cette patience que doit inspirer à nous-mêmes l’avantage que nous nous en promettons, nous parviendrons sans faute à leur enseigner mille choses utiles.

P. 72/73 Roman, qui a montré ses oiseaux dressés à Paris, à Londres et dans toutes les grandes villes de l’Europe, François Mikely, son émule ou plutôt son vainqueur, natif de Lempi, en Sardaigne, ne sont-ils pas des exemples à citer ? Le dernier, jeune garçon de dix ans, pour gagner du pain à sa mère et à ses frères et sœurs, avait dressé une quantité d’oiseaux de chant à obéir au moindre signe, à sortir de leurs cages, à se poser sur sa main, sur son épaule, à jouer avec un chat dont il avait également su enchaîner l’instinct sanguinaire. Il avait dressé dix perdrix à faire des évolutions militaires, à tirer des canons, à les décharger, à imiter les cris des vaincus, des vainqueurs, à imiter la posture des blessés etc… Nosoletta, une de ses perdrix, lui servait même à garder les autres oiseaux et quelque fois à lui ramener des fuyards.

P. 75/76 Comment l’homme qui retrouve et reconnaît sa famille dans tous les êtres vivants peut espérer de voir naître pour lui cette belle saison où le perfectionnement des animaux contribuera à la sienne et à son bonheur, tant que ces fous raisonnables qui s’appellent les rois de la création s’entredéchirent eux-mêmes comme des bêtes féroces ?

Le monde a rempli la tâche en tant qu’elle parle, si j’ose m’exprimer ainsi, d’homme à homme, sans admettre entre les hommes d’autre bien que celui de la nature.

Mais nous vivons avec d’autres hommes dans une société qui compose avec nous le même Etat, la même famille, je dirais presque le même individu qui, par conséquent, doit avoir avec nous le même but, le même point de vue des rapports environnants et des droits et des devoirs qui en dérivent, si le but de la société et les prétentions de la morale doivent être remplis

La morale passe donc d’une tâche à l’autre, elle reprend ses fonctions, elle commence […] ces efforts pour le bien de l’humanité. Elle devient l’institutrice, la législatrice, la surveillante de l’Etat dans tout ce qui concerne les rapports d’un membre de cet Etat avec l’autre, comme dans tous les rapports d’un de ses membres avec les animaux privés de raison. Les devoirs qui résultent de cette union sociale et politique, elle les enseigne ; où des droits découlent de ces devoirs, elle les fait respecter ; elle autorise les sages, les gouvernants, les représentants de l’Etat à expliquer ces droits et ces devoirs et à les sanctionner par les lois

P. 77 L’Etat doit se contenter, en conservant aux lois morales un certain respect extérieur, de préparer cet attachement et ce respect intérieurs qui doivent se former dans le cœur de chacun des membres qui le composent[12].

P. 78 Pour une suite de l’instruction défectueuse de la jeunesse, de l’éducation presque entièrement négligée de l’enfance et de l’instruction à tant d’égards nulle du peuple, il n’y a que trop de personnes qui ont entièrement ou presque entièrement manqué d’instruction et surtout d’éducation, il y en a d’autres qui, quoique ayant joui de l’une et de l’autre ont renoncé au respect dû aux lois et les regardent comme des inventions du caprice de leurs maîtres ou comme l’épouvantail du peuple. Il faut donc que l’Etat, par des lois précises, déclare sa volonté et son intention, afin que chaque membre de l’Etat que la légèreté, l’impudence, la séduction et d’autres défauts de l’esprit et du cœur, aurait conduit à dédaigner et à violer les lois de la morale universelle, sache au juste et précisément ce que l’Etat où il cherche sa subsistance pense à cet égard, et exige en conséquence de chacun de ses membres.

La publication d’une loi de l’Etat ne suffira pas toujours pour empêcher le mauvais citoyen de faire le mal, pour l’exciter à faire le bien. La punition des transgressions de la loi a toujours été le poids qui a remis le mauvais citoyen dans l’équilibre. Il faut donc que l’Etat décerne des châtiments arbitraires, quoique, autant que possible, liés à la nature même du délit, pour obtenir l’obéissance.

P. 79/80/81 L’Etat doit donc avant toute chose avoir l’œil à ce que ses membres soient instruits de leurs rapports avec les animaux, instruits en général qu’ils ont des devoirs à remplir à leur égard, instruits que les animaux ont des droits relativement aux hommes.

