10. Facit me oratorem indignatio

Dissertation 10, par François Nicolas Benoist-Lamothe.

Facit me oratorem indignatio

Concours sur les traitements barbares exercés sur les animaux.
F. Benoit Lamothe
Commissaires. Le Bureau, Garran, Révellière-Lépeaux, Dupont de l’Eure, Toulongeau.
Lu Silvestre de Sacy

[…] Je me promenais, ce matin, sur le cours d’Aix, Département des Bouches-du-Rhône. Parvenu à cette extrémité où vient aboutir la route de Marseille et d’où la vue peut s’étendre assez loin dans la campagne, je considérais avec plaisir, avec admiration, ces riches côteaux couverts de vignes et d’oliviers. L’olivier surtout, spectacle nouveau pour moi, attirait mes regards et excitait mes réflexions. Vu cet arbre, en effet, symbole de la paix, des arts et de la sagesse ; [2]

(…)

Quand même, selon certains sauvages, les animaux ne seraient que des machines organisées, non susceptibles de sentiments, ni de réflexions. Tout traitement barbare, exercé envers eux, n’en serait pas moins contraire à la morale publique et conséquemment répressible par la loi. On commença par être dur envers les animaux et l’on s’accoutuma, ainsi, à être dur envers ses semblables, aussi voit-on que ceux qui ont l’habitude de maltraiter leurs chevaux et leurs chiens ; que ceux qui, par profession, trempent leurs mains dans le sang des animaux, sont ordinairement grossiers, brutaux et sans pitié envers les hommes. C’est surtout chez les enfants qu’il faut épier quel pourrait être, un jour, leur caractère, afin de le corriger et de le diriger au bien. Le monstre qui a pu assassiner son père, dormant paisiblement dans son lit, avait peut-être dans son enfance fait son apprentissage de cruauté en étouffant des moineaux. Rendons ici hommage au sexe qui donne souvent au nôtre des exemples toujours de bienfaisance et d’humanité. Souvent j’ai vu avec satisfaction des petites filles pleurer, gémir, en voyant leurs petits frères maltraiter un chien ou un oiseau : je les ai vues exciter leurs pères pour venir demander grâce pour eux et arracher les victimes des mains de ces petits bourreaux. Sexe charmant ! Oh ! Conserve toujours cette précieuse sensibilité qui est ton plus bel attribut, cette douceur qui est l’organe et le complément de la beauté. Femmes, je vous aime parce que vous êtes belles. Je vous adore, je vous révère parce que vous êtes douces, sensibles et compatissantes. C’est sans doute pour ces diverses qualités que les grands, nos yeux, croyaient voir briller [3] particulièrement en vous l’ancelle et l’image de la divinité. La beauté caractérise la femme, la bonté caractérise le sexe. Combien de fois, dans le cours de mes voyages, n’ai-je point éprouvé votre douce bienveillance ! La qualité seule d’étranger qui souvent est un motif de soupçon et malversation même aux yeux sauvages des hommes, est un titre de recommandation auprès de vous, femmes de Monaco ; je n’oublierais jamais ce jour où coincé sur un ouvrage au bord de la Méditerranée, fatigué du mal de mer et rétribué d’une pénible navigation, je fus accueilli et encouragé par vous ; comment pour me secourir, quittant vos travaux champêtres, vous m’avez conduit à Monaco et donné l’hospitalité dans vos maisons. Non, ce n’était pas l’espoir du gain qui vous rendait si empressées envers moi : mon extérieur modeste et la simplicité de mes vêtements ne devait pas vous donner une saine idée de ma fortune. Mais j’étais étranger, pourtant il n’en fallut pas davantage pour exciter votre sensibilité.