L’instituteur de la jeunesse doit leur enseigner dès l’enfance cette loi morale avec les autres ; l’éducation doit les exercer de bonne heure à la pratiquer.

Dans les traités de morale et de droit on doit insérer un chapitre particulier qui serve de fil à ceux qui enseignent ces deux sciences pour bien développer et prouver les devoirs et les droits qui résultent de notre rapport avec les animaux, tant pour les hommes que pour les bêtes.

Jusqu’ici ce chapitre a manqué dans tous les livres de morale et surtout de droit naturel, ou s’il était parlé des devoirs envers les animaux et de leurs droits, c’était en passant, souvent obscurément. Il y a quelques moralistes, quelques instituteurs de la jeunesse qui ont fait ici une exception louable, en consacrant un paragraphe à cette matière qui, bien que court, suffisait cependant à empêcher les enfants à se livrer aux cruautés que nous avons révélées au commencement de ce mémoire.

A côté du développement de nos devoirs envers Dieu, notre prochain et nous-mêmes il faut placer celui de nos devoirs envers les animaux[13], et après la déclaration des droits de l’homme doit suivre celle des droits des bêtes.

Aussi longtemps que ceux qui enseignent la religion au peuple resteront seuls en possession du droit de lui enseigner la morale, ils seront tenus de lui développer ce point de la morale avec le même soin qu’ils mettent au reste de leurs instructions. L’Etat doit en faire une obligation.

Jusqu’ici l’Etat travaille médiatement contre les traitements barbares des animaux ; il le fait encore immédiatement par des lois.

Il doit publier son opinion et sa volonté sur le traitement des animaux : il doit interdire tous les mauvais traitements et imposer des châtiments partout où la déclaration expresse de la loi a été violée. Soit comme toute autre injustice prouvée, exercée sur les hommes, est punie par l’Etat, de même c’est à lui de punir toute injustice commise contre les animaux.

P. 82/83/84/85 Nous osons tracer ici l’esquisse d’un code de lois tendant à protéger les animaux, à les défendre de la cruauté des hommes et à les mettre en possession de leurs véritables droits.

L’Etat fait la déclaration suivante : Tout homme a des devoirs envers les animaux. Tout animal a des droits dans ses rapports avec l’homme. Tout citoyen doit voir dans ce principe l’opinion, la conviction de l’Etat.

Quiconque enseigne la morale et le droit doit adopter ce principe dans son cours, le développer, le rendre évident aux yeux de ses auditeurs, l’imprimer dans l’âme de chacun, non seulement comme un axiome de morale universelle mais comme un axiome de morale publique.

La mort et la douleur de tout animal, causées sans aucun but, et sans raison sont défendues. Chaque traitement doux et humain de l’animal, ainsi que sa conservation, lorsque nous pouvons y contribuer sans violer aucun devoir envers les hommes, est ordonné.

Tout jeu inconsidéré ou méchant avec les animaux qui a pour suite la douleur ou la mort est défendu aux enfants et aux hommes de tout état et de toute condition. Tout usage d’une bête pour des fêtes publiques et nationales, qui tend à les tourmenter, est également interdit.

Toute espèce de chasse qui a pour but de divertir le chasseur aux dépens des tourments, des alarmes, des fatigues, de la mort lente de la bête chassée et à côté de laquelle se trouvent des moyens plus expéditifs de s’emparer de la bête, est déclarée inadmissible.

Ceux qui sont appelés un jour à vivre avec les animaux, seront instruits d’avance de la nature et des affections des bêtes avec lesquelles ils se trouveront appelés à vivre ; on les dirigera sur la manière dont ils doivent les traiter.

Les enfants et, en général, les personnes qui ne savent pas traiter les bêtes, qui ne connaissent point leurs affections ou qui ne sont pas assez riches pour pouvoir les entretenir sans les gêner, n’auront pas la permission d’en nourrir pour leur amusement.

Il n’est permis qu’aux scrutateurs de la nature et à leurs disciples au bout d’un temps considérable et sous les yeux de leurs maîtres d’acheter, de tuer, de disséquer des bêtes sauvages, le tout pour leur instruction et conformément à un but raisonnable.

L’Etat fera dresser et publiera un catalogue systématique et exact de tous les animaux généralement nuisibles, malfaisants et incommodes qu’il est permis à chacun de tuer à condition que leur mort soit toujours la plus prompte qu’il sera possible.

Il ne sera permis de tuer le bétail de boucherie qu’à ceux qui en auront appris le métier chez les maîtres de l’art. Même pour tuer la volaille et le menu bétail, ce qui se fait souvent par des femmes, des servantes, des enfants, il faudra auparavant avoir reçu une instruction précise et déterminée sur la manière la moins douloureuse de s’en acquitter.

Les physiologues et les bouchers praticiens détermineront la manière la plus douce et la plus facile de tuer l’animal.

Toute espèce de mutilation d’animaux qu’on ne pourra faire sans de grandes douleurs de leur part et qui n’auront d’autre avantage pour nous que le plaisir ou la vanité, sera défendue.

Tous les instruments qui servent à nos bêtes de travail et que nous pourrons remplacer par d’autres plus commodes et meilleurs, seront abolis. Quiconque en inventera le premier de cette dernière espèce obtiendra des encouragements et des récompenses.

On ordonnera de réparer les grands chemins et le pavé des rues et des cours et on veillera à l’exécution de l’ordonnance.

Il sera indiqué [sic] une mesure déterminée de chemin ou de travail, un poids déterminé du fardeau pour chaque espèce de bête de trait et de somme, qui se règlera à la qualité du terrain et aux forces des animaux qui l’habitent, et au-delà desquels il ne sera pas permis de grever l’animal.

On déterminera d’après la mesure du travail, celle du fourrage, pour chaque espèce particulière d’animaux, soit de travail et d’utilité, soit d’agrément.

On recommandera avec soin la culture des herbes et espèces de blé convenables à nos animaux domestiques. En égard aux circonstances locales de chaque contrée, on indiquera les méthodes les plus propres à établir cette culture.
Il faudra consulter les lumières des agricoles, médecins vétérinaires, cultivateurs et routiers les plus experts, ainsi que des propriétaires et seigneurs terriens.

Il sera déterminé quelle forme il faudra donner aux étables et aux écuries, en égard à la santé, à la clarté, à la commodité et à l’économie.

On établira des médecins vétérinaires qui emploieront, pendant les maladies des bêtes, les remèdes connus les plus prompts et les plus salutaires pour leur rendre la santé. Les forains et les charlatans seront expulsés.

Le gouvernement fournira une liste des actions qui contribuent à augmenter la somme du bien-être des animaux, sans nuire aux hommes et tendant, au contraire, à leur utilité, mais qui, n’étant pas de nature à être soumises aux ordonnances de la loi, seront encouragées per des récompenses et des éloges.

Le gouvernement établira partout des personnes qui auront l’œil à l’observation des lois relatives aux animaux, qui observeront tout traitement barbare, en instruiront les juges et deviendront par là les avocats de l’animal, privé du don de la parole, en les protégeant contre l’insulte et l’oppression des hommes.

Si quelqu’un de ces inspecteurs néglige ses fonctions, si après avoir découvert un traitement tyrannique, il ne le dénonce pas au juge, si le juge apprend d’ailleurs ce qui s’est passé, l’inspecteur payera le double de l’amende à infliger au tyran des bêtes. Si trois fois de suite, il a fait sans la prouver et par haine contre quelqu’un une dénonciation fausse, il subira un châtiment particulier.

Chaque membre de l’Etat est obligé par la loi à dénoncer tout traitement barbare des animaux dont il aura été témoin, faute de quoi il sera tenu avoir pris plaisir à ce traitement et subira la moitié du châtiment de celui qui s’en est rendu coupable.

Il faudra éviter autant qu’il se pourra des amendes pécuniaires, comme étant un châtiment trop doux pour les riches, trop fort pour les pauvres et par conséquent peu proportionné au délit. Il est triste que des raisons de finance leur soient favorables.

Une législation sage trouvera assez de moyens pour récompenser ceux qui se distinguent par un traitement humain envers les animaux sans augmenter par là considérablement les dépenses de l’Etat.