Si quelques philosophes, pour exécuter leur dureté envers les animaux, ont voulu les considérer comme des machines organisées, non susceptibles de sentiments, d’autres philosophes, plus dignes de ce nom, pour engager les hommes à être bons et doux envers les animaux, ont inventé le système ingénieux de la métaphysique. Chez les peuples où ce dogme fut admis, c’était un crime de maltraiter des animaux faibles et innocents : parce qu’ils craignaient que des âmes humaines avaient passées dans les corps de ces animaux. En maltraitant son bœuf [4] et son ancien, on craignait de blesser son parent ou son ami. Êtres durs et froids, vous riez de la crédulité de ce peuples. Mais qui peut affirmer que ce système ne soit pas en quelque sorte fondé ? Quand je songe qu’il fut encore au monde par les plus grands philosophes de la plus sainte antiquité, et quand je songe que plusieurs nations, renommées pour leurs sagesse, l’ont admis et caressé pendant une longue suite de siècles, mais surtout quand j’observe les mœurs, quand j’admire les qualités et les vertus de certains animaux, en vérité je suis bien tenté d’admettre la métempsycose et de m’écrier avec le disciple de Pythagore : Cela est, le maître l’a dit. Ô toi qui fus, pendant dix ans, ma plus fidèle compagne ; toi qui fus souvent ma compensation et ma joie ; toi qui lisais bien dans mes yeux, les sentiments de mon cœur ; qui te réjouissais ou qui gémissais avec moi ; oui, j’aime à le croire, oui, j’en suis presque persuadé, tu avais une âme, l’âme la plus tendre, et cette âme, avant d’habiter le corps animal que tu serais, avait sans doute habité celui d’une femme douce, amante et sensible.

[…] [6] Si donc l’on considère les animaux comme les compagnes assidues de nos travaux, et comme des êtres malheureux destinés à notre subsistance ; si l’on considère surtout que ceux qui ont l’habitude de les traiter avec barbarie deviennent durs et injustes envers leurs semblables ; on ne peut disconvenir qu’il ne soit intéressant pour la morale publique de réparer les traitements barbares que l’on exerce envers eux. Mais convient-il de faire des lois à cet égard ? Et pourquoi pas, puisque leur objet serait d’être utiles, de perfectionner la morale publique ? On nous a assuré qu’en Angleterre, il y a des règlements pour empêcher les sauvages de traiter avec barbarie les animaux qu’ils vont immoler et une pareille loi a existé chez les Juifs[1].

[7] Pourquoi de semblables règlements ne pourraient-ils être exaltés chez les Français ? Malheur au peuple qui rougirait d’imiter et d’adopter ce qu’il y a de bon, de louable chez ses voisins ! Mais pour rendre ces règlements plus efficaces, il serait à désirer que l’autorité religieuse vienne à l’après de l’autorité civile. Ministres de l’Evangile, c’est à vous surtout qu’il appartient, qu’il convient de recommander aux hommes la douceur et l’humanité ; même envers les animaux. Je le dis avec regret, mais je suis forcé de le dire, les prêtres, en général, n’instruisent point assez sur les vertus sociales. Arguments à l’excès sur les vertus ascétiques, ils nous recommandent bien le célibat, le jeûne, la prière : mais que de droits ils acquéraient à la reconnaissance, à la vénération publique, si par leurs assertions, les hommes deviennent plus justes, plus humains, plus indulgents, plus tolérants[2].

Mais comme la loi présentée divine est souvent un frein insuffisant, il faut donc que la loi civile intervienne, pour réparer les traitements barbares que la brutalité exerce envers les animaux.