Nous n’avons pas besoin de prouver longuement que ces différents projets de lois, soumis et adaptés aux localités qui les rendent susceptibles de modifications et d’additions à l’infini, seraient d’une grande utilité, ne fût-ce aussi qu’en partie pour nos Etats et pour chacun des individus qu’ils contiennent, après avoir vu les suites funestes qui résultent à cause de la cruauté habituelle envers les animaux, auxquels ils obvient. Après avoir vu à quel point cette cruauté détériore le caractère de l’homme, le rend dur et cruel envers ses semblables, les porte même souvent à se nuire et à se ruiner, lui ou son voisin, sa famille, en un mot son prochain, en tuant sans raison des animaux utiles et l’empêche, en rendant les animaux capables d’un nouveau degré de perfectionnement, d’en tirer de nouveaux services et d’étendre par là son domaine sur eux. Toutes ces cruautés disparaitront avec ces lois, dès qu’on les administrera sérieusement, et l’Etat entier jouira des avantages qu’aujourd’hui le chef de famille paresseux et mauvais envie à son voisin doux, humain, compatissant, reconnaissant envers les animaux ; les citoyens qui le composent pratiqueront sans contredit envers leurs compatriotes, ces vertus d’habitude qu’il auront commencé par exercer sur des créatures d’une moindre qualité, du moins tant que la liaison naturelle des vertus entre elles ne cessera pas d’avoir lieu.

P. 85/86 L’essentiel de toute bonne législation est que l’Etat exerce la justice, que ses lois soient fondées sur les décisions d’une morale universelle qui les adapte à ceux qui le composent et qu’il les approprie à leur degré de culture. La fermeté, la persévérance conduiront infailliblement à bout ce que la justice et la volonté pure d’avancer, le bien être de l’humanité et le bonheur des Etats a commencé ; témoin : l’exemple de Bonaparte, qui a su rendre praticable aux yeux de l’Europe ce qui devant lui paraissait impossible.

L’histoire n’est pas entièrement dépourvue d’exemples qui prouvent que la législation n’a pas toujours regardé comme au-dessous d’elle, d’exprimer sa volonté relativement à la manière dont nous devons traiter les animaux.
Les Egyptiens, que l’histoire nous représente comme le peuple dont la culture est la plus ancienne, ont donné à toutes les nations policées qui les ont suivis, l’exemple de traiter avec douceur non seulement les animaux domestiques et privés, mais encore ceux qui n’étaient pas immédiatement placés sous la main de l’homme et recommandés à ses soins.

P. 88/89 Nous trouvons chez les nations qui habitent l’Europe quelques vestiges du soin qu’ont pris leurs législateurs de recommander le devoir de la justice à l’égard des animaux.

L’Angleterre compte parmi ses lois, celle qui condamne le coupable accusé et convaincu de barbarie à l’égard des bêtes à une amende de 5 à 10 schellings ou, selon les circonstances et la décision des juges, à un châtiment plus grave[14].

La Suède a une ordonnance des fosses qui peut servir de modèle à tous les autres pays. Elle est de 1734 et protège les chevaux contre les mauvais traitements des voyageurs et des postillons. Voici ce qu’elle statue : « On ne pourra charger sur un traineau ou chariot à un cheval que le poids de 300 livres pesant, pour deux chevaux le double etc… La valise que le cheval porte ne pèsera pas au-delà de 30 livres. On prendra un cheval pour deux personnes, deux chevaux pour trois personnes. Chaque voyageur n’aura qu’une petite malle avec soi[15].

La loi du Danemark qui ne permet aux voituriers et aux routiers qu’une charge déterminée par chariot et charrette paraît avoir principalement pour but de ménager les chaussées et les grands chemins.

Une ordonnance d’Angleterre appelée le bill noir décerne la peine de mort contre celui qui endommagera les bêtes destinées à l’agriculture, mais sous la seule condition qu’on puisse lui prouver de l’avoir fait par haine contre leur propriétaire. Cette loi ne protège les animaux qu’indirectement[16].

L’ordonnance saxonne qui décerne la peine du feu contre celui qui empoisonnera les prairies dans le cas où il en résulte du mal et celle du fouet s’il n’en résulte point, n’est qu’en rapport indirect avec les animaux et semble avoir pour but principal de punir celui qui a voulu nuire aux hommes[17].

Le gouvernement Hessois, à Cassel, a publié en date du 21 mars 1798, une ordonnance, renouvelée le 28 septembre 1802, par laquelle il est défendu sous peine de 10 écus d’amende, de prendre et de tuer des oiseaux qui se nourrissent d’insectes et de chenilles. Le supplément à cette ordonnance défend de tuer aucune espèce d’oiseaux à l’exception des moineaux et d’enlever leurs œufs, pour empêcher par là le dommage qui en résulterait pour les champs et les forêts.

En 1801, la chambre ducale de Meiningen publia une ordonnance qui protège plusieurs bêtes vivipares et oiseaux regardés jusqu’alors comme animaux de proie, en accordant aux chasseurs des dédommagements proportionnés à la perte qui en résultait pour eux. Cette ordonnance ne devait être regardée comme loi fondamentale du pays que pendant un certain espace de temps. En même temps, la même chambre fit un second règlement relatif aux quadrupèdes et oiseaux de proie pour la raison que l’ancien règlement était dans le cas d’être changé, attendu qu’une suite d’observations et d’expériences confirmait que de cette manière l’équilibre entre les différentes espèces d’animaux était détruit. Par cette ordonnance, plusieurs animaux poursuivis jusqu’alors par les chasseurs et par les hommes en général, sont mis sous la protection de la loi.

P. 90/91 Puisse la morale publique embrasser entièrement et juger digne de toute son attention un objet que la morale universelle et la partie saine et choisie de ceux qui l’enseignent, regardent comme une section essentielle à ajouter à leur système, et qui trop longtemps avait été abandonnée avec tant d’autres points de morale et de moralité aux ergoteries de l’arène théologique. Puissent les gouvernants des Etats dans les mains desquels repose la détermination, la direction des statuts de la morale publique fixer leur attention sur les moyens de bannir pour toujours du sein de la société, les actes de barbarie contre les animaux, en ne se laissant pas entraîner par les torrents des rixes politiques, chercher et trouver sur cette route une augmentation de leur pouvoir.

La couronne de la sagesse accordée à celui qui fait de nouvelles découvertes, de nouvelles conquêtes dans l’empire de la science est bien plus glorieuse que celle du guerrier dont les victoires subjuguent des peuples ; le trésor de celui qui fertilise et anoblit par ses travaux et ses sueurs le bien qu’il possède est plus sûr de se grossir que celui de l’homme avide qui cherche à y verser les fruits de ses rapines et de ses exactions.

Quoi de plus salutaire pour l’univers que l’obéissance à la morale, à cette législatrice commune des hommes et des empires ! Quoi de plus salutaire que l’obéissance à chacun de ses commandements, qu’une obéissance pure, volontaire et entière ! Quelle bénédiction se répandrait sur la terre si les Etats eux-mêmes exigeaient cette obéissance de leurs citoyens et leurs membres !

La législation qui parle et s’intéresse en faveur des animaux se rapproche considérablement de l’idéal de la sagesse qui ne néglige rien de ce qui contribue au bien de l’ensemble, aux yeux de laquelle rien n’est petit ni de peu d’importance, et dont les soins s’étendent à tout.

La sagesse humaine, celle des Etats qui professent des sentiments d’humanité, ne regardera pas comme insignifiant ni au-dessous d’elle ce que le sage de Nazareth, dont le nom est celui dont s’honorent la plupart des Nations de l’Europe, déclare être l’objet des soins de la providence divine, quand il dit : « Il ne périt pas un oiseau sans la volonté de cet Etre suprême, de ce modèle de perfection que tout homme doit se proposer de suivre et d’imiter ».