[8] Mais à qui attribuera-t-on le droit d’appliquer la loi ? Si on ne l’accordera qu’à un seul homme dans une commune, cela aurait le double inconvénient de rendre souvent la loi inutile par la difficulté de constater les délits, (…), trop de ressentiments sur un seul et même individu. Ce second inconvénient serait d’autant plus désagréable pour le Magistrat et il aurait souvent affaire aux hommes les plus grossiers et les plus vindicatifs de la société. Je pense donc que le droit devrait être attribué simultanément à plusieurs individus. Tout officier Municipal, tout membre d’un tribunal judiciaire, tout officier de gendarmerie et même tout citoyen sexagénaire qui aurait occupé antérieurement une place, soit dans les administrations, soit dans les tribunaux, serait autorisé à citer la délinquant devant le Magistrat de Police, qui, sur la prompte déclaration, verbale ou écrite, du citoyen avoué par la loi, serait tenu de prononcer une amende contre le coupable. Quiconque se permettrait d’insulter le citoyen remplissant les fonctions que la loi lui attribuerait, quiconque même, sur la réquisition, ne lui aurait point porté assistance en cas de besoin, serait puni de dix ans de fers, et même plus, suivant la gravité des circonstances. Il serait convenable, je pense, qu’ils portassent une décoration extérieure ; ne fût-ce qu’un simple ruban, pour marque de leur caractère et de leur autorité. Ces magistrats, établis en quelques fort concours publics, auraient également le droit de citer devant le juge, les pères et mères des enfants qui, dans la rue ou sur les promenades, se permettraient [9] des actions, des paroles même, contraire à la décence, à l’ordre ou à la sureté publique. […]

[10] Pourquoi le législateur français ne procurerait-il pas du moins une peine très sévère contre tout voiturier et autre conducteur d’animaux domestiques qui serait surpris exerçant son emploi dans l’état d’ivresse ? Non seulement les animaux profiteraient d’une pareille loi, mais les hommes y gagneraient aussi. Car combien d’accidents ne sont point arrivés sur les routes, (…) et de voyageurs blessés, par la faute de conducteurs ivres, hors d’état de conduire les routes et eux-mêmes !

Mais sans être dans l’état d’ivresse, il y a des hommes qui ont le malheur d’avoir la fibre si susceptible d’irritation et un sang si prompt à s’enflammer que, pour la moindre contrariété, ils se livrent à la colère et à l’emportement. Pour adoucir le moral de ces hommes, il faudrait commencer par changer leur physique. Pour cela, il n’y aurait qu’un seul moyen et peu de gens seraient assez raisonnables pour vouloir en faire l’épreuve. Ce serait de changer leur régime de vie ; ce serait de l’assujettir à n’user que d’aliments et boissons propres à calmer l’effervescence de leur sang et de leurs passions. […]

[11] Ce n’est donc que par une loi communautaire, que l’on pourra réparer les violences et les traitements barbares, dont les pauvres bêtes de somme sont souvent victimes. Que la religion, je le répète, que la religion, adoucissant les mœurs, vienne au secours de la loi : que la superstition même vienne encore à l’appui de la religion, car toutefois c’est une superstition d’adopter un système qui ne me paraît nullement contraire à la justice divine et que la raison humaine ne semble pouvoir admettre sur la foi des plus grands philosophes de l’antiquité.

Notes:

[1]  J’ai connu un Anglais de cette nation qui pour tuer une seule volaille, ne se servait que d’un instrument très tranchant, destiné uniquement à un usage, et comme je lui demandai la raison, il me répondit que sa loi lui faisant une obligation de ne faire faire souffrir que le moins possible, les animaux qu’il était forcé d’égorger pour sa subsistance.

[2] (d) Les prêtres devraient se considérer, ils devraient être, non seulement les médecins des âmes, mais aussi les médecins des corps. Pour cela ils devraient désirer dans leurs sermons indiquer au peuple certaines précautions nécessaires pour éviter bien des maladies : ils devraient lui recommander surtout la propreté comme une vertu (…) Quiconque a un peu voyagé et observé les mœurs du peuple, a dû remarquer combien la malpropreté ; vice très commun, engendre d’inconvénients et même de maladies. Instruire le peuple est pour les prêtres un devoir d’autant plus essentiel et d’autant plus indispensable qu’aujourd’hui ils sont les seuls qui aient le privilège de parler à la multitude assemblée.