Fin


P. 92/93/94/95
Aperçu des matières

Introduction… 1

Tableau des traitements barbares des animaux… 2
Cruautés qu’exerce la jeunesse… “
    En public… 3
    Dans les maisons… 5
Cruautés qu’on exerce dans l’âge mûr… 8
    Dans les basses classes du peuple… “
    Contre les chiens et les chats en général… 9
    Des cultivateurs et routiers à l’égard de leurs bêtes de trait et de somme …10
    Cruautés au temps de guerre… 12
    Coup d’œil jeté sur les étables et sur les écuries… “
    Cruautés à l’égard des bêtes à laine, à lait, des bêtes grasses… 13
    Tableau de la manière dont on conduit le bétail à la ville, à la boucherie… 14
    Tueries… 15
    Mauvais traitement du bétail en temps de guerre… “
    Origine de la mortalité des bestiaux. Remède… “
Cruautés des classes moyennes, des hautes classes… 16
    La chasse… ”
    Cruautés à l’égard du gibier… 17
    Chasseurs de profession, amateurs de la chasse… ”
    Chasses artificielles… ”
    Chasses royales, grandes chasses… 18
    Chasses de bêtes féroces… ”
    Chasse au renard, chasse à l’ours… ”
    Tourments des chevaux et des chiens de chasse… 19
    Des chevaux pendant la guerre… ”
    Des chiens, des singes, et chevaux en d’autres occasions… 20
    Voyages des rois… 21
    Sort des chevaux à louage… 22
Cruautés qu’on exerce sur les animaux dans les jeux et les fêtes nationales… ”
    Combats des taureaux en Espagne, Italie et France… 23
    Courses de chevaux en Angleterre et en Italie… 24
    Combats de bêtes en Allemagne et en France… 24
        Anecdote du lion Isaac… 25
    Combats des coqs en Angleterre…28
    Jeux publics et cruels des basses classes… ”
    Cocagne d’Italie, jeu de l’oie en Batavie… ”
    Jeux des pêcheurs en Allemagne… ”
    Jeu du chat à Aix en France… 27
    Jeu du coq en Angleterre et en Allemagne… ”
Effet que produisent ces cruautés sur l’homme non corrompu… 28
Que dit la raison humaine de ces cruautés ?... 29
Appartiennent-elles au tribunal de la morale ?...”
La morale les défend
  1. par des raisons désintéressées
        a) la justice reconnaît les droits des autres, et les protège… 30
            Fondement des droits… 31
       Besoins des hommes et des animaux mis en parallèle…”
                   Les animaux ont des droits… 32
                   Détermination des bornes jusqu’où l’homme peut se servir des animaux…33
                   Notion exacte de la cruauté…34
               b) La bonté ou la bienveillance universelle exige qu’on traite bien les autres créatures…35
                   Notion de la bonté, la libéralité, la compassion… ”
                   Impressions que font ces vertus… 36
                   Comment la bonté et la pitié agissent-elles sur les animaux ?....”
                   Xenocrate et le moineau…37
                   L’ânier d’Alexandre…”
                   Le sultan Murad à Constantinople… ”
               c) La reconnaissance exige du retour et de la rémunération pour les services que d’autres  
                   êtres bienfaisants nous ont rendus… ”
                  Notion de gratitude… ”
                  Qui mérite de recueillir les fruits de la gratitude…38
                  Différence entre les êtres libres et ceux qui n’agissent que par instinct…”
                  Pouvons-nous contester aux animaux la volonté de nous faire du bien ? … ”
                  Indication d’exemples d’animaux bienfaisants ?
Transition aux raisons de la morale prises… 46
  2. De l’utilité de l’homme… ”
               a) La cruauté à l’égard des animaux rend l’homme cruel envers l’homme… 41
                   Nature de la cruauté… ”
                  Ses accroissements… 42
                  Jugement de Locke sur la cruauté des enfants… 43
                  Jugement des pédagogues modernes…  ”
                  Des aréopagites d’Athènes…”
                  Du magistrat d’Albo en Finlande…”
                  Condamnation du boucher Elys en Angleterre… 44
                  Loi d’Angleterre, Sentence de la faculté de droit à Leipzig…”
Reproche fait à l’histoire qu’a négligé de remonter aux premières causes qui ont rendu certains hommes cruels… de Nemrod, à […] à Commode, exemples de cruauté envers les animaux et les hommes…”
                  Charles IX, roi de France… 45
                  Anecdote de ce prince et du mulet de Lansac… ”
                  La chasse inspire la cruauté à l’égard des hommes… 46
                  Le gentilhomme de Galice et le juif coucou… ”
                  Recherches sur l’origine de la cruauté inouïe des Indiens de l’Amérique septentrionale..”
                  Influence de la nourriture végétale sur l’adoucissement des mœurs… 50
                  Sacrifices humains, leurs origines…”
                  Recherches sur les causes de la cruauté des Romains… 57
                  Esclaves, Chrétiens… 52
                  Examen de l’influence des combats d’animaux en Angleterre sur le caractère de la
                  nation anglaise… 53
              b) Les traitements barbares des animaux nuisent à l’homme en diminuant ses ressources.
                  Bill Noir d’Angleterre…88
                  Loi Saxonne… 89
                  Ordonnance de Hesse – Cassel…”
                  Ordonnance de Saxe Meiningen… ”
                  Difficultés à observer de nos jours les lois publiques… 90
Conclusions…. ”

Notes:

[1]  Pour exprimer le mauvais traitement qu’on fait à quelqu’un on dit en allemand qu’on le traite comme un chien. Les Anglais ont un proverbe pareil cité par Le Guardian <…>  L. 1 : Le chat – disent-ils – a neuf vies, pour résister aux tourments.

[2]  Les chevaux de course du Corso à Rome sont dressés à courir seuls et sans être montés. Après qu’un nombre suffisant a été rassemblé dans la carrière, on les place tous ensemble ou par bandes sur la même ligne. Le signal leur est donné, un coup de fouet les met en train à la fois. Des courroies auxquelles sont attachés des boules et des crochets de fer leur pendent des deux côtés et leur frappent les cuisses, les flancs et le ventre en courant.

[3]  On pèse les Jockeys en Angleterre.

[4]  Zeitung für die Elegante Welt. Leipzig. Année 1802. C’est elle qui parle [sic] : « Le 1er janvier 1791 on a donné dans l’amphithéâtre des bêtes, le spectacle du lion Isaac. Le roi de Naples était alors à Vienne.

[5]  Soloyer, Correspondance […].

[6]  Il paraît que les principaux sages de l’Europe sont convenus entre eux d’admettre comme une vérité fondamentale que la différence de religion n’amène pas pour l’homme une différence des droits à l’exception de ceux que des conventions particulières ont introduit dans les empires. La disposition où l’on est d’abolir insensiblement la traite des Nègres et la servitude et même la mesure précipitée qu’on avait prise, il y a quelques temps à ce premier égard, prouve que la majorité des habitants éclairés de l’Europe est d’avis que la différence de nation et de race ne doit pas porter préjudice à l’égalité des droits.

[7]  Notre but n’étant pas de développer la nature des bêtes, mais simplement de poser en fondement à ce qui est généralement admis et non hypothétique, on n’exigera pas sans doute de nous que nous nous rangions de l’avis de ceux qui prétendent que l’animal est susceptible de se perfectionner dans le même sens que l’homme.

[8]  Consultez les ouvrages qui traitent de la conquête du nouveau monde par les Espagnols, des Indes Orientales par les Portugais, les Hollandais, les Anglais, de la Livonie par les Allemands, des massacres de la St. Barthelemy, des dragonnades chez les Français, des Vêpres chez les Italiens, des horreurs de la guerre de Trente Ans en Allemagne et du tableau de la Révolution française.

[9]  V. J. J. Rousseau, Emile, T. II. - La chasse endurcit le cœur aussi bien que le corps ; elle accoutume au sang, à la cruauté. Les œuvres du Philosophe de Sans Souci : Ceux qui font profession de la chasse… sont quelquefois très grossiers et il est à craindre qu’ils ne deviennent aussi inhumains envers les hommes qu’ils le sont à l’égard des bêtes, ou que du moins la cruelle coutume de faire souffrir avec indifférence ne les rende moins compatissants aux malheurs de leurs semblables.

[10]  V. Brücke über Galizien, 1788.

[11]  Raynal, Histoire philosophique des établissements Européens, Robertson, History of America, L. IV, Lafiteau, Mœurs des sauvages américaines [sic], Carver, Travels through the interior countries of North America, Adair, History of American Indians of the Mississipi, Carli, Lettres domestiques.

[12]  Les spectateurs de l’Eudémonie en fait de Philosophie morale, ne se regardent pas comme vaincus par les partisans de la morale pure de Kant et continuent à défendre leur système, il ne nous appartient pas ici, où nous n’offrons que des principes généralement reconnus à l’appui de notre thèse, de suivre l’opinion des uns ni des autres.

[13]  Le respectable prévôt Teller à Berlin a donné un exemple bien digne d’imitation dans son ouvrage intitulé : Anleitung zur Religion. Voyez surtout le deuxième volume de cet excellent petit traité. Chap. 3. « Il y a bien des personnes qui doutent encore s’il y a des devoirs envers les animaux et qui regardent l’expression – les droits des bêtes – comme une faute de langage. Darjen même a voulu prouver que les animaux n’ont aucun droit.

[14]  V. Arohenholz Annalen der brittischen Geschichte, 1790.

[15]  V. Georg Biurmann Wegweiser

[16]  V. Arohenholz Annalen der brittischen Geschichte, 1790, où il rapporte l’histoire de Shpeherd.

[17]  V. La Constitution de la Saxe.